The Vengeance Trilogy est une trilogie cinématographique sud-coréenne thématiquement liée réalisée par Park Chan-Wook, comprenant Sympathy for Mr. Vengeance, Oldboy et Lady Vengeance. Chaque film traite des thèmes de la vengeance, de l’éthique, de la violence et du salut. Apparue dans les années 2000, cette trilogie marginale s’inscrit dans une série de productions à contre-courant du conformisme de l’industrie cinématographique de l’époque.

Depuis plus de vingt ans, le cinéma coréen rafraîchit l’industrie cinématographique mondiale. Si la Corée du Sud a longtemps été soumise à la répression autoritaire, sa culture se libéralise au milieu des années 1990. En conséquence, le cinéma s’ouvre à une génération de jeunes réalisateurs, qui s’affranchissent alors de l’art académique pour laisser s’exprimer leur profond désir de changement. Le cinéma politique et le cinéma de genre marchent ainsi main dans la main pour fonder « la Nouvelle vague ». À l’instar de Bong Joon-Ho, mondialement salué pour Parasite, le cinéma de genre coréen nous fait voyager au coeur d’un monde où violence et vengeance prévalent. Sous-genre cinématographique ambiguë, le Revenge Movie classique se construit scénaristiquement autour d’une relation rivale entre un protagoniste civilisé, auquel le public se rattache, à un antagoniste détestable et corrompu. 

Au temple des revenge movies, OldBoy, sorti en 2003, siège parmi les grands classiques du cinéma. Si Oldboy a bénéficié d’un franc succès sur la scène cinématographique mondiale, il n’est en fait nul autre que le deuxième volet d’une trilogie sanglante signée Park Chan-Wook, figure emblématique de la nouvelle génération. Les trois volets ne sont pas interdépendants mais se fondent toutefois sur le même thème : la vengeance. 

De Kill Bill à Joker plus récemment, la vengeance est une thématique populaire, et a toujours fait partie du paysage cinématographique. À juste titre, c’est notamment à Park Chan-Wook que l’on confère le statut de pionnier du sous-genre, lequel il ne s’est jamais contenté d’effleurer. Tout au long de sa trilogie, il abandonne en effet une exploitation conventionnelle de la vengeance pour enquêter sur ses diverses couches, de sa complexité morale à sa dualité. Manifestement, l’efficacité et la virtuosité de Park Chan-Wook dans son traitement de la vengeance n’ont dès lors jamais été égalées par ses collègues contemporains.

Maître de mise en scène, Park Chan-Wook se saisit d’une trivialité viscérale dans son style visuel, donnant lieu à des scènes qui avoisinent le sadisme. Indifférent à l’effet que celles-ci peuvent provoquer chez le spectateur, le réalisateur le tourmente corrélativement à ses personnages. Le vice logé dans les crevasses de la société et la violence insensée rendent éprouvant leur périple vers la quiétude à laquelle ils aspirent tant. Auto-destruction, cruauté maladive, éthique, violence ou salut sont autant de fragments de la vengeance, dont découlent enjeux moraux et dangereuses conséquences vis-à-vis d’autrui. Chez Park Chan-Wook, la vengeance se définit bien au-delà qu’un plat qui se mange froid.

SYMPATHY FOR MR VENGEANCE

Malgré une réception critique fort mitigée, Sympathy for Mr Vengeance brasse un grand nombre de composantes du concept de vengeance, faisant de lui l’introduction rêvée à cette trilogie.

Ryu est un employer d’usine sourd et muet, dont la sœur est en attente d’une greffe de rein. Quand Ryu perd son emploi et voit diminuer les chances d’opération de sa sœur, sa petite amie lui propose de kidnapper la fille de son ex-patron, Dongjin. En contre-partie, il exigerait une rançon à la hauteur du coût de l’intervention qui sauverait sa sœur du trépas. Ce qui semblait être de prime abord le plan parfait tourne au désastre, déclenché par la noyade de la fille de Dongjin. De son côté, Ryu se réveille dépossédé de l’un de ses reins et de l’argent qu’il avait récolté. Il n’est alors animé que par l’idée de se venger de ceux qui l’ont lésé.

Dans la première partie du film, Park Chan-Wook établit une proximité avec Ryu, personnage avec lequel l’audience compatit aisément : ses actes et ses motivations semblent éthiques. À l’inverse, la seconde partie noue avec une atmosphère plus morose et barbare. Avec Sympathy for Mr Vengeance, Park Chan-Wook pose les bases d’une trilogie d’une virulence déconcertante. Rude dans sa mise en scène, le cinéaste sud-coréen porte ici la violence à son paroxysme, laquelle prend de l’ampleur à mesure que le récit s’assombrit. Les images gores assez sauvages qui torturent l’estomac du spectateur ne sont pourtant que le reflet du propos de l’œuvre qui dénonce la cruauté humaine. Il est ici question de personnages avides de vengeance, qui sèment la chaos autour d’eux plutôt que de finir à satiété. La vengeance n’est jamais qu’un faux idéal qui s’étale au fil du film, et le protagoniste un anti-héros au passé tumultueux, prêt à l’impensable pour en réparer les dommages.

Si le malaise naît de la brutalité visuelle, la structure narrative l’attise. Dans Sympathy for Mr Vengeance, la perspective dualiste et la question de la morale sont entreprises sous le prisme d’une écriture singulière. Si l’on croit suivre la vengeance de Ryu, la deuxième partie nous confronte à un second personnage revanchard. Père de la jeune fille noyée, il traque lui-même Ryu et sa petite amie. Dongjin torture cette dernière jusqu’à la mort, donnant naissance à l’une des scènes insoutenables à regarder et à écouter, au moyen d’un usage malin des sons. En guise de dernier acte, Dongjin finit par tuer Ryu dans le même point d’eau où sa fille s’est noyée. Face à deux combats qui s’entrechoquent, lesquels nous estimons fondés et légitimes, Park Chan-Wook nous tiraille en tant que spectateurs : à qui doit-on s’identifier ? Effectivement, ce premier volet est volontairement décousu et à double sens.

À l’instar de la trilogie elle-même dont il est l’ouverture, Sympathy for Mr Vengeance ne doit pas être confié à n’importe qui. Pendant plus de deux heures, Park Chan-wook manipule le spectateur et s’en donne à coeur joie, en superposant deux histoires de vengeance. Il place ainsi son audience dans une posture très incommode. Si le choix se situe entre celui qui, en dépit de sa motivation honorable d’épargner sa soeur condamne une enfant à la mort, et celui qui pour venger la mort de son enfant va jusqu’à la torture viscérale, il devient rapidement délicat d’approuver son attachement. En résulte dans les deux cas la confrontation à la mort, finalité inéluctable de tout acte de vengeance. Éternel tissu de causes à effets, le désir de vengeance entraîne une suite de décisions qui s’effondrent sur elles-mêmes et une chaîne infernale de violence alimentée par des individus qui s’improvisent justiciers.

D’autre part, il y a un contraste frappant entre les motivations des protagonistes, et leurs actes cathartiques. En effet, Park Chan-Wook développe ce dualisme en discutant de tout et son contraire, à commencer par la bonté face à la bestialité humaine, pour mieux illustrer les choix et les combats auxquels les personnages doivent opérer. « I know you are a good man but you know why I have to kill you ». Critique d’une société en pleine transition, le tragique Sympathy for Mr Vengeance est donc aussi gracieux que grossier dans son traitement du social. Finalement, Park Chan-Wook n’impose pas au spectateur de se ranger du côté de tel ou tel personnage, mais simplement d’éprouver de la sympathie pour quiconque incarnerait ce « Mr Vengeance ».

OLDBOY

À l’endroit où Sympathy for Mr Vengeance fut un échec critique et économique, OldBoy conduit Park Chan-Wook au sommet du succès, lui garantissant une place aux-côtés des cinéastes les plus reconnus. Sorti un an après son prédécesseur, OldBoy retrace l’histoire de Oh Dae-Su, fonctionnaire et père de famille banal, mystérieusement séquestré pendant quinze longues années sans en connaître les causes. Quand il est soudainement libéré, il ne vit que pour rendre la monnaie de sa pièce. Son ravisseur, l’impénétrable Woo-Jin qui ne tarde pas à révéler son identité, profite de sa fragilité pour lui proposer d’enquêter sur les raisons de son incarcération, lui cédant pour unique indice le proverbe suivant : « le caillou et le rocher coulent dans l’eau de la même manière ». 

Là où Sympathy for Mr Vengeance posait la question « de qui se venger ? », ici on se demande « qui se venge et pourquoi ? ». Entreprenant la lecture du dualisme, Park Chan-Wook réinvente le cinéma d’enquête avec une interrogation à double-tranchant. 

Pendant quinze ans, Oh Dae-Su fantasme sur sa vengeance, alors que Woo-Jin compose un plan pour le sanctionner. Jusqu’au cataclysme, le public se retrouve en Oh Dae-Su. L’épopée se dessine à travers son seul regard, nous progressons avec lui dans son projet de vengeance. En nous protégeant ainsi des révélations finales, Park Chan-Wook garantit le coup de massue.

D’abord, Woo-Jin révèle à Oh Dae-Su que ce dernier se trouvait aux fondements d’une rumeur soupçonnant celui qui était son camarade de classe et sa sœur d’inceste. Seulement, une portée dramatique émane de ce que Oh Dae-Su ne pensait être qu’un bruit de couloir. Atterrée par la situation, la sœur de Woo-Jin s’est donnée la mort. De fait, en laissant grandir la jeune Mi-do loin des yeux de son père qui n’est autre que Oh Dae-Su, et les programmer à une attirance mutuelle, Woo-jin l’astreint à se mettre à sa place. Du point de vue de Woo-jin, la sentence de Oh Dae-su est tout aussi grave que le suicide de sa sœur. Les voilà quittes. Park Chan-wook construit là un des plot twist les plus déstabilisants de l’histoire du cinéma. Si le cinéaste refuse de tenir la main de son audience, il choisit de l’impliquer émotionnellement en le trompant, parallèlement à son protagoniste. Il ne s’agit pas de la vengeance de Oh Dae-Su, mais bien de celle de Woo-Jin.

Alors confronté à l’hypocrisie de la nature humaine, Oh Dae-Su ne peut que s’en vouloir qu’à lui-même. Incontournable, cette scène révèle de fait la capacité de l’être humain à rejeter la faute sur autrui, à défaut d’assumer ses propres fautes. Individualiste et narcissique, l’homme ne vit que pour satisfaire son ego, quitte à réduire son environnement en cendres. Esclave de son propre désir de vengeance, Oh Dae-Su est accablé par la violence et la solitude. « Vengeance has become a part of me ». Cercle vicieux et infernal dont on ne peut s’extraire, la vengeance est redoutable. À l’image du final de Sympathy for Mr Vengeance, la mort est un résultat intrinsèque à l’acte de vengeance : si Woo-Jin se suicide une fois son plan mené à bien, il s’exécute sous le regard de Oh Dae-Su, anéanti par la honte de l’inceste.

Park Chan-Wook manifeste une incontestable animosité envers son personnage principal, l’éloignant de la rédemption à laquelle il aspirait. Il le pousse sans cesse dans ses retranchements, jusqu’à l’acte final : sa vie est gâchée, et la survie de son bourreau n’en dépend pas. Après quinze ans enfermé et livré à lui-même, il n’a rien appris. L’égoïsme le dévore et il continue de fourrer son nez dans les affaires des autres, en outrepassant sa propre remise en question. Ainsi, le personnage de Oh Dae-Su symbolise le miroir des dysfonctionnements de notre société moderne, où la curiosité malsaine dépasse les individus alors écartés de leur quête à devenir meilleurs. En tant qu’audience, nous sommes sollicités à porter un regard attentif et critique sur nous-mêmes.

SYMPATHY FOR LADY VENGEANCE

Œuvre conclusive de la trilogie, Lady Vengeance expose une ultime couche du concept de vengeance, deux ans après Old Boy. Pareillement à ses prédécesseurs, Lady Vengeance s’engouffre dans les méandres de la vengeance, adoptant néanmoins une tournure étonnante. Nous suivons Lee Geum-Ja, injustement inculpée pendant treize ans pour le meurtre d’un enfant. Dès les premières minutes, la protagoniste sort de prison, et se lance aussitôt à la recherche du vrai coupable, Mr Baek. Ici, Park Chan-Wook épluche la vengeance plus subtilement. L’héroïne ne cherche pas tant à se venger, mais plutôt à signifier son innocence et se donner bonne conscience. Terrain d’exploitation de thématiques inédites au sein de la trilogie, Lady Vengeance remue repentance, féminité, religion, charité et deuil.

La majorité du film amène le spectateur à croire que Lee Geum-Ja est la seule titulaire de ce désir brûlant d’éliminer le responsable de la mort de l’enfant, pour laquelle elle a été condamnée. Lorsqu’elle réalise que Mr Baek est un criminel à l’origine du kidnapping et de l’assassinat de pas moins de cinq enfants, Lee Geum-Ja dédramatise sa peine. Ouvrant à l’étude de l’acte de charité et de solidarité, celle-ci convainc les parents des victimes à se rassembler afin de leur offrir le droit de punir « le monstre ». Une fois le choix commun de la torture exécuté, nous ne sommes plus témoins de la vengeance de Lee Geum-Ja mais d’une vengeance collective et partagée, laquelle n’est pas incitée par l’assujettissement à la violence mais plutôt par le chagrin de parents en deuil. D’ailleurs, la seule personne qui perd le contrôle dans son initiative s’avère être Lee Geum-Ja, qui choisit de tirer sur le cadavre de Mr Baek plutôt que de faire durer le châtiment. Dans ce volet décisif, Park Chan-wook s’intéresse à la vengeance comme exutoire : par l’entremise de la mutilation, les parents endeuillés ont l’intention de soulager plusieurs années de peine.

À l’inverse des deux films précédents, Lady Vengeance se vêt de burlesque par un style visuel qui emprunte au surréalisme, brisant astucieusement le quatrième mur. Ainsi, le film rompt avec le caractère oppressant, sanguinaire et funeste des deux précédents. Bien que la violence ne déserte pas complètement la narration et la mise en scène, Lady Vengeance est indubitablement le film le moins féroce de la trilogie. En revanche, il bouscule par la poésie et l’esthétique qui déguisent la violence, mis en lumière lors de la séance de torture. Si le réalisateur épargne visuellement le spectateur de la scène qui avait le potentiel de devenir la plus gore et écoeurante de la trilogie, il joue toutefois sur l’émotionnel et le psychologique. Là aussi, Park Chan Wook se montre hostile à la passivité du public, car il l’invite plutôt à visualiser l’horreur de la scène de lui-même, ce qui intensifie la répulsion.

Enfin, Lady Vengeance analyse une nouvelle facette de la vengeance, absente des deux segments précédents : la « justice immanente » ou « justice poétique ». Porté par cet idéal de justice, Lady Vengeance nous ôte tout sentiment de compassion pour un homme qui n’en n’est pas digne. Ses actes doivent être sanctionnés, qu’importe les moyens. C’est l’essence même de la justice immanente : la vertu est récompensée, et le vice sévèrement puni.  « Listen carefully. Everyone make mistakes. But if you committed a sin, you have to make an atonement for that sin. Atonement, do you know what that means? Big Atonement for big sins. Small Atonement for small sins. » Park Chan-Wook teinte ainsi ce troisième opus d’une touche plus humaniste, et d’une once tendresse à l’égard de ses personnages.

Finalement, Park Chan-Wook ne raconte jamais une histoire de vengeance à travers ses personnages. Le personnage principal de la trilogie c’est la vengeance elle-même. Park Chan-Wook dresse le portrait complexe de la vengeance, et non pas des personnages qui la recherchent. Ceux-ci ne sont qu’intermédiaires pour la raconter. Confrontés à un destin prédéterminé auquel ils ne peuvent échapper, les protagonistes plongent dans un éternel tourbillon de culpabilité, de colère et de violence. Les trois notions sont corrélées : une mort entraîne une autre, la culpabilité prend la forme de la violence, et la vengeance s’auto-nourrit. 

Jusqu’où est capable d’aller l’être humain pour satisfaire son ego, alors qu’il détruit ses relations et qu’il peine à trouver sa place dans la société ? Faire justice soi-même permet-il le salut ?

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