Après l’échec public « Rumba la vie », Franck Dubosc revient avec une comédie policière qui frotte la neige avec le sang. Son meilleur film.
Franck Dubosc : Profession inconnue
Il faudrait lui ouvrir le crâne. Se munir d’instruments de scalpel et procéder à la plus minutieuse des dissections pour comprendre comment ces deux hémisphères de cerveau peuvent cohabiter ensemble. Comment le premier, celui qui dirige l’acteur abonné aux comédies à très faible teneur cinématographique peut aussi paisiblement s’endormir au côté du second, celui qui pilote le talentueux metteur en scène.
Il y a un mystère Dubosc. Une année, il nous agace. L’autre, il nous enchante. Pile, il lasse. Face, il surprend comme au premier jour. Devant ou derrière la caméra, le détail de positionnement est tout sauf anodin. Ce dernier film réalisé en date, Un ours dans le jura, vient prouver que l’un vaut mieux que l’autre, et pour la troisième fois consécutive.
Après deux essais placés sous le signe de la comédie très grand public, le voilà qui vient arpenter les falaises plus escarpées du jura et de l’humour noir. C’est l’histoire de Michel (Franck Dubosc) , un pauvre type, dans une pauvre ville, victime d’un pauvre accident qui peut le rendre très riche. Une mallette d’argent, deux millions d’euros, glisse dans son pick-up. Des trafiquants de drogue rodent dans les bois et veulent la récupérer. Il a la mauvaise idée de mettre sa femme dans le coup : elle se nomme Laura Calamy, et a moins de fibre morale que lui. Il va falloir donner les corps à manger à l’ours du coin, dissimuler toutes ces traces, berner la police locale qui, bien heureusement, est chapeautée par Benoît Poelvoorde.

inspiré et authentique
Dans les premières minutes, l’on songe à Un Plan simple de Sam Raimi ou à Fargo des frères Cohen, mais assez vite les empreintes de pas dans la neige s’effacent, et Dubosc de creuser son propre sillon : bien plus qu’un polar à suspense se présente un film de village et de portraits. L’envie du cinéaste est de mettre en évidence une certaine franchouillardise de son décor, avec son quotidien verglacé, ses routes départementales, sa faune composite (une matrone de club échangiste, un curé cupide, des migrants analphabètes) où tout le monde se connait. Un petit théâtre de la normalité au sein duquel s’agite une galerie de bras cassés, porteuse d’exquises partitions comiques.
Pas pressée, la caméra du réalisateur prend son temps et installe des dispositifs autour d’eux, pour ensuite s’y lover avec patience et gourmandise. S’y lance un filet humoristique qui ratisse large et bien, de la vanne politiquement incorrect au comique de situations en passant par le malaise qui s’étire jusqu’à l’absurde. Des scènes se créent, s’allongent, rebondissent, et l’on s’étonne, encore, d’y surprendre un vrai metteur en scène derrière, maitre du temps et des silences. Le casting est à l’avenant : Laure Calamy investit l’abatage que se refuse Dubosc, quand Poelvoorde est merveilleux en flic looser, lui aussi sur cette verve contenue qui lui convient mieux que la cavalcade hystérique.

Satire pas assez
Le cœur social pulse dans un pli de corset du récit. Moins par la critique de la salissure transportée par l’argent, que dans la justesse de ses dialogues, le soin pour griffer des marques de réel ; se recroqueville toute une petite galaxie du trivial montagnard qui ramène des cimes un vent de vérité. Laquelle se mêle à un air du tendre : aussi zélés soient ses personnages, il faut les rattraper au vol, leur offrir une porte de sortie à la dérobade, ne pas descendre jusqu’aux tréfonds de la bassesse et de la méchanceté. Certains diront que c’est sa faiblesse, que le trajet de cette famille de pépiniéristes n’interroge jamais le basculement de l’ordinaire vers le mal. Mais Dubosc est comme ça, l’âme peu misanthrope, la plume satiriste encore peut-être un poil trop sage, et le cœur côté sucre plutôt qu’acide sulfurique.
Il y a aussi encore chez lui quelques maladresses, une poignée d’idées insuffisamment poussées (l’idée du sac de sport lors de la première visite de Benoît Poelvoorde chez le couple) et un manque de tenue dans son dernier tiers, enlisé dans la poudreuse d’une intrigue criminelle peu exaltante. Mais la drôlerie opère, et balaie ces scories.
À 61 ans, la chose est maintenant claire comme de la neige : Franck Dubosc est bien avant tout un cinéaste.
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