Ce n’est pas pour rien que The Chronology of Water a remporté le Prix de la Révélation au 51ème Festival de Deauville. Premier long-métrage de l’actrice mondialement connue Kristen Stewart, c’est surtout, selon ses propres mots, le film qui lui a « le plus coûté ». Plus punk et honnête que jamais, elle s’est confiée sur cette première expérience de réalisation, aussi intense que douloureuse. On veut bien la croire, au vu des émotions ressenties en sortant de la séance. Mais ne serait-ce pas un mal pour un bien ?
Recollage de souffrances
Mettons tout de suite les choses au clair : il est impossible de passer un bon moment devant ce film, tout simplement parce qu’il est extrêmement éprouvant et que son but est précisément de mettre son spectateur à l’épreuve, afin de le plonger dans la peau de son personnage principal, rongé par un traumatisme enfoui.

Le montage morcelé, composé de séquences semblables à des éclats de verre brisé qui se répondent les uns aux autres, pousse le spectateur à recoller ses émotions comme il peut. Ce refus d’une temporalité linéaire est une belle idée, mais elle aurait facilement pu basculer dans une complexité artificielle.
Au final, on ne pensera jamais ainsi, tant la sincérité de la réalisatrice transpire de chaque plan. L’effervescence des images frôle parfois le trop-plein : on peut y voir la célèbre générosité des premiers films, mais elle aurait mérité d’être davantage contenue, parfois plus contemplative, et de durer un peu moins longtemps. Ici, Kristen Stewart préfère un film qui explose.
Une performance traumatisante
Imogen Poots livre une performance comme on en voit peu : sensible, folle, habitée. Une expérience d’acting que l’on devine douloureuse, même pour elle, rien qu’à travers l’écran. Il y a chez elle une mise à nu totale, à la fois difficile à regarder et fascinante à éprouver. La jeune actrice impressionne tout au long du film, parvenant sans cesse à injecter de la subtilité dans son jeu, sans jamais verser dans le grotesque.
Il est ainsi passionnant de suivre le trajet de son personnage ambigu — parfois détestable, mais souvent si émouvant qu’on en vient presque à douter d’être encore dans la fiction. Le scénario n’épargne rien et dévoile comment un traumatisme d’enfance aussi grave que celui de Lidia peut saboter une vie et avoir de lourdes conséquences sur la santé mentale. Contrairement à trop de films abordant la même thématique, celui-ci n’en esquive pas la représentation : il l’affronte de plein fouet, tout en trouvant, du côté de la forme filmique et du montage, un moyen de faire ressentir les émotions de Lidia, palpables de toutes parts, submergées par différents types de fluides traversant presque l’écran. Assurément, une grande actrice est en train de naître.

Une proposition imprévisible
The Chronology of Water ne cède jamais à ce que l’on peut attendre et constitue finalement un film constamment détonant, venant nous atteindre autrement. Pour notre plus grand plaisir, le dialogue se voit relégué derrière la puissance évocatrice de l’image et un travail sonore impressionnant. La voix off de Lidia, très présente, révèle souvent une honnêteté qui n’est pas toujours bonne à entendre, et qui interroge le spectateur sur ses propres pensées intérieures, qu’elles soient intimes, sexuelles ou moralement discutables.
Toutefois, ce qui est d’autant plus surprenant ici, c’est que le dernier tiers du long-métrage s’ouvre à l’espoir, entrant frontalement en contradiction avec tout ce qu’il avait installé en termes de ton jusque-là, et faisant presque basculer l’œuvre dans la catégorie du conte. Comme si le récit quittait une réalité âpre pour trouver refuge dans une forme de fantasme, à la positivité exacerbée. On ne sait plus vraiment sur quel pied danser, et c’est tant mieux.

Ainsi, The Chronology of Water est un film qui mérite d’être vu, tant sa réalisatrice Kristen Stewart s’y est donnée corps et âme, offrant à sa première réalisation une saveur unique et douloureusement culottée. Elle parvient à représenter l’horreur psychologique de son propos, jusqu’à la faire ressentir. Au-delà de ses images poétiquement composées et de son identité visuelle marquée, l’équilibre que le film parvient à maintenir relève tout simplement du petit miracle.
The Chronology of Water est en salle depuis le 15 octobre.
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