Guy, film français de 2018 réalisé par et avec Alex Lutz, Tom Dingler, Pascale Arbillot…
« On ne peut pas être et avoir été » : telle pourrait être la maxime de Guy, deuxième passage d’Alex Lutz (passé notamment par Canal +) derrière la caméra et requiem (fictif) d’une ex-star de la chanson française, en perpétuelle quête pour raviver la flamme d’une gloire passée.
Les premières réalisations sont toujours un passage compliqué. Que ce soit par le budget, puisqu’on accorde rarement un budget de blockbuster à un jeune nouveau, ou par le manque d’expérience, qui conduit fatalement à quelques approximations techniques.
Hors, ce qui frappe dans Guy, c’est d’observer la maturité de la mise en scène d’Alex Lutz, dont on pourrait penser qu’il est un réalisateur chevronné. Bien sûr, cela est aidé par le choix de mise en scène du réalisateur : développant une histoire centrée sur le reportage de Gauthier, fils de Guy Jamet et journaliste-cadreur, le film adopte donc un style documentaire, caméra à l’épaule et plans fixes de rigueur. On pourrait croire à une solution de facilité, mais faire tenir un film d’1h42 sans que cela tombe dans un simili-reportage télévisuel est un défi qu’Alex Lutz a su relever avec brio (d’autant plus que, tel un Orson Welles, il s’autorise à être la tête d’affiche de son propre film et dont il co-signe le scénario). Guy marque donc par une brillante mise en scène, qui permet en outre de plonger au plus profond des émotions de ses personnages.
Car Guy nous fait entrer, de par cette mise en scène, dans le quotidien intime de cet homme, Guy Jamet, gloire passée dont, au fil du film, on voit se dessiner les doutes et les atermoiements derrière une apparente dureté.
« On ne peut pas être et avoir été », disait la maxime d’introduction. C’est en effet tout le combat spirituel de Guy tout au long du film, cette volonté de prouver, aux autres et à lui-même, qu’il est capable d’être saisi de la même hargne que dans ses jeunes années. Un homme qui voit sa jeunesse n’être plus qu’un lointain souvenir et dont l’idée de la mort commence à faire son chemin : tout dans Guy respire la mélancolie et l’idée que l’on ne sera bientôt qu’un souvenir (ce qu’exprime, avec beaucoup de justesse dans les mots, la phrase de fin).
Toute la progression émotionelle du personnage l’amène d’un vieil aigri qui ne peut laisser sa gloire lui échapper à celle d’un homme perclus de doutes et qui sent sa fin inéluctable approcher. Et dans cette évolution, il emmène le spectateur avec lui, qui pourrait presque voir en cet homme les vieilles gloires (réelles) de son enfance. On note alors inconsciemment dans Guy une sensation de réalisme, aidé bien sûr par la mise en scène documentaire, mais aussi par l’intervention de personnalités du monde réel, tels que les journalistes Alexandra Sublet et Michel Drucker ou du chanteur Julien Clerc, parmi d’autres. En ancrant son film dans notre réalité (usant également d’image « d’époque » ou volontairement salies pour marquer un instant passé), Alex Lutz accentue donc notre attachement à ce personnage et à son histoire, dont la tournée en forme de requiem nous laisse comme un goût de déjà-vu. Et quoi qu’on en dise, Lutz y est aussi pour beaucoup.
Car, comme dit précédemment, il est à la fois devant et derrière la caméra, incarnant le rôle principal de Guy Jamet. Adepte des transformations physiques, ayant dû se faire vieillir d’une quarantaine d’années pour le rôle, il incarne à la perfection cet homme en proie à une profonde mélancolie, à la recherche des souvenirs d’une époque écoulée, et passant d’un vieillard hors de son temps à un homme dont la peur qu’on l’oublie le rend étonamment humain. Et comme dit précédemment, cela donnera aux spectateurs une étrange sensation de réel. Tout le talent de Lutz pour retranscrire les fêlures émotionnelles de son personnage s’expriment en ce Guy qu’il transcende, faisant oublier l’acteur derrière le masque, et montrant qu’il est donc aussi habile devant que derrière la caméra.
Et là où le film va venir puiser toute son émotion et sa maturité, c’est dans la relation que vont entretenir Gauthier, le journaliste-cadreur, et Guy. Car ce dernier ignore tout bonnement que Gauthier est son fils, au contraire de celui-ci, dont le choix de faire le portrait de Guy n’est sans doute pas anodin. Et ce lien qui les unit va rendre le film encore plus touchant, car, en plus d’un reportage sur une ex-star de la chanson, filmer Guy Jamet est aussi un moyen pour Gauthier de mettre sur pellicule les souvenirs d’un homme qu’il a toujours connu sans jamais le connaître. Lien d’autant plus fort que Guy ignore tout de celui-ci, et qu’il finit au cours du film par se livrer à nu à Gauthier, et se comporter comme un père avec son film, entre engueulades, moments de partages ou de confidences.
Le film se permet donc d’exprimer son message (le questionnement sur le souvenir et la trace qu’on laissera), à travers un double discours : celui du Guy star, et celui du Guy père.
Que laissera-t-on derrière soi ? Quels souvenirs garderont de nous nos admirateurs, mais surtout nos proches, amis, enfants et petits-enfants ? Comment vivre avec l’idée que nous ne serons bientôt plus qu’une lointaine idée ?
A toutes ces questions, et bien d’autres, Alex Lutz et son alter-ego Guy y répondent de la manière la plus brillante et touchante qui soit.
Note
4/5
Un coup de maître d’Alex Lutz. Pour son deuxième film, il livre une oeuvre touchante sur un homme perdu dans un monde qu’il sent lui échapper. Efficace dans sa mise en scène et brillant dans son interprétation, Guy est un film qui, à coup sûr, ne vous laissera pas indifférent.
Bande-annonce :
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