Spartacus est un film majeur des années soixante, et comme tout œuvre elle ancrée dans son époque. Mais quelle est son époque ? La guerre froide et la chasse au communisme par les autorités américaines. Est-il possible que le film de Stanley Kubrick ait été influencé par ce contexte ? Voici quelques éléments de réponse.
un symbole rouge
Spartacus est une figure forte de l’imaginaire collectif révolutionnaire et ce, dès le siècle des Lumières. Karl Marx lui-même était un admirateur du personnage que représentait Spartacus : en effet, il dira dans une lettre « Spartacus était le type le plus épatant de toute l’Antiquité ! Grand général, caractère noble, un véritable représentant du prolétariat antique ». Au début du XXème siècle en Allemagne, Spartacus a également inspiré le nom du mouvement révolutionnaire : les spartakistes. Et en URSS une littérature historique d’inspiration marxiste sur l’esclavage antique, notamment sur Spartacus, se développe. Un mouvement politique d’extrême gauche marxiste révolutionnaire du nom Ligue Spartakiste sera actif en Allemagne durant la Première Guerre mondiale jusqu’à la révolution allemande qui a eu lieu en 1919.
C’est dans ce contexte que l’auteur Howard Fast écrit le livre Spartacus en 1953. Communiste convaincu, il veut populariser le personnage antique comme symbole marxiste de la lutte des classes. Néanmoins, le FBI interdit aux éditeurs d’éditer le livre, conscient déjà du symbole que représentait Spartacus. Il sera donc publié à compte d’auteur.
Hollywood face au communisme
Dès la révolution russe en 1917, les Etats-Unis se méfient du communisme. Dès le début de la Guerre Froide, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ils luttent massivement contre lors de ce que l’on nomme « la peur rouge ». Une épuration est mise en place au sein du pays de l’Oncle Sam. À partir de 1947, le FBI se met à la recherche de communistes qui gangrènent selon eux Hollywood. Plus de 300 scénaristes, acteurs et réalisateurs voient leur carrière menacée, ils doivent renier leur conviction politique et dénoncer leurs camarades pour pouvoir continuer à travailler.
Un célèbre liste surnommée « les dix d’Hollywood » pointe du doigt dix scénaristes, réalisateurs et producteurs qui ont des liens avec le communisme. Certains se retrouvent emprisonnés, c’est le cas de Dalton Trumbo, scénariste reconnu qui travaillera à l’adaptation de Spartacus. D’autres personnalités d’Hollywood s’exilent, par exemple Charlie Chaplin. De nombreux scénaristes sont désormais contraints de travailler sous des prête-noms. Une liste noire est mise en place la même année par la MPAA (Motion Picture Association of America) qui dit ne plus vouloir engager de communistes. Cette liste restera en place plus d’une quinzaine d’année jusqu’à la sortie de Spartacus en 1960 et Exodus d’Otto Preminger qui seront les premiers films à créditer une personnalité de la liste noire : Dalton Trumbo.

un film communiste ?
L’acteur et désormais producteur Kirk Douglas qui adore le livre demande alors à Dalton Trumbo d’en écrire l’adaptation pour en faire un film. Dalton Trumbo adapte le livre mais reste fidèle à la vision marxiste de Howard Fast. Le réalisateur choisi est Stanley Kubrick. Bien qu’il ne soit pas encore la légende du cinéma qu’il deviendra par la suite, il a déjà une certaine notoriété grâce à son film sorti trois ans plus tôt : Les Sentiers de la Gloire, où il avait déjà travaillé avec Kirk Douglas. Le réalisateur n’apprécie guère le scénario, trouvant que le film et le livre idéalisent trop les révolutions. Stanley Kubrick n’est pas un communiste, en tous cas rien ne l’indique clairement, on sait néanmoins que son frère Raul était très impliqué dans le parti communiste américain.
Plusieurs scènes de Spartacus font référence au communisme, à son idéologie, mais aussi à divers événements se déroulant à l’époque aux États-Unis. Dès la première scène, Spartacus est déjà un esclave en révolte. Toutefois, le mouvement révolutionnaire est lancé par un esclave noir du nom de Draba. Ce n’est pas un hasard si c’est un acteur noir, car cela permet de se référer au mouvement des droits civiques et d’ériger ce mouvement comme un modèle inspirant de lutte. La mort de Draba inscrit davantage le film en lien avec l’Amérique contemporaine ségrégationniste. Spartacus est un personnage qui mène alors la révolte des esclaves et rêve d’une société humaine, libre et égalitaire. Il monte un camp d’esclaves rebelles. Ce camp est montré comme une petite société proto-communiste.
On observe que l’antagoniste Crassus exprime dans le film son horreur de la plèbe et son désir de stratification sociale. Crassus est un dictateur proto-fasciste qui veut l’ordre et l’obéissance, souvent associés au fascisme. Ce personnage est joué par Lawrence Olivier, acteur séduisant, pour rappeler que le fascisme est souvent incarné par des hommes attrayants ou charismatiques. On peut remarquer également que les membre du Sénat se comportent comme des membres des partis fascistes avec leurs saluts caractéristiques. Pour finir, il est intéressant de se pencher sur la fameuse scène où, après la grande bataille, Crassus interroge les esclaves pour connaitre l’identité de Spartacus. Cette scène peut être vue comme une allégorie de la chasse aux sorcières faite par le FBI, qui ordonne des délations à propos des communistes présents sur le territoire américain.
décrié puis réhabilité
Dès sa sortie, le film subit une campagne de dénigrement. Il est notamment condamné par l’acteur John Wayne que l’on peut considérer comme le républicain par excellence. La chroniqueuse républicaine conservatrice Hedda Hopper, qui a œuvré pour la mise en place de la liste noire, déclara ceci : « C’est tiré d’un livre écrit par un Coco et scénarisé par un Coco, alors n’allez pas le voir ». Des manifestations devant le cinéma ont eu lieu pour empêcher les spectateurs de voir le film. Le 4 avril 1961, le récent président John Fitzgerald Kennedy contourne les manifestants, voit le film et l’approuve. Cela fait entrer Spartacus dans une autre sphère, il est désormais un héros américain se battant pour la liberté, valeur suprême des États-Unis. Spartacus est donc vu par certains comme une affirmation des valeurs américaines et son identité communiste est peu à peu oublié.
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