Auréolé du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, La Passion de Dodin Bouffant nous emmène au cœur de la gastronomie française, aux côtés de Benoit Magimel et Juliette Binoche. En exclusivité, le réalisateur Tran Anh Hung nous livre la recette idéale pour rater un film.
Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.
Préparation
Tout d’abord, et tous les fins gourmets le savent bien : le plus important réside dans la préparation. Alors, sachez vous entourer d’une équipe compétente.
Le maître d’œuvre sera le véritable Monsieur Pierre Gagnaire qui vous assistera dans la confection de ce banquet. Toutefois, veillez à ce qu’il ne prenne pas trop longtemps la parole sous peine qu’affleure vite l’idée qu’être habile de ses mains ne fait pas nécessairement un bon comédien.
Aussi, une bonne cuisine est une cuisine judicieusement éclairée ! Privilégiez alors une lumière douce, chaude et charmante. Un peu comme dans ces tableaux de Vermeer, ou ces pubs La Laitière diffusées aux débuts des années 2000. Prêtez attention aux odeurs qui s’échappent des marmites, aux chants des ustensiles. Ce bruit de fond délicieux sera votre unique compagnon. Donc, pas besoin de rajouter de la musique aux fourneaux. Cela ne ferait que vous divertir inutilement.
Composition du menu
Et niveau menu ? Commencez avec une introduction forte, disons une entrée plutôt corsée qui vous permettra de faire étalage de vos talents, puis réduisez ensuite drastiquement la voilure.La cuisson des plats se fera à feu doux, très doux, presque au point d’amener l’intensité à son degré le plus faible. Ne tentez pas d’ingrédients qui puissent faire vriller le palais de vos hôtes, les emmener vers une quelconque surprise. Rien ne devra venir perturber cette paisible concoction.
Ah, si tout de même. Ajoutez une pincée de romance. Seulement une pincée, car cela serait regrettable que le plat vire épicé. Vous autoriserez quelques panures au coin du feu, sous la lune dans un bosquet nocturne entre votre chef et sa cuisinière, afin que l’équipe préserve son bien-être. Si vous vous montrez de bonne composition, ce petit velouté romanesque pourra s’achever par la confection d’un mariage printanier, pudique et sans remous. Attention, de la chair et de la braise promises dans l’intitulé du menu, vous ne garderez que le substrat raffiné.
Émincez également tout gramme de psychologie. Dodin et Eugénie sont des dispensateurs bénis de trésors gustatifs, des esthètes de la cuisine, des “napoléons de la gastronomie“ tout entiers dédiés à leur art. Ont-ils besoin de leurs désirs propres à part mitonner et servir d’agréables plats ? De quoi pourraient-ils donc souffrir puisque leur bonheur se trouve déjà au fond de l’assiette, entre les figues et l’agneau ?
Service
Place au service désormais. À votre table ne devront siéger que les convives prestigieux. Quelques notables amis de bon aloi, de bon goût, de bonne parole, qui sauront accompagner le Chef Dodin dans l’élaboration de savantes formules théâtrales. Naturellement, ils ne parleront jamais d’eux. L’on ne saura rien de leurs vies personnelles, des relations qui les ont unies, de leurs tracas intimes. C’est ainsi, et vous ne le discuterez pas. La gastronomie, comme le reste de la société, exige de l’ordre et de la distinction.
Car, c’est là un point sur lequel il faut insister, il ne faut jamais ouvrir la fenêtre de votre cuisine. Vous risqueriez de faire entrer le vent mauvais du dehors, du monde, de ses contradictions, de ses conflits. Ce lieu doit demeurer pur, immuable et hermétique à tout cela. Vous resterez isolés entre ces quatre murs nimbés de soleil et de tradition. D’où viennent vos produits ? Qui les fabrique et à quel coût ? Qu’éprouvent vos petites mains envers vous ? Ces questions sont autant de grumeaux qui n’ont pas leur place au sein d’une équipe dévouée comme la vôtre. Il ne faut surtout pas que l’harmonie se brise entre vos membres.
Enfin, en clôture de repas, n’oubliez pas de caraméliser votre dessert par une comptine inoffensive, une morale simplette afin de distraire la tablée. Tiens, pourquoi pas sur la transmission et le deuil ?
Voilà, vous pouvez servir. C’est prêt.
Si la chance vous sourit, votre menu sera peut-être même salué lors du somptuaire festin qui s’annonce fin février de l’an prochain. Même si cela serait quand même une sacrée surprise du Chef.
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