Réalisateur : Matteo Garrone (Dogman, Gommora)
Casting : Roberto Benigni (La Vie est Belle, Les Incorruptibles), Federico Ielapi, Marine Vacth (L‘Amant Double, Jeune et Jolie)…
Genre : Fantastique, aventure
Pays : Italie
Sortie : 19 décembre 2019 (Italie), 04 mai 2020 (France)

Synopsis : Geppetto, un pauvre menuisier, fabrique dans un morceau de bois un pantin qu’il prénomme Pinocchio. Le pantin va miraculeusement prendre vie et traverser de nombreuses aventures.

Sorti en 2019 au cinéma en Italie, le nouveau film de Matteo Garrone, Pinocchio, n’aura pas cette chance en France. Victime du corona virus, il finit sur Prime Video, servant un peu plus la publicité des services de streaming en ces temps où le cinéma va si mal. La sortie de Pinocchio peut être vu comme un gâchis, cet univers fantastique et appelant à l’imaginaire enfantin aurait bien eu besoin du confort d’une salle obscure pour aider à mieux rentrer dans son monde. Seulement 2 ans après Dogman (2018), primé à Cannes, Pinocchio avait sur le papier tout d’un film événement, une nouvelle adaptation de l’œuvre culte de Collodi par un réalisateur ayant, au yeux de la critique, prouvé son habilité dans l’art du conte avec Reality en 2012 Tale of Tales en 2015. C’est également le grand retour à l’écran de Roberto Benigni, 8 ans après To Rome with Love (2012) de Woody Allen, mais surtout 18 ans après son Pinocchio (2002), film italien le plus coûteux de l’histoire et échec critique retentissant, le film ne sera finalement même pas rentable.

Cette nouvelle adaptation pourrait elle sonner comme une revanche de sa part ? Malgré un démarrage historique le Pinnochio de 2002 rentre à peine dans ses frais et sera une déception internationale après le succès extraordinaire de La Vie est Belle (1997) qui avait valu l’Oscar du meilleur acteur à Benigni. Pourtant c’est bien Garrone qui a abordé l’acteur, mais celui-ci ne vient pas le voir pour rééditer la version déjà existante mais pour lui soumettre le rôle de Geppetto. Ainsi Benigni n’est plus l’enfant, mais le vieillard, le père, celui qui donne vie. Il n’est également plus le héros mais le créateur ayant un rôle plus en retrait, laissant son œuvre voguer. Le paradoxe est que Benigni n’a jamais autant été artiste, alors même qu’il n’est ici plus le réalisateur. Le prodige italien semble presque accepter qu’il ait évolué, il apparaît ridé, vieux (plus que jamais), comme marqué par la vie. Bien loin de la frivolité, voir même de la débilité de son Pinocchio, il semble ici plus mature bien que gardant cette « touche Benigni » et sa bonne humeur à l’épreuve de tout. Il gesticule moins, dans une euphorie personnelle plus mesurée, ayant ce coup ci une allure inédite de pauvre vieil homme.

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Geppetto (Roberto Benigni) face à Pinocchio (Federico Ielapi)

La figure de Geppetto est sans conteste un des points forts du film. L’interprétation de Benigni est globalement saluée et celui-ci sera nommé au David di Donatello dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle (finalement perdu face à Luigi Lo Cascio dans le formidable Le Traite (2019) de Marco Bellocchio qui rafle tous les prix ce soir là). Mais ce personnage est également une réussite de par la touche personnelle que Garrone a su lui insuffler. Le réalisateur se voit à travers ce personnage en père essayant de maintenir son petit, il voit clairement son propre fils comme Pinocchio, il songea même un instant à lui faire jouer le rôle. Garrone filme cette relation dans l’œuvre avec tendresse, avec une tendresse d’artiste mais aussi paternelle.

Cinq ans après Tale of Tales, le cinéaste italien revient vers le conte. Pinocchio est un projet de longue date, l’influence de Carlo Collodi hante la filmographie du réalisateur de manière évidente. L’imagerie enfantine de ces histoires fantastiques ayant alimenté l’auteur baigne dans une atmosphère morbide plongeant dans un malsain grossier chez Garrone. Il est donc assez intéressant de voir comment le réalisateur s’y prend pour aborder une œuvre pour enfants avec son style macabre. Au final le film semble plutôt lisse mais pas pour autant bridé. En réalité la réticence de l’auteur gomme cet aspect bouffon et racoleur dans la violence qui empoisonnait Tale of Tales. Ici, le cinéma de Garrone semble plus juste. Le metteur en scène travaille admirablement avec ses décors et ses effets visuels pour nous offrir un spectacle. Car c’est de cela qu’il s’agit : un spectacle.

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Pinocchio (Federico Ielapi)

Passé les 20 premières minutes et la formidable présence de Geppetto, le long métrage n’arrive jamais à s’élever au rang d’œuvre forte. Toute la poésie de Collodi semble noyée dans ce labyrinthe aux mécanismes, costumes et maquillages impressionnants. Au final, le spectateur déambule dans un manège sans âme, brillamment maîtrisé certes mais ayant un grand manque de cœur. Qu’y avait-il de nouveau à raconter sur Pinocchio ? Rien, la figure de cet enfant insolent et têtu a été visitée par bien des artistes. Ici, le réalisateur semble plus s’inquiéter de son univers que de son héros, au final le film n’a rien d’une quête, ni d’une aventure (pourtant la base de la version de Comencini « Les Aventures de Pinocchio »). Dans l’œuvre de 2020, il s’agit plus d’une errance entre plusieurs décors tous impeccablement sublimés, le travail de mise en scène en plan large sur la nature donne une vitalité et une grandeur très belle à cette campagne italienne.

Mais ce manque d’âme vient créer un trou, ainsi les rares scènes cherchant notre cœur (notamment celle de retrouvailles avec la fée) semblent bien fades à l’écran car l’auteur n’a rien construit de crédible. Seule la scène (mythique) dans l’estomac d’un monstre marin où Pinocchio retrouve son père réussit à apporter un brin de chaleur au long métrage. Mais le tragique pourtant évident du mythe est quelque peut dilué. Néanmoins le film ne semble pas savoir à qui s’adresser, trop particulier pour un enfant, trop lisse pour un adulte. Une certaine ambiguïté règne à ce sujet, le style de Garrone ne semble pas adapté à ce type d’histoire mais ce décalage vient en réalité apporter une saveur particulière au tout.

Au final cette version 2020 de Pinocchio va plus perdurer par l’imagerie fantasque du cinéma de Matteo Garrone que par la force d’une réalisation ayant insufflé une vie à son récit. Un film techniquement admirable mais d’une faiblesse regrettable.


Note

Note : 6 sur 10.

6/10

Bluffant d’un point de vue technique (surtout avec un budget de 11 millions d’euro), et bien ancrée dans l’univers de Matteo Garrone, cette version Pinocchio de 2020 peine néanmoins à insuffler une âme à un récit déjà raconté à de nombreuses reprises. Un film à la contemplation superficielle et qui aurai gagné à mettre l’accent sur la relation père / fils de l’œuvre, moteur pour l’auteur et sublimée par la très bonne interprétation de Roberto Benigni

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