L’exercice de la critique est un sujet passionnant, introspectif, permettant de partager des mots qui donneront l’envie à d’autres spectateurs. Cela ne se résume pas simplement à écrire un texte mais à transmettre des mots sacrés, gorgés de nos sentiments. Dans cet article, nous verrons comment se poser les bonnes questions et livrerons humblement quelques clefs pour recentrer votre critique sur ce que vous voulez vraiment dire.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut d’abord établir un constat sur le milieu de la critique, il n’est plus le même depuis longtemps. Nous sommes aujourd’hui loin de l’influence qu’à pu avoir la critique dans les années 60, notamment avec les Cahiers du Cinéma, qui donneront les plus grands cinéastes de la Nouvelle Vague. À cette époque, on parlait et analysait beaucoup plus les films à la télévision, comme avec les célèbres émissions d’André Labarthe. Désormais mineures (on peut citer Le Cercle sur Canal +), cette régression de visibilité de la critique participe à donner au spectateur une image amoindrie du cinéma. Le médium est de plus en plus défini par son caractère divertissant, le grand public ne cherche plus forcément à réfléchir devant un film (moins qu’avant en tout cas).

Est-ce un phénomène provoqué par l’apparition d’internet ? Sûrement. Tout le monde peut se dire critique aujourd’hui, le métier a effectivement perdu de sa puissance. Malgré cela, cette accessibilité a permis à bon nombre d’auteurs de se révéler et de partager leur sensibilité aux yeux du monde gratuitement et simplement. C’est pour cette catégorie de personne que nous écrivons cet article, afin de nous interroger ensemble sur le cinéma et sur les moyens de transmettre cette passion qui nous anime.

les cahiers du cinéma
Les anciens magazines des Cahiers du Cinéma © Chunking Books

Une bonne raison d'écrire

La première question, essentielle à se poser lorsqu’on désire rédiger une critique, c’est pour quelle raison voulons-nous écrire ? Chaque rédacteur possède sa propre définition de ce que doit être une critique mais cela ne nous empêchera pas d’en évoquer certaines ici.

Est-ce que votre but est de changer le point de vue du spectateur ? De lui permettre d’en voir un nouveau ? Ou tout simplement d’encourager ou non le lecteur à aller voir un film ?

Quelque soit votre cas, lorsque l’on pose des mots sur un film, un documentaire ou une série, on entame un dialogue avec cette œuvre. Un échange se crée. Partager notre avis de façon à la fois construite et concise n’est jamais simple, cela passe par la reconnaissance et l’apprivoisement des émotions que nous avons pu ressentir au moment de la séance. La rédaction d’une critique serait donc liée à un travail sur soi, qui pourrait mener à une meilleure connaissance de soi-même au travers des films sur lesquels on écrit. Peut-être est-ce l’une des raisons cachées nous poussant à écrire tant de critiques ?

© QuickFrame
© QuickFrame

Souvent, des contraintes accompagnent l’écriture de critiques. Certains sites ou magazines de cinéma demandent un nombre de caractères précis ou encore un ton spécifique. Mais aujourd’hui, c’est le respect de l’algorithme qui prime, avec cette nécessité pour les auteurs de suivre le « trend ».

Il est donc important de prendre conscience de cette tendance et de savoir poser ses limites face à cet outil informatique, au risque de faire perdre à votre critique tout inventivité, autant dans la forme que dans le contenu. Si vous avez envie d’écrire sur un vieux film des années 30 que personne ne connaît, saisissez votre stylo/clavier et tentez le coup !

Une couverture de magazine cinéma dans les années 30
Une couverture de magazine cinéma dans les années 30 © RadioFrance

l'équilibre des trois notions

Passons désormais à la deuxième étape, le pourquoi laisse la place au comment et à la question essentielle : Que veut-on mettre en avant dans notre critique ?

Trois facteurs peuvent se batailler dans notre esprit, capable d’influencer le choix des mots :

  • La Pensée objective : elle consiste à mettre de côté nos réactions purement émotionnelles et se base uniquement sur la qualité du film, autant dans son écriture que dans sa forme. Elle suppose un effort constant et parfois pénible de relativisation car on peut avoir détesté le film, mais constater qu’il n’en reste pas moins « bien réalisé ».
  • La Pensée subjective : elle, au contraire, n’est représentative que de nos émotions et sentiments ressentis lors du visionnage du film. Il est donc très important de réfléchir sur ce que l’on ressent à la sortie de la séance (par exemple, identifier ce qui nous a déplu dans l’évolution d’un personnage). Mais attention ! Un film peut être très désagréable, nous rendre triste ou mal à l’aise et en même temps constituer une expérience cinématographique que l’on adorera.
  • L’Analyse : Enfin, ce troisième facteur repose sur une réflexion à la fois formelle et scénaristique accompagnée d’une interprétation de la part du spectateur. Cela va plus loin que ce que dit le film, révélant souvent un sous-texte témoignant des principales intentions du cinéaste. C’est aussi le seul des trois facteurs qui permet de sortir de l’œuvre, comme avec des comparaisons d’une thématique entre différents films d’un(e) même réalisateur.rice. Analyser un film s’apprend, ce dernier élément suppose donc une connaissance importante dans le langage cinématographique afin d’éviter toute interprétation farfelue ou une description inutile du film.

Maintenant que ces trois notions sont établies, c’est une nouvelle fois au rédacteur de les mélanger et de choisir quel dosage il donnera à chacune dans sa critique. L’objectif étant de trouver l’équilibre dans le texte, pour qu’il soit à la fois informatif, sensitif et saupoudré de quelques références utiles (attention toutefois à ne pas trop en abuser).

Célèbre photo du critique André Bazin
Célèbre photo du critique André Bazin © IMDB
François Truffaut, cinéaste et critique
François Truffaut, cinéaste et critique © Scena9

Un regard neuf avant tout

Enfin, dans cette dernière partie, qui est finalement plus un conseil qu’une règle d’écriture, il est important de garder un regard frais sur le monde qui nous entoure et, en particulier, sur chaque œuvre que l’on visionne. Il y a quelques années, une professeure de cinéma répétait ardemment à ses élèves que chaque film méritait d’être vu deux fois. Lors du premier visionnage, il fallait tenter d’oublier toutes nos connaissances cinématographiques et regarder le film pour ce qu’il était, sans réfléchir, en vivant l’expérience, nous laissant guider par nos émotions. Le deuxième visionnage, quant à lui, peut être aussi analytique et critique que le rédacteur désire. Passé l’effet de surprise et une fois les émotions digérées, place à la réflexion !

Mais tous les critiques ne peuvent pas se permettre de voir deux fois le même film donc il faut tenter de maintenir ce regard neuf le plus longtemps possible et ne pas se faire trop influencer par la comparaison inconsciente avec d’autres œuvres. Je m’explique en vous partageant ici un extrait du livre La Dramaturgie écrit par Yves Lavandier, dans lequel il parle des critiques de cinéma: « De tous les spectateurs de la dramaturgie, les critiques sont ceux qui voient le plus d’œuvres. En outre, ils le font pour gagner leur vie et pas toujours pour le plaisir. Comme 98% des œuvres dramatiques suivent une structure narrative connue, on peut comprendre leur lassitude vis-à-vis des règles classiques et leur excitation dès qu’un auteur joue la rupture. Pour les critiques c’est forcément rafraîchissant. C’est comme si on mangeait tous les jours du pâté pour chat et que d’un coup, on prend des nouilles. Est-ce que cela mérite pour autant de crier au génie ? »

Quelques exemples de magazines cinéma avec des critiques
Quelques exemples de magazines cinéma avec des critiques © SFCC

Nous arrivons ainsi à la fin de notre article, vous l’aurez compris, celui qui écrit décide quel genre de critique il veut faire naître. Il est toutefois nécessaire d’avoir conscience des notions et questions précédemment citées pour trouver l’équilibre de notre texte. Tout est une question de dosage et de choix des mots qui feront parvenir à la fois votre avis personnel, un avant-goût du film en lui-même et une analyse avisée d’une thématique, d’un personnage ou d’un plan. Cher.res rédacteur.rices, n’oubliez dorénavant jamais que vous possédez une grande responsabilité, celle de la critique, et qu’elle représente toujours un pouvoir créatif merveilleux…

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