Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
LE POUR
THOMAS G.
Malick, cinéaste hors-normes
Quelque 45 ans de carrière pour 10 films, dont seulement 4 avant 2011 : le mystère autour de Terrence Malick tient aussi de cette filmographie succincte, non moins cohérente.
Car, de La Ballade Sauvage au récent Une Vie Cachée, le natif d’Ottawa a marque l’histoire du cinéma par un style hors des conventions du cinéma moderne. Un style lancinant, contemplatif, qui l’a installé parmi les cinéastes majeurs du cinéma d’hier et d’aujourd’hui.
Convoquer Terrence Malick, c’est approcher une certaine conception du Septième Art. Une conception loin de l’académisme de nombre de ses contemporains, et au-delà, loin des procédés narratifs et visuels généralement appliqués à l’image cinématographique.
Chez Malick, point de narration linéaire et limpide : il préconise en effet une approche plastique du cinéma, où ladite narration n’est pas tant le moteur du long-métrage qu’une nécessité contractuelle pour que Malick puisse laisser parler son image.Une image splendide, perfectionnée, travaillée à l’extrême pour en exprimer toute l’ampleur. Magnifiée par le travail de ses directeurs de la photographie successifs, notamment Emmanuel Lubezki (qui reste à l’heure actuelle, avec Robert Richardson et Hoyte van Hoytema, l’un des meilleurs dans son domaine), le travail visuel de Malick, marque par l’utilisation récurrente de la Steadycam, par sa lenteur et son travail du temps. Ce cinéma expérimental détonne au milieu des productions à grand spectacle toujours plus nerveuses mais à l’émotion éphémère ; Malick, en laissant l’image parler, en décentrant une narration presque au second plan, “perd” en classicisme ce qu’il gagne en force émotionnelle.
D’autant plus par les thèmes qu’il invoque, Malick tend à donner à ses films une portée métaphysique particulière. Empreints de spiritualité, ses films placent les personnages dans un rapport particulier à leur environnement, mais également dans un élan cosmogonique, son cinéma oscillant entre réflexions macroscopiques sur le rapport de l’homme à la Nature et prétentions introspectives (The Tree of Life en est sûrement le plus probant exemple). Et ainsi, ce cinéma d’une implacable complétude et harmonie achève la portée abstractive d’une vision unique du Septième Art.
Comme Kubrick en son temps, auquel il est régulièrement comparé, Terrence Malick cultive un culte du secret participant à sa légende. Une légende loin d’être fortuite : aussi passionnant que clivant, le cinéaste a mené son Art vers d’oniriques et sinueux sentiers, qui ont parfois déçus, souvent captivés mais toujours déroutés, et qui restent, dans une production actuelle souvent terne, des essais cinématographiques absolument captivants.
LE CONTRE
Malick, ou l’illusion du contre-courant
Depuis 20 ans, Terrence Malick est assurément le réalisateur le plus segmentant d’Hollywood. Digne héritier de Kubrick pour les uns, arnaque ultime pour les autres, Malick n’a eu de cesse de pousser son style à l’extrême cette décennie, pour le meilleur (un peu) et le pire (surtout).
Entendons-nous : parler de Malick, c’est évoquer toute une idée de cinéma : délaissant les conventions narratives, le réalisateur conçoit une approche intimiste et onirique des sens basée sur un style visuel. Oui mais voilà : en se plaçant dans le sillage de Kubrick notamment, il se confronte à ses propres références : quand le réalisateur de 2001 brillait dans un trip captivant, Malick avance de déception en déception. Kubrick maîtrisait cette notion du rythme à la perfection, quand Malick, plus les années passent, semble lui s’étirer à l’extrême son imaginaire, quitte à l’épuiser jusqu’au vide.
Le cinéma de Malick, c’est avant tout des tableaux, magnifiés par le travail du meilleur directeur de la photographie actuel, Emmanuel Lubezki. Ses compositions picturales sont parmi les plus belles de l’histoire du cinéma ; malheureusement pour lui, le cinéma est un art dynamique : si Malick aurait pu être un des plus grands photographes de son époque, il en oublie presque que le cinéma est avant tout une succession de ces images. De ses tableaux successifs, Malick s’étire et se perd : suscitant l’ennui, on a la sensation, depuis quelques films, que Malick ne semble plus rien avoir à dire.
Bien sûr, les films de Malick sont loin d’être les pires d’Hollywood : mais cette décennie montre surtout les limites de son cinéma. Lorsque l’on porte un cinéma aussi centré sur les messages, il est d’une absolue nécessité de captiver son spectateur ; mais en contemplant plus qu’en construisant, Malick ennuie, et passée l’exaltation première face à la beauté de ce qui se compose face à nous, il en ressort le fait, implacable, qu’en laissant la majorité de ces spectateurs sur le côté, Malick perd à son objectif premier : celui de porter un message universel. Etudier Malick, c’est étudier une dichotomie schizophrénique du cinéma : plus l’on veut toucher universellement, et moins il faut prendre de risques en adoptant des schémas classiques. Ainsi en va de la situation actuelle du cinéma, et montre bien que Malick, les années passant, reste en marge du système, offrant aux spectateurs un cinéma dont les idées se sont depuis des années enfermés dans un vase clos et tournent en rond.
1 Comment
Princecranoir
Je n’ai pas toujours été happé par Malick, et je dois bien reconnaître me souvenir de « Tree of Life » davantage comme d’un pensum plutôt qu’un beau poème métaphysique.
Ceci dit, j’ai dû mal à comprendre ici la référence à Stanley Kubrick, visuellement comme spirituellement. Malick est d’abord un cinéaste religieux, ce que n’était pas Kubrick. Malick s’inscrit davantage dans la lignée de Vidor, de Rossellini et, dans sa vision cosmogonique de la nature, de Murnau. Mais Kubrick, je ne vois pas le rapport.