Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
? Réalisateur : David Fincher
? Casting : Brad Pitt, Edward Norton, Helena Bonham Carter…
? Genre : drame, thriller
? Sortie : 10 novembre 1999 (France)
Synopsis : Le narrateur, sans identité précise, vit seul, travaille seul, dort seul, mange seul ses plateaux-repas pour une personne comme beaucoup d’autres personnes seules qui connaissent la misère humaine, morale et sexuelle. C’est pourquoi il va devenir membre du Fight club, un lieu clandestin ou il va pouvoir retrouver sa virilité, l’échange et la communication. Ce club est dirigé par Tyler Durden, une sorte d’anarchiste entre gourou et philosophe qui prêche l’amour de son prochain.
Le pour
Antoine C.
Fincher et l’esprit corrosif de la contradiction
Dire que Fight Club est une oeuvre culte est enfoncé une porte ouverte. Immense flop à sa sortie, le film de Fincher a connu ses heures de gloire, devant un objet culte pour une génération de cinéma, glorifiant sa violence subversive : mais faut-il résumer ce film à cet aspect ?
Adaptation (fidèle) du roman éponyme de Chuck Palahniuk, pamphlet brûlant sur l’Amérique des années 90, Fight Club transpire l’esprit de Fincher : froid, corrosif, en décalage avec la bienséance, le film est un exercice stylistique pour le réalisateur. Pourtant, derrière cette violence notable à l’écran se cache bien plus de choses qu’on ne le soupçonne.
Ce n’est pas le genre de Fincher de faire du banal divertissement : en happant son spectateur par cette violence esthétique dont il n’est pas habitué, il reprend ce qui faisait la force réflexive de l’oeuvre de Palahniuk ; Fight Club nous questionne sur notre confort de vie, notre passivité face à un monde qui nous contrôle plus que nous-même, et nos yeux que l’on ferme sur certaines choses de la société. Fight Club est une sonnette d’alarme : comme le narrateur, Fincher nous somme de reprendre le contrôle de notre vie, de nous accomplir par nous-même ; il en va de la survie de notre espèce. Anti-conformiste, Fight Club ne se contente pas d’être un banal pamphlet humiliateur : il nous encadre dans sa réflexion pour nous ouvrir progressivement les yeux, nous laissant le choix final d’accomplir ou non sa boucle.Pour une réussite spirituelle, il faut une réussite technique : Fincher livre peut-être son meilleur travail de mise en scène perfectionniste. Toujours précis, jamais inutile, le réalisateur crée une émulsion créative qui sert Edward Norton et Brad Pitt, qui y trouve leurs meilleurs rôles, tout en oeuvrant par et pour son récit. Face à l’esprit corrosif de la contradiction, Fincher choisit le parti de l’intelligence ; il divertit pour faire réfléchir, émerveille pour mieux guider. Là est le propre du grand film ; Fincher maîtrise tout ce qui fera de Fight Club une immense oeuvre, lui offrant la spiritualité nécessaire pour s’élever. Car Fight Club n’est pas qu’un banal film de bagarre ; c’est la synthèse de ce que le cinéma a de plus beau et de plus grand à nous offrir, un film où l’émotion marie la réflexion pour le bonheur de celui qui acceptera de se jeter l’esprit ouvert dans la grandeur et la décadence du cinéma de Fincher.
Le contre
Fight Club, éternelle adolescence
Thomas G.
Il est de ces œuvres cinématographiques dont la simple évocation est prompte au déchaînement des plus virulentes passions. Fight Club est de celles-là, et qu’on en soit adorateur ou conspueur, difficile de rester indifférent à un film dont le fond et la forme sont frappés du sceau du nihilisme et de l’anticonformisme. Mais de ce tortueux pamphlet sur la société de consommation, que reste-t-il aujourd’hui ? Constat sur cette société à l’aune d’un nouveau millénaire, le film de David Fincher n’aurait-il pas, à son corps défendant, succombé à l’épreuve du temps ? Rien n’est plus sûr, si ce n’est l’identité de Tyler Durden.
Au-delà d’une partielle analyse contextuelle, il convient d’admettre que Fight Club, techniquement parlant, est d’une maîtrise absolument indéniable. Sorti tout droit de l’esprit du perfectionniste maladif David Fincher, le film se dote d’une ambiance poisseuse, marquant la déchéance d’une société dont les membres les plus insignifiants sont abandonnés, errant, tels de vulgaires pestiférés. Du montage à la musique et jusqu’au jeu d’acteur, tout est savamment poli par un Fincher sûr de lui, en pleine possession de ses moyens de cinéaste.
Mais pour accéder au firmament du Septième Art, il est une étape à franchir : celle du Temps. Imperturbable, impitoyable, seul le Temps donne à certains films un parfum d’éternel, parfum que Fight Club ne pourra jamais humer.
Car d’équivalent à cette maîtrise technique, il n’y a bien que la désuétude dans laquelle le film s’est vautré. Outre un twist dont l’extase qu’il provoque force l’étonnement, le film est le reflet macabre de sa propre époque, ce qu’il réussit avec brio ; mais 20 ans plus tard, le film perd de sa saveur tant la société qu’il évoquait a pris des chemins tout aussi lugubres mais ostensiblement différents. Nightcall et sa plus grande radicalité, La Nuit nous appartient et la chute désespérée d’une société aux membres sclérosés, ou même Gone Girl, du même réalisateur, plus sordide ; nombre d’oeuvres ont poussé plus loin, ou dans des directions différentes, le message que portait Fight Club. Dès lors, pourquoi octroyer un statut culte à un film dont le message n’est que le miroir partiel de son époque ? Une oeuvre dont la résonance aura à peine dépassé les frontières du IIIème millénaire ?
Si l’on reconnaît sans sourciller ses qualités filmiques, reste que Fight Club aura laissé dans l’Histoire une trace trop importante pour la portée d’un message auparavant radical, semblant aujourd’hui bien terne et dépassé.