Lorsque l’on demande aux jeunes cinéphiles quel est le premier film qui les ont marqués, il n’est pas rare qu’il s’agisse d’un Spielberg ou d’un Lucas. Ancrés plus que jamais dans la culture populaire, certains films de la période du Nouvel Hollywood semblent être des étendards du cinéma, tant pour leur importance auprès du public qu’auprès des cinéastes. Malgré tout, face à l’industrie cinématographique de plus en plus schizophrène, on peut aujourd’hui se demander si les nouvelles bases posées depuis la fin des années 60 n’ont pas fait leur temps.
Tout d’abord, il semble important de comprendre ce qu’est le Nouvel Hollywood, aussi un peu d’histoire s’impose. Au cours des années 1960, Hollywood subit une grave crise : en effet, le Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, film le plus cher de l’histoire à l’époque (et, si l’on applique l’inflation, il reste encore le plus cher) subit une exploitation plus qu’insuffisante qui manque de couler la Fox. Hitchcock et Ford ne sont plus ce qu’ils étaient, Bogart et Cooper ont disparu des radars et Grant et Wayne tentent un retour, sans grand succès. L’âge d’or d’Hollywood, vénéré par beaucoup, se meurt, les films muets, les comédies musicales et les péplums ne sont plus au goût de la nouvelle génération. De plus, le cinéma européen se fait de plus en plus menaçant pour l’industrie américaine, la Nouvelle Vague française en tête : la même année que Cléopâtre, Godard sort Le Mépris, qui sera bientôt suivi de Bande à part et Pierrot le Fou, tandis que Truffaut venait de pondre Les Quatre Cents Coups et Jules et Jim. Enfin, le dernier provocateur de ce changement d’ère, est l’arrivée au milieu des années 1950 de deux nouvelles technologies, qui vont prendre leur essort à la décennie suivante : le Cinémascope (technique qui consiste à anamorphoser (comprimer) l’image sur la pellicule pendant la prise de vue puis désanamorphoser à la projection) et le Vistavision (qui consiste à avoir des images disposées non plus verticalement mais horizontalement sur la pellicule 35mm, pellicule qui possède désormais 8 perforations au lieu de 4, ce qui va améliorer considérablement la qualité de l’image), qui vont définitivement entériner le système de production cinématographique de l’époque.
Alors, quand commence véritablement le Nouvel Hollywood ? On considère deux films comme étant les fondateurs de ce mouvement : En 1967 sort Bonnie & Clyde d’Arthur Penn et Le Lauréat de Mike Nichols, l’occasion de croiser deux réalisateurs importants du mouvement, ainsi que les acteurs Warren Beatty, Faye Dunaway et Dustin Hoffman, symboles de cette nouvelle génération de cinéastes. Mais le premier véritable succès du Nouvel Hollywood intervient deux ans plus tard et est à mettre au compte de Dennis Hooper : Easy Rider. S’en suivra alors de nombreux films cultes (Le Parrain, Star Wars, Taxi Driver ou Les Dents de la Mer pour ne citer qu’eux), et l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs (Outre Penn, Nichols et Hooper déjà cités, on parlera également de Spielberg, Lucas, Scorsese, Coppola, Scott, De Palma, Altman, Kubrick, Allen, Forman, Cimino, Eastwood, Cassavetes, Friedklin, Carpenter, Peckinpah, Romero, Pakula, Schrader ou Polanski) et d’acteurs et actrices (De Niro, Pacino, Streep, Cazale, Walken, Nicholson, Hackman, Duvall, Sheen, Caan, Dreyfuss, Hoffman, Beatty, Redford, Dunaway, Keaton, Minelli,…). Plus, ce mouvement fonde les bases du cinéma que nous connaissons aujourd’hui, entre développement d’une nouvelle ère du western (La Vie Sauvage de Peckinpah,…), rédécouverte du film musical (New York, New York de Martin Scorsese), et création véritable de l’horreur (La Nuit des Mort-Vivants, Shining, Carrie,…) et de la science-fiction (2001, Rencontres du Troisième Type),…
Mais, plus qu’une simple relecture des genres, le Nouvel Hollywood redéfinit les bases mêmes du cinéma connu à l’époque : l’arrivée des nouvelles technologies, comme nous l’avons évoqué précédemment, permette de nouvelles expériences visuelles, et donc le développement de la SF et l’essor des artificiers d’image tels que Kubrick. De plus, on assiste à une redéfinition du rôle du réalisateur ; avant simple étape du processus, il s’investit désormais à tous les niveaux, devient auteur et écrit ses scénarios. C’est aussi l’apparition du fameux final cut qui causa tant de souci à Ridley Scott sur Blade Runner : désormais, c’est le réalisateur et non plus les producteurs qui choisit le montage final. Cela illustre bien le désir de liberté des nouveaux cinéastes, et leur volonté de rompre avec l’ancien système cadenassé où les producteurs étaient rois. Désormais le cinéma appartient à ceux qui sont sur les plateaux, et, plutôt que la certaine frilosité des studios face au cinéma européen, les cinéastes du Nouvel Hollywood vont justement s’inspirer de ces mouvements et notamment de la Nouvelle Vague pour explorer de nouvelles thématiques dans leur cinéma, tel que le rêve, et rompre avec les bases classiques de rythme et autres préceptes de cinéma de l’époque. Cela amène bien évidemment à de nouveaux processus d’écriture, et, ceux qui restera à mes yeux comme le plus grand achèvement du Nouvel Hollywood, on observe principalement une redéfinition du principe même du personnage. Si auparavant, Hollywood possédait la fâcheuse manie de glorifier quelque peu leurs personnages, de telle sorte qu’ils leur étaient presque impossible de perdre ne serait-ce qu’un peu pied face à des situations quelque peu désarmante, désormais nous obtenons des personnages beaucoup plus proche de n’importe qui, ce qui permet à l’évidence au spectateur de mieux s’identifier à lui. On observe même la véritable apparition massive de l’anti-héros, figure boudée auparavant et qui fait son arrivée en masse. Les exemples ici sont bien évidemment nombreux : Travis Bickle dans Taxi Driver, qui subit la ville et les événements ; Woodward et Bernstein, complétement submergé par une affaire où ils n’y comprennent rien dans Les Hommes du Président, ou bien encore Harry Caul, arroseur arrosé, épieur paranoïaque qui perd pied tout du long dans Conversation Secrète. Mais, cette redéfinition même de la notion de héros, et de anti-héros, s’observe surtout dans le genre du film de guerre. La guerre du Vietnam choque beaucoup d’Américains, et les héros de guerre autrefois adulés, deviennent ici des victimes d’une guerre absurde, comme dans Les Sentiers de la Gloire ou MAS*H, où ils restent profondément marqués par les horreurs commises, comme dans Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now, Full Metal Jacket ou dans une moindre mesure Taxi Driver. Fini la figure héroïque ; place désormais à la vérité. Fait sans importance aux premiers abords, les scénaristes utilisent un détail pour humaniser plus leur personnage de guerre : désormais, les soldats ont une famille : ils sont comme tout le monde, leurs forces et leurs faiblesses. Enfin, c’est aussi l’apparition à cette époque d’un nouveau genre de production, sensé apporté plus de divertissement au spectateur : le blockbuster, qui fut maintes et maintes repris par la suite, avec les deux exemples les plus connus : Les Dents de la Mer, et Star Wars.
Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, et le déclin du Nouvel Hollywood va commencer vers la fin des années 1980. Si certains des réalisateurs de l’époque n’observent pas vraiment la transition, comme Scorsese, Spielberg ou Eastwood, ce déclin signe pour d’autres la fin de belles carrières, comme pour Coppola, Cimino ou Friedkin. Une nouvelle génération apparaît, avec Mann, Tarantino, Zemeckis, Fincher, Anderson, Cameron, Burton, Coen, Soderbergh, ou Howard, et, même si celle-ci revendique un fort héritage du Nouvel Hollywood, il n’en reste pas moins que les studios reprennent leur influence…
A l’heure d’aujourd’hui, la génération qui a succédé au Nouvel Hollywood commence à céder la place à une nouvelle génération (Nolan, Dolan, Villeneuve, Innaritu, Hooper,…) , qui semble elle ne pas prendre en compte principalement ce qui s’est passé entre les 60’s et les 80’s. Ainsi, certains peuvent légitimement pensé à une fin, une rupture avec l’héritage du Nouvel Hollywood. Mais qu’en est-il réellement ? L’histoire est bien plus complexe que cela.
Lorsqu’on analyse la situation cinématographique des vingt dernières années, on voit qu’il n’y a plus vraiment d’unité de production : le cinéma européen, avant mêlé à Hollywood, semble redevenu très indépendant aujourd’hui, excepté la Grande-Bretagne, le cinéma asiatique, et particulièrement le coréen, qui prend une place de plus en plus importante à l’échelle mondiale (comme il eut la nouvelle vague hongkongaise dans les années 1990), l’apparition (ou la continuité) d’univers qui s’inscrivent dans une suite de blockbusters (héritage même du Nouvel Hollywood donc) avec prouesses visuelles, et enfin des productions hollywoodiennes plus indépendantes, pratiqué par la génération des 90’s mais aussi (un peu) par la génération actuelle. Alors, comment une telle rupture a-t-elle pu avoir lieu ?
A mon sens, le point de rupture vient d’une nouvelle avancée technologique, la plus importante depuis le Cinémascope et le Vistavision : l’arrivée du numérique, avec Vidocq en France en 2001, et Star Wars Episode II: L’Attaque des Clones en 2002. Si certains sont intéressés de connaître plus en détail ces deux années charnières, je les invite à se reporter à l’épisode de Chroma sur Vidocq. Nous nous intéresserons plus à la cassure que cela provoque : trois camps vont s’opposer. Tout d’abord, avec en chefs de file Tarantino et Nolan, les partisans du tout pellicule, considérant la pellicule comme stupide ; il semblerait qu’ils s’inscrivent dans la continuité du Nouvel Hollywood et tentent de conserver leurs indépendances. Certains autres cédènt aux tentations du numérique à foison, et ils s’avèrent qu’ils s’occupent majoritairement des gros blockbusters. Enfin, une troisième classe avec des gens tels que Fincher ont eu choisi… de ne pas choisir. Et c’est bien là la complexité de la chose, car les deux méthodes (pellicule et numérique) offrent des coûts et des possibilités techniques bien différentes, et c’est bien cela qui cause cette bivalence du cinéma actuellement.
En effet, à Hollywood, on observe aujourd’hui deux écoles de production ; d’un côté, comme déjà dit plus haut, un cinéma indépendant qui, même s’il offre une grande diversité des moyens et des techniques, réclame son indépendance vis-à-vis des studios et prône le réalisateur comme figure de proue. Un exemple ? Les Huit Salopards, qui fut annoncé pendant sa promo comme étant « Le huitième film de Tarantino ». De l’autre côté, on observe des grosses productions où le réalisateur n’a plus vraiment son mot à dire, les producteurs contrôlant tout. L’exemple le plus probant reste les films Marvel et DC, comme nous l’expliquons dans la Réflexion #9. Ces deux écoles, aussi différentes soit-elle, présente toutes les deux un héritage du Nouvel Hollywood.
Regardons tout d’abord ce que l’on qualifie de « cinéma plus indépendant » : on observe que, depuis la fin des 80’s, l’héritage du Nouvel Hollwyood est au coeur de cette branche du cinéma ; tout d’abord, on l’a déjà dit, tous les processus d’indépendance vis-à-vis des studios ; mais, plus que la liberté, on retrouve les préceptes d’écriture établis à la fin des années 1960, et la continuité d’écriture des personnages ou des histoires. D’où vient donc cette idée d’héritage ? Comme le Nouvel Hollywood qui piochait ces influences dans la Nouvelle Vague, on observe ici que les réalisateurs donnent comme principales influences les films du Nouvel Hollywood ; ils semblent donc évident que ce côté du cinéma actuel transmette l’héritage fidèle de cette période. Si on observe donc l’héritage fidèle d’un côté, comment l’autre côté peut-il lui aussi profiter de l’héritage du Nouvel Hollywood ? Les éléments de réponse se trouve justement du côté des années 1960.
En effet, il faut garder à l’esprit que le cinéma actuel n’est qu’une continuité du Nouvel Hollywood, qui représente la dernière révolution de production au sein du cinéma américain (avec le passage à la couleur par exemple). Depuis près de 50 ans, nous n’avons observé aucune réelle fracture au sein du système de production, il est donc légitime de trouver un héritage du passé. Cependant, ici, l’héritage semble biaisée ; profitant du filon lancé par Spielberg, Lucas et cie, les producteurs se lancent dans la guerre des blockbusters, quitte à en oublier l’essence même. En effet, par définition, un blockbuster est une production à gros budget, qui vise à produire des profits record (définition d’après le Larousse). Or, que faut-il pour attirer les spectateurs en salle ? S’il y a 50 ans, on considérait véritablement le cinéma comme un art (il fallait donc un minimum de fond pour attirer les spectateurs, la forme seule n’attirait guère), il est surtout considéré aujourd’hui comme une source de divertissement (ce qui explique la production de nombreuses comédies/films d’action stupides et injurieux envers le septième art). Si, prenons un exemple, George Lucas offre une source d’émerveillement et de plaisir visuel avec Un Nouvel Espoir en 1977, il n’en reste pas moins qu’il détient un véritable fond politique, et le film est un vrai film profond et réfléchi sur le fond. Il reste l’un des exemples de la définition du blockbuster d’un point de vue cinématographique. Tandis qu’aujourd’hui, prenons un blockbuster récent, un film comme Deadpool est surtout une source de divertissement et de plaisir pour les spectateurs, mais, outrepassé le visionnage, on se rend compte que divertir n’est bien que le seul objectif du film. C’est bien là le problème ; si en apparence, voir des blockbusters aujourd’hui peut signifier héritage fidèle du Nouvel Hollywood, il n’en reste pas moins qu’en regardant un petit peu, le seul héritage est véritablement le nom.
Alors, à qui la faute de ses dénaturations des grosses productions ? Si la réponse semble facile, il semble pourtant juste de viser en premier les studios. Pour rendre le film le plus attractif (et le plus rentable) possible, ils privilégient un casting de superstars, négligeant parfois de mettre un véritable metteur en scène aux manettes. En effet, il n’est pas rare de trouver soit des débutants, soit des gens pas forcément très reconnu ; un cachet moins cher. Malgré tout le talent de ses réalisateurs, leur peu de notoriété les oblige à respecter un cahier des charges très contraignant des studios, ce qui donne des films très lisse, à la structure bancale et copier-coller. Pire : les avancées scénaristiques opérées semblent maintes et maintes fois balayées d’un revers de la main, et les producteurs, aussi incultes soit-il, n’hésite pas à massacrer le montage des œuvres, comme les derniers scandales de la Warner… Le parallélisme avec la situation de l’âge d’or (d’un point de vue du système de production) semble alors inévitable.
Et c’est bien là le problème du cinéma actuel : il est tiraillé entre diverses tentations. Entre volonté d’héritage du Nouvel Hollywood, nostalgie de nombre de spectateurs de l’âge d’or, et envie de donner des claques visuelles de plus en plus impressionnantes, il semble désormais que le système est au bord de l’implosion. Spielberg et Lucas, les inventeurs même du blockbuster, prédisaient même en 2013 une chute brutale de ses grosses productions, beaucoup trop tournées vers un public adolescent. Alors, il semble temps de revenir à la question initiale : l’héritage du Nouvel Hollywood a-t-il atteint ses limites ?
Après considération, il semble impossible de répondre de manière franche à cette question, tant elle est complexe. Plus que l’héritage, c’est le système de production qui semble avoir atteint ses limites. Voilà maintenant 49 ans que Bonnie & Clyde et Le Lauréat sont sortis, et pas de véritable révolution. Si le numérique semblait une porte à un nouveau système, celui-ci tarde à pointer le bout de son nez, quinze ans pile après son arrivée (les grosses productions ne semblent pas réellement une véritable révolution). Si une révolution technique précède toujours une révolution de production, il ne faut cependant pas oublier qu’il y a treize années qui sépare l’invention du Cinémascope des chefs-d’oeuvre de Penn et Nichols. Alors qui sait ? Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle ère… Spielberg et Lucas prévoient également une nouvelle implosion du système actuel !
Si cette révolution avait lieu, balayerait-elle l’héritage du Nouvel Hollywood ? Plusieurs éléments font pencher pour la réponse négative. Tout d’abord, la nostalgie des films de l’âge d’or bat son plein comme jamais, ce qui montre que les ères de cinéma traversent malgré tout le temps. De plus, le Nouvel Hollywood est bien plus ancré dans la culture des cinéastes et la culture populaire en général, de telle sorte qu’il semble impossible de voir un cinéaste ne pas être un minimum influencé par la période. Ainsi, il semble qu’aucune période du cinéma ne peut voir son héritage s’arrêter d’être transmis, et le Nouvel Hollywood suivra sans aucun doute cette trace. De plus, il faut garderà l’esprit la certaine bivalence des productions actuelles : si les grosses productions semblent amener à subir une crise, le cinéma indépendant, symbole d’un héritage direct du Nouvel Hollywood, semble lui amener à connaître alors de longues années de prospérité, comme le montre (en symbole?), la future suite de Blade Runner, œuvre incontournable du Nouvel Hollywood, réalisé par Denis Villeneuve, cinéaste majeur de la génération qui monte. Si donc l’héritage du Nouvel Hollywood va indéniablement persister, on peut cependant observer qu’il risque prochainement de changer de forme par rapport à celle que nous connaissons actuellement.
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