? Réalisateur : Frédéric Farrucci

? Casting : Guang Huo, Camélia Jordana, Xun Liang

? Genre : Drame, thriller

? Sortie : 15 juillet 2020 (France)

Synopsis : Paris 2018. Jin, jeune immigré sans papiers, est un chauffeur de VTC soumis à la mafia chinoise depuis son arrivée en France, il y a cinq ans. Cet ancien DJ, passionné d’électro, est sur le point de solder « sa dette » en multipliant les heures de conduite. Une nuit, au sortir d’une boîte, une troublante jeune femme, Naomi, monte à bord de sa berline. Intriguée par Jin et entêtée par sa musique, elle lui propose d’être son chauffeur attitré pour ses virées nocturnes. Au fil de leurs courses dans la ville interlope, une histoire naît entre ces deux noctambules solitaires et pousse Jin à enfreindre les règles du milieu.

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Plongée nocturne dans le Paris des VTC

Sorti sur nos écrans mi-juillet, La nuit venue, premier film de Frédéric Farrucci est une très belle réussite de cette année 2020 en ce qui concerne les sorties françaises. Nous suivons Jin, ancien DJ et compositeur qui a dû quitter sa Chine natale pour venir travailler en tant que chauffeur VTC à Paris. Le jeune homme doit éponger la dette contractée auprès de la mafia chinoise qui lui a permis d’émigrer depuis son pays d’origine. Jin est payé une misère, travaillant de nuit, sous louant un lit en banlieue, craignant la réaction de ses chefs en cas d’erreur ou de rendement insuffisant. Il trouve néanmoins un semblant de réconfort auprès de ses collègues et en comptant les jours jusqu’au remboursement de sa dette. Une nuit, il accueille Naomi dans sa voiture, une connexion s’établit immédiatement entre les deux protagonistes, intrigués l’un par l’autre.

Le film nous plonge au cœur de l’immigration chinoise à Paris
©Jour2Fête

Ce qui fait la réussite de La nuit venue, c’est sa réappropriation des codes du film noir et son adaptation du genre à ce Paris moderne traversé par les VTC. On peut constater cela à travers, premièrement, son personnage principal : Jin. Ce dernier est totalement désabusé et cynique face à sa situation désespérée. Ce comportement constituant son seul stratagème de défense pour conserver son humanité dans ce système l’anonymisant et le réduisant au rôle de simple boulon dans une machine trop grande pour lui. Il constitue l’archétype du héros d’un film noir, semblant toujours à la limite du basculement vers la violence et la corruption. A noter la superbe interprétation de Guang Ho, dont le film constitue la première expérience devant une caméra.

L’utilisation des décors urbains et nocturnes du Paris contemporain est superbe, la ville oppresse les personnages, est froide et déprimante au possible et ne laisse entrevoir aucun signe d’espoir. On notera cependant la poésie qui se dégage intrinsèquement du film, notamment à travers les deux personnages évoluant dans cet environnement, et constituant là encore une caractéristique du film noir. Une marque de fabrique du genre que l’on retrouve également dans La nuit venue est le personnage de la « femme fatale », représentée par Naomi, celle pour qui le héros sera amené à se perdre dans sa propre humanité, sachant qu’il peut courir à sa perte…

On sent l’influence que des films tels que Collatéral de Micheal Mann, ou Le Samouraï de Jean-Pierre Melville ont pu avoir dans la conception du long-métrage. Farrucci parvient néanmoins à s’affranchir de ses inspirations pour nous offrir un récit original et personnel.

Jin et Noami
©Jour2Fête

Malgré ses 1h35, le film souffre de quelques longueurs qui, couplées à un rythme assez lent (mais inhérent au genre) peuvent rebuter certains spectateurs. On peut également regretter un certain manichéisme, notamment en ce qui concerne les antagonistes, ces derniers manquant de profondeur.

Outre ces légers défauts, force est de constater que la copie livrée par Frédéric Farrucci est plus que correcte. Le réalisateur nous transporte dans son univers rempli d’une poésie et d’une douceur apparentes, notamment à travers la relation de ses deux personnages principaux. La rencontre de ces deux êtres torturés est passionnante. Chacun est perdu dans sa solitude et dans la sensation que rien ne permettra de changer sa situation précaire, voire désespérée. Tous deux vivent la nuit, l’obscurité de la métropole parisienne les enferme, la ville devient tant une présence apaisante pour les personnages qu’une créature invisible les retenant prisonnier.

C’est leur rencontre qui leur permet de s’échapper à ce quotidien terne et usant. Au cours de leurs courses nocturnes dans la capitale, rythmées par les notes de musiques des compositions de Jin, les deux protagonistes comprennent à quel point ils sont semblables. Brisés par le système qui les exploitent, ces derniers évoluent dans une douce mélancolie, se rattachant tant bien que mal à la beauté qu’ils trouvent dans leur monde.

Une magnifique performance de Camélia Jordana
©Jour2Fête

La nuit venue se révèle également être un grand film social. Abordant le thème de l’immigration asiatique et de la précarité d’une partie de cette population, sujet relativement peu traité dans le cinéma français. Farrucci fait le pari d’un film sans personnages caucasiens, nous plongeant encore plus brillamment au cœur des problématiques subies par les personnages et de la précarité subie collectivement.

Le réalisateur déploie une maîtrise équivalente lorsqu’il évoque les conditions du métier de chauffeur VTC. Cette profession, souvent décrite comme un « esclavage moderne » ne fait pas belle figure. Les chauffeurs sont exploités, craignant pour leur maigre salaire, voire pour leur vie et ne devant leur liberté rêvée qu’à ceux qui les tiennent enfermés. Certains renoncent à tout espoir, acceptant qu’ils subiront probablement cette situation jusqu’à la fin de leurs jours, ce travail étant leur seule solution pour nourrir leurs familles restées en Chine. D’autres, comme Jin, continuent de croire en un avenir meilleur, s’efforçant . Le retour à la réalité n’en est que plus brutal lorsqu’un imprévu anéantit ses efforts, ou lorsqu’un de ses collègues, alors que Jin se plaint des conditions de travail, lui reproche de penser « comme un occidental ».

Note

Note : 8 sur 10.

8/10

Malgré les quelques limites d’un premier film, La nuit venue est une des belles surprises de cette année 2020. Se réappropriant les codes du film noir et nous plongeant dans un Paris nocturne et précaire, Frédéric Farrucci nous offre un superbe film. Alliant la douceur de la relation des personnages à la cruauté de leur monde, La nuit venue constitue un grand film français. A découvrir sans réserves.

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