Bohemian Rhapsody, biopic musical américain de 2018 réalisé par Bryan Singer avec Rami Malek, Ben Hardy, Aidan Gillen

Synopsis : Bohemian Rhapsody retrace le destin extraordinaire du groupe Queen et de leur chanteur emblématique Freddie Mercury, qui a défié les stéréotypes, brisé les conventions et révolutionné la musique. Du succès fulgurant de Freddie Mercury à ses excès, risquant la quasi-implosion du groupe, jusqu’à son retour triomphal sur scène lors du concert Live Aid, alors qu’il était frappé par la maladie, découvrez la vie exceptionnelle d’un homme qui continue d’inspirer les outsiders, les rêveurs et tous ceux qui aiment la musique.


Rocketman, comédie musicale britanniquo-américaine de 2019 réalisée par Dexter Fletcher avec Taron Egerton, Richard Madden, Tate Donovan, Jamie Bell…

Synopsis : Rocketman nous raconte la vie hors du commun d’Elton John, depuis ses premiers succès jusqu’à sa consécration internationale.
Le film retrace la métamorphose de Reginald Dwight, un jeune pianiste prodige timide, en une superstar mondiale. Il est aujourd’hui connu sous le nom d’Elton John.
Son histoire inspirante – sur fond des plus belles chansons de la star – nous fait vivre l’incroyable succès d’un enfant d’une petite ville de province devenu icône de la pop culture mondiale.

Deux immenses stars du rock dont les biopics les concernant sortent à quelques mois d’intervalle : il eut été saugrenu de ne pas consacrer un épisode de notre rubrique Versus à deux films que beaucoup d’éléments rapprochent, à commencer par leur réalisateur, Dexter Fletcher, qui a œuvré sur la fin du tournage de Bohemian Rhapsody après le départ forcé de Bryan Singer et qui est ensuite parti réaliser Rocketman, un projet qui lui tenait donc bien plus à cœur ; mais également leur sujet, et la façon de le traiter. Mais trêve de flagorneries ! Qui tire son épingle du jeu ? Qui échoue là où l’autre réussit ? Plongeons ensemble dans la vie de deux légendes, deux icônes du sex, drug and rock’n’roll

Freddie Mercury (Rami Malek) et Elton John (Taron Egerton)
© Alex Bailey/Fox ; David Appleby/Paramount Pictures

Il est toujours difficile d’examiner une performance d’acteur tant les manières de se mettre en scène sont multiples et leur appréciation assez subjective. Mais on peut noter une certaine différence dans la manière dont Rami Malek et Taron Egerton se sont appropriés respectivement Freddie Mercury et Elton John.
Le premier, qui a été récompensé d’un Oscar pour sa performance, a choisi d’aller vers une imitation de son personnage, reprenant ses mimiques, ses expressions faciales, sa manière de s’exprimer et de se mouvoir, sans réellement créer sa propre version. Qu’il soit clair que cela ne constitue en rien un défaut et qu’il s’agit ici d’une appréciation émotionnelle purement subjective. Mais il parait plus intéressant de saluer la performance de Taron Egerton qui, loin de se limiter à être une copie filmique d’Elton John, s’est totalement approprié son personnage et a crée un véritable protagoniste de cinéma, qui reprend bien sûr les manières de son équivalent dans notre monde mais qui devient tout de même un personnage de cinéma à part entière. Et cela jusque dans la performance vocale, puisqu’elles sont toutes interprétées par l’acteur lui-même et non le fruit d’un playback.
Imitation vs. appropriation, pour deux performances remarquables qui marquent le spectateur en son for intérieur. Prenant cela en compte, on ne peut tout de même qu’applaudir le travail d’Egerton sur son personnage, qui a livré sa propre version d’un Elton John toujours aussi déluré, mais pas moins empli des fêlures qu’on lui connait.

On l’a évoqué, le réalisateur Dexter Fletcher a été à l’œuvre sur les deux films. Et l’on sent tout de même une grande différence d’investissement entre les deux longs-métrages notamment dans le rapport entre réalité et fiction. Dans Bohemian Rhapsody se faisait souvent ressentir l’influence de Brian May et Roger Taylor, notamment dans un montage qui les mettaient parfois inutilement en avant. Quoi qu’il en soit, le film a en soi pâti d’une malhonnêteté intellectuelle dans son récit en se permettant de romancer certains aspects de la vie de Mercury pour rendre le tout plus convenable aux membres du groupe et plus classique cinématographiquement parlant. Si nous ne sommes pas assez connaisseurs de la carrière d’Elton John pour l’affirmer entièrement, reste que Rocketman semble être bien plus proche de la réalité et surtout souhaite montrer le personnage sous ses aspects les moins glorieux et ses défauts les plus sombres. Véritable diva, accro à toutes sortes de drogues, empreint d’une certaine mégalomanie… Le film présente la réalité sans fard derrière le génie, l’homme blessé derrière l’artiste. Ce que faisait également Bohemian Rhapsody mais avec, semble-t-il, beaucoup moins de rigueur dans son récit et une volonté de travestissement de la réalité, permettant la satisfaction des membres du groupe quant au résultat final et la mise en place d’une récit fictionnel plus que d’un véritable biopic ; là où Elton John semble avoir laissé une relative carte blanche à Dexter Fletcher et avoir seulement agi en tant que consultant, car on ne ressort pas de Rocketman sans s’être interrogé sur les déboires du génie musical, preuve que le film n’est pas uniquement une ode à la carrière du chanteur.

Freddie Mercury (Rami Malek)
© Twentieth Century Fox

Cela se voit aussi dans le traitement de l’homosexualité des deux protagonistes. Rocketman ne rechigne en effet jamais à exprimer à l’écran les tourments amoureux de son personnage et à quel point cela a pu être une douleur, quand Bohemian Rhapsody semble toujours réticent à en faire un point d’intrigue important. Or, il est assez malvenu de ne pas évoquer ce point essentiel dans la vie des deux rock stars, à une époque où elle n’était pas aussi acceptée qu’elle peut l’être aujourd’hui. Rocketman ne lésine pas sur les scènes la présentant, mais n’en fait pas uniquement un élément de simple habillage qui aurait pu rapidement en faire quelque chose de cynique, développe son personnage autour de celle-ci et montre à quel point assumer sa sexualité a pu être pour Elton John très douloureux, notamment dans ses rapports familiaux qui sont toujours le théâtre de très belles scènes, où resplendit une Bryce Dallas Howard inattendue. Bohemian Rhapsody manque d’un tel intérêt sur ce point qu’on en vient à se demander si cette manière de l’éluder n’est pas une volonté assumée de ne pas évoquer ce qui est pourtant un pan essentiel de la vie du chanteur. Les zones d’ombre d’Elton John sont ainsi exprimées sans détour et sans la pointe de cynisme malvenue que possède la présentation de celles de Freddie Mercury.

Beaucoup de choses, on l’a vu, séparent les films. Mais il serait erroné de penser que Rocketman et Bohemian Rhapsody ne possèdent pas en leur sein des caractéristiques communes.
En effet, les deux films sont dans leur construction narrative extrêmement proches. Fonctionnant tous deux sur le principe du rise and fall (qui consiste à montrer l’ascension d’un personnage afin de le faire chuter, ce qui est gage pour lui d’un apprentissage et d’un gain de sagesse, ou l’amorce d’une certaine tragédie), ils sont donc assez classiques dans leur déroulement, faisant évoluer les protagonistes au gré des personnes qui les entourent et des relations qu’ils forment, avec ce que cela amène comme dilemmes et comme construction d’un personnage complexe. Cela notamment dans le rapport à la famille, que Rocketman développe tout au long du film, ou dans le rapport à une industrie véreuse, docile dans un premier temps et carnassière au moment opportun, illustré par le personnage de John Reid présent dans les deux films (il est d’ailleurs amusant de noter que le même personnage est interprété par deux acteurs ayant fait leurs armes dans la série Game of Thrones : Richard Madden dans Rockteman, qui incarnait Robb Stark, et Aidan Gillen dans Bohemian Rhapsody, qui incarnait Littlefinger). Ainsi, de manière assez commune, le personnage principal se voit changé et questionné par son entourage, ce qui est souvent l’occasion de belles séquences.

Mais dans sa construction, Rocketman va se montrer, à l’image de son personnage, bien plus libre et déluré. Alors que Bohemian Rhapsody va pour sa part mettre en place un diptyque narratif centré autour, d’une part, des performances et de la génèse des tubes de Queen, et des moments plus intimistes, Rocketman sera plus frais et moins rigide.

Elton John (Taron Egerton)
© David Appleby/Paramount Pictures

Et c’est par le genre que les films s’octroient que va s’opérer leur principale différence : s’ils conservent intrinsèquement une nature de biopic, Bohemian Rhaposdy prendra bien moins de risques dans ce domaine en l’adaptant juste à son histoire centrée sur la musique, alors que Rocketman va en fait être une véritable comédie musicale autour du personnage de Taron Egerton. Et l’utilisation des chansons va ainsi s’en retrouver plus pertinente, puisqu’elles habilleront simplement le film pour l’un, alors qu’elles seront vectrices d’émotions fortes et retrouveront leur sens premier pour le second, en illustrant les pensées et émotions du personnage tout au long de sa vie. Et ainsi, Rocketman trouve dans ses chansons une force émotionnelle décuplée qui en font un véritable outil cinématographique, là où celles de Queen ne seront pour Bohemian Rhapsody que le moyen de créer une émotion factice basée sur la nostalgie et l’amour desdites chansons.

Mais que retenir au final d’une comparaison qui pourrait paraitre peu pertinente ? C’est surtout l’idée qu’à sujet commun (la carrière d’un artiste rock légendaire dont la sexualité et les rapports sociaux ont souvent été source de douleurs et dont la différence est autant une force qu’une faiblesse), traitements multiples, et que l’on peut raconter la même histoire de mille manières, et qu’il est très facile de rater le coche.
Là est la différence finale : Rocketman est plus frais, plus drôle, ose, ne cache pas ses défauts derrière une imagerie légendaire, propose une vision nuancée d’un artiste de génie mais pas exempt de zones d’ombre. Tout ce que Bohemian Rhapsody ne fait pas, se permettant de manipuler une réalité déplaisante et étant l’exemple parfait d’un système coercitif qui ne laisse pas s’exprimer pleinement l’aspect artistique.
Elton John 1 – Freddie Mercury 0.


Note (Bohemian Rhapsody)

5/10

Note (Rocketman)

8/10

Plus drôle, plus frais, plus osé, plus dynamique, Rocketman réussit là où Bohemian Rhapsody échoue, rendant le plus bel hommage possible à Elton John, et illustrant à merveille la différence entre un biopic musical qui a pour mantra le respect d’un artiste de génie et un biopic empreint de cynisme. Une belle réussite contre une franche déception.


Bande-annonce (Bohemian Rhapsody)

Bande-annonce (Rocketman)


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