Réalisateur : Edward Yang
Casting : Tsai Chin et Hou Hsiao-hsien
Genre : Drame
Pays : Taïwan
Sortie : 1985 (Taïwan) / Ressortie en France en 2017 (version restaurée)
Synopsis : Lung et Chin se connaissent depuis de nombreuses années. Lui est un ancien joueur de base-ball sans véritable ambition professionnelle ; elle a un poste de secrétaire au sein d’un grand cabinet d’architectes. Le sentiment qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est un mélange d’amour naïf et d’affection profonde, aux contours flous. Mais le licenciement brutal de Chin va bientôt fissurer leur couple et compromettre leur projet de vie commune…
Taipei Story fait partie des nombreuses perles du cinéma asiatique. Edward Yang signe en 1985, à 38 ans, son deuxième long-métrage seulement, beaucoup trop méconnu. Ainsi à l’aube de la quarantaine il réalise son premier chef-d’oeuvre qui malheureusement fut un échec commercial. Ce film s’inscrit dans le courant de la nouvelle vague taïwanaise qui nait dans les années 80. Afin de rivaliser avec les films hongkongais, le CMP (Central Motion Picture) mise beaucoup sur les jeunes réalisateurs taïwanais et Edward Yang en fait bien évidemment partie. Il s’est, dans un premier temps, fait connaitre avec le moyen-métrage « In Our Time » en 1982 dont il a été un des quatre réalisateurs et scénaristes. Cette oeuvre est considérée comme précurseur de la nouvelle vague taïwanaise. Ce mouvement se caractérise par une description réaliste de la vie à Taïwan. Nous pouvons la comparer au néo-réalisme italien d’après-guerre. Une vision des plus authentique de la vie urbaine est illustrée.
Ce réalisme est constamment présent dans Taipei Story. Yang met en scène les difficultés des relations humaines d’une façon exemplaire. Mais plus encore il analyse le conflit perpétuel entre la modernité et la tradition. Un thème récurrent chez Ozu qu’on retrouve chez Yang. L’influence américaine qui s’accélère à Taipei dans les années 80 bouscule les traditions, et de ce fait les individus eux-mêmes dans leur rapport au monde en renforçant l’individualisme. Cette évolution est illustrée, dans Taipei Story, via le récit d’un jeune couple n’arrivant pas à trouver de réelles ambitions. Egarés, plongés dans les souvenirs du passé, nos deux protagonistes Chin et Lon semblent dans leur bulle. Trop naïfs pour la réalité qui les attend dehors.
La modernité est ici caractérisée par les relations superficielles qu’entretiennent les personnages entre eux. Ces liens ne prennent sens uniquement lorsqu’il est question d’argent. Par exemple lorsque Chin se rend à la banque afin d’aider financièrement sa mère, c’est le seul moment où elles seront réunis. Lon, de son côté, est sollicité par son beau-père dans le but de mettre un terme à une affaire commerciale. Lorsque nos deux protagonistes côtoient d’autres personnes, la question de l’argent est toujours présente et les exemples sont nombreux. Yang dénonce le matérialisme de plus en plus présent dans la société des années 80. Les nombreuses scènes où les personnages sont au téléphone illustrent, quant à elle, les problèmes de la communication entre les individus. Les conversations sont vides, vides de sens, d’émotions, symboles d’une société superficielle.
L’échec commercial du film lors de sa sortie n’est pas étonnant. Yang, visionnaire incontesté, a rendu cette oeuvre intemporelle. Il était probablement trop en avance sur son temps. La société taïwanaise n’était pas prête à entendre ces vérités. D’autre part grâce à une actrice dotée d’une beauté et d’une élégance hors du commun, qui n’est autre que Tsai Chin, ces images débordent de poésie.
Ce couple fuit le modernisme. Constamment plongé dans les souvenirs du passé, Lon ressasse sa jeunesse, ses heures de gloires au baseball, tandis que Chin regarde ses photos de familles chez ses parents. Un couple prisonnier du passé dans l’impossibilité d’aller de l’avant. Néanmoins Chin fait preuve d’une certaine envie d’avancer. Elle fuit son père, symbole des valeurs traditionnelles, sort avec sa soeur cadette, symbole, elle, d’une jeunesse épanouie. Elle essaye de s’adapter, en vain. Tandis que Chon reste indifférent au nouveau monde qui l’entoure. Le déchirement de cette relation devient alors inévitable.
« Le monde n’est plus aussi simple qu’a l’époque où tu jouais au base-ball. »
« On a changé, il n’y a que toi qui n’a pas changé. »
Gwan (amie d’enfance de Lon et Chin).
La mise en scène s’inscrit dans la tradition des grands cinéastes asiatiques. Les cadrages sont précis, comme les déplacements des personnages, qui sont, comme chez Kurosawa, primordiaux. Cette mise en forme est loin d’être sobre. Les plans fixes, inspirés d’Ozu, adoucissent l’image. Tout est calculé. Les gros plans caractérisent le film. D’un côté les spectateurs sont témoins des plus profondes émotions du couple, d’un autre ils ressentent l’isolement de celui-ci. Cette mise en scène caractéristique de la nouvelle vague taïwanaise, avec des coupes inopinées, un scénario léger, témoigne d’une douceur et contraste avec le brouhaha constant de Taipei. Les surcadrages ne manquent pas. Ils servent à illustrer l’espace clos dans lequel les personnages sont enfermés.
La mise en forme narrative est également novatrice. L’histoire progresse au rythme de la vie réelle. La convention narrative classique basée sur le climax est ainsi délaissée.
NOTE :
9,5/10
Emblème majeur du renouveau du cinéma taïwanais des années 80, Taipei Story signe une maturité exemplaire avec son sujet parfaitement maitrisé. Dès son deuxième long-métrage, Edward Yang illustre, à l’aide d’un réalisme saisissant, l’américanisation dans une métropole asiatique. Un film poétique et doux mais au fond d’une extrême puissance. Un chef-d’oeuvre méconnu du 20ème siècle.
Bande-annonce :
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