Snobé aux Oscars et arrivé incognito en France sur Prime Video, Nickel Boys est une œuvre passionnante nous plongeant dans l’Amérique raciste des années 60.
La réalité derrière le film
L’une des pires choses pour un film d’auteur qui ne trouve pas de distributeur français est de passer sur Prime Video. La plateforme de streaming a une politique de communication étrange et injuste pour beaucoup de productions. Elle semble privilégier les œuvres françaises et oublie totalement les autres. Une technique qui peut se comprendre sur certains projets, mais qui est incompréhensible pour d’autres.
C’est notamment le cas de Nickel Boys, réalisé par RaMell Ross. Adaptation du roman du même nom de Colson Whitehead, l’histoire s’inspire des événements survenus à la Dozier School. Durant plus d’un siècle (de 1900 à 2011), ce centre correctionnel situé en Floride a persécuté de jeunes Noirs. Fin 2008, le gouverneur a lancé une investigation à la suite de multiples plaintes déposées par un groupe nommé White House Boys, rassemblement d’anciens étudiants qui se sont mobilisés contre cette institution. Finalement, 55 corps ont été inhumés sur le site de la Dozier School.

L’utilité de la première personne
Nickel Boys se déroule en 1962. On suit Elwood Curtis, jeune Noir accusé à tort par la police d’un vol de voiture. Alors qu’il devait aller à l’université, il est finalement envoyé à la Nickel Academy, une « reform school » pour garçons. Il se lie d’amitié avec un autre détenu, Turner. Ensemble, ils vont tenter de survivre aux abus et aux méthodes violentes de l’école.
Le twist est que le film est tourné entièrement à la première personne. La caméra nous mettra dans la peau d’Elwood dans un premier temps, puis parfois dans celle de Turner dans la deuxième partie du film. Un procédé qui désarçonne au début, notamment dans les premières minutes. On y suit l’enfance en accéléré d’Elwood : ses premiers amours, son quotidien, mais aussi ses premiers rapports avec le Civil Rights Movement lancé par Martin Luther King et ses envies militantes. Mais ce choix de point de vue permet d’entrer dans la peau de ce personnage et surtout de comprendre comment il a construit son identité en prenant comme modèle les proches et figures qui l’entourent. Plus tard, cela illustre directement ce qu’il a vécu, en évitant le piège du sensationnalisme ou du misérabilisme. Les scènes de persécution ne sont pas directement montrées. On vit l’avant et l’après, mais la caméra s’éteint au moment fatidique.

Deux visions opposées
Dans la deuxième partie, RaMell Ross abandonne parfois le point de vue subjectif d’Elwood pour nous mettre dans la conscience de Turner. Il y a aussi plusieurs scènes se déroulant dans le futur où, cette fois, la caméra est en troisième personne, derrière un homme qui se présente comme étant Elwood. Ce dernier, devenu adulte, fait des recherches sur la Nickel Academy et suit l’avancée de l’enquête. Le choix de la première personne illustre donc ces instants où le personnage se remémore son passé. Mais le changement de procédé interroge le spectateur. Pourquoi abandonner ce procédé ? Est-ce dû aux limites que ce dernier impose et qui seraient trop contraignantes ? Non, il y a bien une raison qu’il est impossible d’expliquer sans dévoiler la fin et qu’il est préférable de découvrir par soi-même.
Le fait que l’on suive ces deux personnages nous offre des regards opposés sur cette affaire. Elwood a été élevé par des membres actifs de groupes militants et cherche à lutter contre le système, tandis que Turner, déjà abîmé par le système, est résigné, suivant le mouvement sans faire de vagues. Deux visions qui seront constamment mises à mal par les atrocités de la Nickel Academy. Peinture de l’Amérique raciste, Nickel Boys remet perpétuellement en question nos convictions. Est-il possible de se battre contre un système qui semble entièrement construit contre nous ? Pouvons-nous changer quelque chose à notre petite échelle ?

Un film abandonné par Amazon ?
On regrette tout de même la durée du film (2h20) avec notamment plusieurs scènes au sens beaucoup trop cryptique. Par instants, RaMell Ross introduit des extraits de l’histoire de l’Amérique, et notamment de la conquête spatiale avec l’alunissage en 1969. Même si l’intention se comprend (vouloir montrer que les atrocités de la Nickel Academy se déroulent en marge de la grande Histoire, comme cachées), cela a comme conséquence de perdre le spectateur. Pour un film qui a déjà tant à dire et à illustrer, c’est dommage.
Malgré ses défauts et son aspect très « cinéma d’auteur à concept », il est difficile de comprendre pourquoi Nickel Boys a été complètement oublié de la campagne de communication de Prime Video. Le long-métrage a pourtant reçu le Golden Globe du meilleur film dramatique et a été nommé aux Oscars du meilleur scénario adapté et du meilleur film. Mais ce n’est pas la première fois que cela arrive. Déjà en 2024, American Fiction (film ayant reçu un BAFTA, un Oscar et le prix du public au festival de Toronto) était sorti dans le plus grand des silences en France sur la plateforme de SVOD. C’est toujours douloureux et incompréhensible de voir des projets aussi forts et importants jetés comme cela. On en vient à se demander si le cinéma et la fiction les intéressent réellement.
Le film est actuellement disponible sur Prime Video.
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