Joker : Folie à Deux est sorti sur nos écrans depuis presque deux petites semaines qu’il est déjà, pour certains, considéré comme l’un des pires films de l’univers DC Comics, une énorme déception pour d’autres et un film raté pour la plupart des critiques. Cela nous a donné l’idée de lancer cette nouvelle rubrique appelée Seul Contre Tous, où l’un de nos rédacteurs va s’évertuer à défendre le film, à en donner une vision nouvelle, aux antipodes de ce que les critiques semblent dire. 

Détruire son joker

En avril dernier, nous avions déjà rédigé un portrait sur le cinéaste ayant écrit et réalisé les deux films Joker, Todd Phillips. Les premières lignes révélaient qu’il était un fervent joueur de jeux d’argent, depuis sa tendre jeunesse. Ce n’est donc pas sans étonnement que Joker : Folie à Deux est le vrai coup de poker de Todd Phillips, qui a effectivement plusieurs tours d’avance sur son spectateur (et sur Hollywood). Jamais où on ne l’attend, il déjoue les attentes avec une malice non-dissimulée tout en gardant une sincérité touchante à l’égard de ses personnages. Si vous aviez aimé le premier film, tout ce qu’il disait, comment il le disait, il est nécessaire de faire votre deuil car ce Joker : Folie à Deux n’est pas la suite de Joker mais son opposé. Imaginez un paquet de carte, visualisez la partie face avec l’illustration du Joker. Maintenant, retournez cette carte côté recto, c’est exactement ce que représente ce film. Et c’est tant mieux ! 

Lorsqu’on regarde au bon endroit, l’intention du cinéaste devient limpide dès les premières minutes, avec une magnifique et surprenante introduction en animation d’un Arthur Fleck se battant contre son ombre.  Todd Phillips veut détruire le mythe du Joker, l’iconisation qu’il avait montré dans le précédent film afin de mieux faire ressortir l’homme qui est derrière, retrouver l’humain. En affirmant que le Joker était une erreur, Todd Phillips apporte une réponse concrète et définitive au fantasme que convoque le Joker chez les spectateurs.

 

Un Joker mis à nu © Warner Bros. Entertainment Inc.
Un Joker mis à nu © Warner Bros. Entertainment Inc.

Evidemment que cette réponse ne leur convient pas, puisqu’elle confirme que ce personnage et tout ce qui l’accompagne n’est qu’un imaginaire, que ce n’est pas la réalité, à l’inverse du premier film qui créait le lien avec notre société. Contrairement à ce que dise beaucoup d’avis sur le propos du film, toute cette démarche est loin d’être vaine puisqu’elle permet de décortiquer cette représentation du Joker afin de mieux interroger la signification du mythe qui a gagné en popularité au fil des années.

Un amour imaginaire ? © Warner Bros. Entertainment Inc.
Un amour imaginaire ? © Warner Bros. Entertainment Inc.

Les illusions perdues

La fin du premier Joker se terminait en révolution idéologique, qui galvanisait une certaine classe sociale pour la voir se soulever contre le système établi, les écrasant chaque jour un peu plus. La mise en scène était spectaculaire et procurait aux spectateur un sentiment à la fois désinvolte et jouissif de liberté totale, incitant presque à la rebellion. Dans cette suite, Todd Phillips montre astucieusement en hors-champ comment un mouvement idéologique peut dépasser l’homme qui l’a créé et se transformer en pur chaos. La révolution pouvant sembler salvatrice évolue de manière extrême pour devenir dans ce film une forme de terrorisme, évoquant les dérives que peut amorcer une idéologie, qu’elle soit religieuse, politique ou sociale. 

Lee Quinzel, jouée par Lady Gaga © Warner Bros. Entertainment Inc.
Lee Quinzel, jouée par Lady Gaga © Warner Bros. Entertainment Inc.

Encore une fois, contre toute attente, on ne retrouve pas le Joker dans toute sa splendeur comme à la fin du précédent film mais au contraire déprimé et anéanti, ayant perdu tout goût de vivre (et de rire). Ce sera donc l’arrivée du personnage de Lady Gaga qui va raviver cette flamme intérieure, cette folie qui l’animait (et nous animait aussi en tant que spectateur). C’est en cela que Lee Quinzel est passionnante, elle offre un miroir du public sur ses propres attentes, sur ce que nous voulions retrouver en assistant à cette séance. Comme elle, le spectateur possède une vision du film et du personnage tel qu’il aurait dû être et tombe amoureux de cette image, et non d’Arthur Fleck. 

Même si son rôle a été souvent critiqué pour ne pas être « assez important », il est en réalité primordial et contamine tout le long-métrage. Même si elle n’apparaît pas autant à l’écran que son partenaire, sa présence a de lourde conséquences sur la psychologie d’Arthur Fleck. En désirant à tout prix ramener le Joker en lui, elle va au contraire le faire réaliser qu’il est un imposteur. L’interprétation tout en nuance de Lady Gaga procure une belle complexité à ce personnage ambigu, qu’on ne saura jamais totalement sincère et en même temps prisonnière,  aveuglée par son propre désir d’évasion du réel. 

Le jeu de l'anti-spectaculaire

Au lieu d’être frontal et de faire reposer son histoire sur la tension dramatique comme dans le premier opus, Todd Philipps développe dans Joker : Folie à Deux une forme de subtilité, et brandit surtout un refus du spectaculaire, autant dans son rythme lent que dans son récit. D’habitude, dans la logique des sagas hollywoodiennes, les seconds opus se sentent dans l’obligation de se montrer plus grandiose, intense et dans la continuité du film original. Ce choix de l’anti-spectaculaire représente donc une véritable prise du risque de son auteur, préférant ici la réflexion et l’intériorité à l’action.

Même quand le cinéaste convoque la comédie musicale, c’est pour mieux en tordre les codes et rendre ce genre aux antipodes de ce qu’il est censé être, ordinaire et intime. Assister à la touchante fragilité d’Arthur Fleck chantant le Ne me quitte pas de Jacques Brel au téléphone constitue l’une des scènes les plus déchirantes du film. Ici, point de danseurs, de jeux de lumières ou de mouvements qui impressionnent, juste la tragique simplicité d’un homme amoureux, anéanti par l’absence de réponse de celle qu’il aime. Au travers des chansons et mêmes des dialogues ( le fameux « Ce n’est pas ce que vous êtes venus voir » du Joker), cette notion de divertissement est continuellement interrogé, donnant un vrai sous-texte au film.

Une histoire d'amour singulière © Warner Bros. Entertainment Inc.
Une histoire d'amour singulière © Warner Bros. Entertainment Inc.
La musique, porte vers l'imaginaire © Warner Bros. Entertainment Inc.
La musique, porte vers l'imaginaire © Warner Bros. Entertainment Inc.

Enfin, Joker Folie à Deux s’assume totalement en rupture avec le film d’origine, passant d’un thriller psychologique dérangeant à une grande histoire d’amour tragique, empruntant la voie du film de prison, puis de procès. Voir ces deux êtres incompris tenter de s’aimer dans ce contexte offre une relecture surprenante de la romance et parvient à émouvoir par cette urgente utilisation de la musique comme plongée dans l’imaginaire.

Arthur Fleck et Lee Quinzel sont constamment dans ce besoin d’imaginaire, qu’ils érigent comme ultime tentative pour s’évader d’un réel qui ne les acceptent pas, et dans lequel ils ne veulent plus vivre. L’interprétation de Joaquin Phoenix impressionne une nouvelle fois, dingue, possédée et en même temps touchante dans ses moments de fragilité. La direction artistique de manière générale est sublime : le travail de la lumière est particulièrement époustouflant, tout comme le cadre, parfaitement composé.

Ainsi, après l’immense succès de Joker, les producteurs et la Warner ont laissé au cinéaste Todd Philips une liberté totale, ce qui lui a permis de réaliser un second film qui ose de très belles choses et qui se donne non seulement le permis d’étonner, mais aussi celui de décevoir par sa radicalité. Véritable cheval de Troie, film d’auteur déguisé, Joker Folie à Deux s’avère être un cas extrêmement rare dans les blockbusters américains d’aujourd’hui. Avec cette suite tant attendue, Todd Philips détruit constamment les attentes de son public et offre une réflexion méta sur ce que représente le Joker, à l’image de cette séquence finale où le Joker change de peau, comme les acteurs qui ont pu incarner ce personnage par le passé. Laissons le temps passer pour que les déceptions se calment et pour que ce beau film reçoive enfin la reconnaissance qu’il mérite, pour au moins avoir tenté de renverser les attentes, à l’image de son personnage.

Arthur riant encore des attentes du spectateur © Warner Bros. Entertainment Inc.
Arthur riant encore des attentes du spectateur © Warner Bros. Entertainment Inc.

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