Continuation de la croisade de Dimitri Rassam et Jérôme Seydoux vers une adaptation complète de Dumas (?), nouveau film venant s’ajouter à la peinture d’époque épique et grandiose que s’efforce de peindre le cinéma français depuis la pandémie, Le Comte de Monte-Cristo est un essai supplémentaire dans l’instauration d’une routine d’action grandiose dans notre paysage tricolore, encore et toujours viser plus loin, plus haut, plus cher…
ultime machiavélisme
Sortant du diptyque (laissé supposée trilogie) de production titanesque des Trois Mousquetaires, succès monstrueux auprès des spectateurs français l’année dernière, Pathé s’acharne, en 2024, à faire rentrer les presque deux mille pages du Comte de Monte-Cristo (éd. C. Lévy, 1889) du roman d’Alexandre Dumas, publié pour la première fois en 1844, dans un film dépassant timidement les trois heures, pubs et générique compris. Seulement, cette fois-ci c’est sans nous promettre quelconque retour ou rappel après le lâché du rideau et le retour de la lumière.
Il faut dire que toute cette histoire s’agence quand même à la perfection. Edmond Dantès, innocente victime, inlassable prisonnier, riche vengeur. Tout cela s’étale sur plusieurs dizaines d’années, à mesure que l’on perd et retrouve les personnages (tous vieillissant dans une dimension qui, visiblement, n’était pas celle du film). Le mécanisme de l’histoire s’arrange pour nous offrir des scènes souillées de machiavélisme, une perfidie qui régale tant elle est mauvaise et impure. On se questionne (ça oui) sur les actions du Comte, mais jamais on ne souhaiterait qu’il s’arrête, parce qu’Alexandre Dumas a écrit une histoire brouillant les limites entre la justice et la vengeance, que ça nous parle, et que ça nous plaît, parce qu’on peut prendre un malin plaisir à savourer des sentiments malsains. Les réalisateurs/scénaristes (Matthieu Delaporte & Alexandre de la Patellière) n’ont malheureusement fait qu’un travail de réduction/simplification du texte, faire rentrer un carré, dans un plus petit carré. Il y a cette dualité qui naît, un décalage de deux cent ans entre les répliques mordantes de Dumas (celles qui sonnent comme du miel dans les oreilles, dites par un casting exceptionnel, plus gros point fort du film) et celles du duo de réalisateurs, unique moyen de survivre jusqu’au prochain éclat.
le xixème siècle ?
Ce même duo a pourtant déployé énormément de moyens pour que le film soit le plus fidèle et cohérent possible, allant du style optique prononcé – mais pas toujours rattrapé par l’étalonnage, dommage – aux envolées de montage incisives, jusqu’aux gimmicks de mise en scène. Je pense notamment à cette caméra qui s’envole en tourbillons à chaque information un peu dramatique. L’effet est balourd mais efficace, et intelligemment utilisé. Ce n’est pas que le spectateur n’a rien à voir, mais je continue de penser que cette manière de mettre en scène n’est en rien connectée avec l’âme de ce que l’on adapte. C’est trop épique, trop grandiose, trop dramatique, et tout ça trop tout le temps. On ne peut pas recadrer l’intrigue dans un univers pourtant pas si difficile à reproduire quand on a 43 millions d’euros. À titre d’exemple, un film comme Eiffel de Martin Bourboulon réussissait avec moitié moins d’argent, à faire exister Paris, la ville, les gens, la vie de la fin du XIXème siècle. Ici, on s’enferme trop vite dans le découpage, décidément un problème récurrent sur les dernières productions Rassam/Seydoux, probablement parce qu’il n’y a plus d’argent pour faire un plan large. C’est ce problème qui ouvre le film : une magnifique première scène illisible en piscine à l’eau turquoise transparente, sous une pluie artificiellement irrégulière, et sans figurants, alors qu’un (grand) bâteau enflammé disparaît doucement dans le fond de l’écran.
et pourtant...
On a beau nous offrir des déceptions aussi grandes que ces premières minutes, il est difficile de ne pas se faire emporter, et si le film n’a pas coulé avec le reste dans cette première scène, c’est en très grande partie grâce au travail de musique qui a été effectué. Car même si souffrant des mêmes lacunes que le reste du film concernant la représentation de la société du début du XIXème siècle, son intensité indéniable consolide avec un béton doublement armé l’intégralité des séquences dans lequel on se doit de se redresser sur son siège. Le Comte de Monte-Cristo arrive à être un film divertissant comme on pourrait demander à un film comme celui-ci de l’être. Il est impossible de cacher la satisfaction que l’on à déjeuner avec Lord Halifax, à s’asseoir au tribunal, à “être brutal et à s’en vanter”… Il est tout aussi impossible de ne pas sortir de la salle en se disant que ça aurait pu aller plus loin, dépasser le simple “divertissant” où le “j’ai aimé”. On est déçus de ressortir sur ses pieds, on aurait préféré sur les rotules, ou même sur le cul, parce que pourquoi pas.
Le Comte de Monte-Cristo sort le 28 juin en salles.
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