Normalement aujourd’hui, c’est le jour du relâchement : celui du vendredi. Tous les ans c’est pareil, on voit le festival reprendre son souffle avant la dernière ligne droite et la cérémonie de clôture du samedi. L’année dernière on avait vu Manodrome, la projection la plus chaotique à laquelle on a pu assister depuis qu’on vient au festival, ce qu’on ne souhaite pour rien au monde à La Cocina et Daddio, les deux derniers films projetés en compétition cette année. Ce sont nos derniers espoirs, nos dernières chances de trouver un peu de couleur dans cette compétition pour l’instant sans le formidable ou l’exceptionnel. La journée commence quand même avec une salle qui ouvre dix minutes plus tard que prévu. On croise les doigts.

La Cocina (Compétition)

Première proposition vraiment intéressante de la compétition. Après douze films, on ne l’attendait plus. La Cocina repartira avec un prix, au moins, car c’est un film à la vision unique qui ne reprend pas les codes auxquels se plient la majorité des autres films de la compétition. En effet, on a l’impression de revoir les mêmes scènes en boucle. Dans certains films, c’en est troublant. Noir et blanc claustrophobique en 4:3 ne s’ouvrant qu’en dehors de la cuisine, le mélange des langues, des tâches et des personnages nous emportent dans cette valse chaotique, celle de la productivité, de l’amour, du sentiment d’appartenance. Au milieu du film, il y a un plan séquence de quinze minutes pendant l’heure de pointe, le moment où toute la cuisine est en panique et où tout le monde patauge dans cinq centimètres de Coca Cherry, un des nombreux coups de génie disséminés un peu partout dans le film.

Rooney Mara et Oded Fehr dans La Cocina © Fifth Season
Rooney Mara et Oded Fehr dans La Cocina © Fifth Season

Daddio (Compétition)

Un huit-clos dans un taxi ne va pas changer le monde. Le film est forcément limité par son exercice et par l’habitacle, malgré ses efforts pour faire évoluer l’arène (seul essai : arrêt du taxi pendant 20 minutes dans les bouchons). Alors forcément, on se rattache aux visages des acteurs : Dakota Johnson et Sean Penn, qui déclament à merveille les superbes tirades qu’on leur a écrit. Ça nous rappelle presque The Guilty, mais qui ferait dans la tristesse plus que dans la tension. Le film termine quand même assez fort pour nous laisser une empreinte durable, les personnages sont attachants, on a pas envie de ne pas les aimer. C’est un film qui trace sa route sereinement, sans faute…ça peut gagner quelque chose.

Dakota Johnson et Sean Penn dans Daddio © LEONINE
Dakota Johnson et Sean Penn dans Daddio © LEONINE

On a du temps à tuer avant ce soir, alors on prend un verre au Normandy, et on voit Benoit Magimel passer précipitamment avec son jus d’orange et Martin Bourboulon qui avait oublié ses notes. Le jury se regroupe alors dans une salle secrète pour délibérer et rendre son verdict demain, à la cérémonie du palmarès. On quitte l’hôtel et on va chercher notre place, pour – on ne le savait pas encore – ce qui allait être notre plus grande soirée depuis que l’on vient à Deauville.

Séance du soir

Il y a un steadicam sur le tapis rouge. Des bobines de pellicule sont attachées au dos de la caméra : ce n’est pas le signal télé. L’ouvreuse nous bloque, on s’agglutine devant l’entrée. Un homme avec un talkie-walkie s’affaire dans tous les sens. Et puis, l’une des deux personnes qu’on semble filmer se retourne vers la caméra : c’est Stellan Skarsgård. D’un coup ça s’affole, on ouvre la barrière, on entend un « ACTION ! » dans le lointain, la caméra se met en marche, l’ouvreuse a à peine le temps de nous dire que nous sommes désormais des figurants que nous voilà sur le tapis à marcher aux côtés de l’équipe technique et des interprètes. Pour quelques secondes seulement, nous rejoignons le CID où nous retrouvons le reste de l’équipe technique, regroupé derrière le retour vidéo. C’est Joachim Trier, qui filme son prochain métrage, A Sentimental Value avec Renate Reinsve, Elle Fanning et Stellan Skarsgård, comme on l’a vu plus haut.

Installés dans nos sièges, on peut voir l’acteur s’accouder, rêveur, au balcon. Le réalisateur arrive derrière lui et explique la scène en agitant les bras et en lui montrant des points de repère. L’équipe installe la caméra juste à côté de nous, de quoi nous divertir de l’armée qui venait de fouler le tapis rouge. Au même moment, pour les 50 ans du festival, 14 anciens présidents de jury s’avançaient vers les caméras. Alice Belaïdi, Audrey Dana, Guillaume Canet, Rebecca Zlowtoski, Audrey Pulvar, Elodie Bouchez, Benoit Magimel, Claude Lelouch, Costa Gavras, Pierre Lescure, Jean-Jacques Annaud, Christophe Honoré, Mélanie Thierry et Clémence Poésy, sont bientôt rejoints par le réalisateur de Megalopolis, Francis Ford Coppola.

La compétition à Deauville se termine en fanfare, de quoi nous faire attendre encore quelques heures avant le verdict, apparemment déjà décidé. C’est Benoit Magimel qui a failli vendre la mèche sur la scène ce soir. Mais non, il faut attendre Natalie Portman pour ça.

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