Parasite – Noir et Blanc
? Réalisateur : Bong Joon-ho (Memories of Murder, Snowpiercer)
? Casting : Song Kang-ho (Memories of Murder, A Taxi Driver), Cho Yeo-jeong (The Servant, Obssessed), Choi Woo-sik (Dernier Train pour Busan, Okja)…. ? Genre : drame horrifique
? Pays : Corée du Sud ? Sortie : 19 février 2020
Synopsis : Toute la famille de Gi-taek (Song Kang-ho) est sans emploi et ils n’ont plus d’argent, ils survivent en pliant des boîtes à pizza cartonnées. Ils habitent dans un appartement au sous-sol tout petit et sombre, sans accès au Wifi. Un jour, ils reçoivent la visite d’un étudiant qui ne veut pas laisser son poste de professeur d’anglais d’une jeune fille de la famille Park à un étudiant comme lui et préfère que ce soit son ami, Ki-woo (Choi Woo-Sik), pas encore étudiant, qui le remplace auprès d’elle. Pour justifier de l’expérience, ses enfants ont l’idée de fabriquer un faux diplôme pour permettre à Ki-woo, son fils unique, de le remplacer auprès de Da-hye (Jung Ziso), la fille de la riche famille Park. Après s’être ainsi introduit dans cette famille riche, il profite de son nouveau poste pour aider un à un les siens à trouver un emploi dans la même maison. Tout en faisant mine de ne pas se connaître personnellement, les membres de la famille travaillent en un rien de temps dans la maison luxueuse de la famille Park. Seulement leur nouvelle existence ne se déroule pas comme prévu et va se révéler incontrôlable.
On peut critiquer à juste titre l’annonce d’une série HBO inspirée par le chef d’œuvre de Bong Joon-ho Parasite. Le film, à peine digéré par le public à l’international est d’ores et déjà remis sur la table pour nous en servir un nouveau plat. L’œuvre s’est incliné au modèle américain, dévorant les objets culturels pour les recracher en 1000 morceaux dans les gamelles des consommateurs. On peut y voir un triste sort pour ce film, mais ne statuons pas trop vite sur un travail n’ayant même pas commencé. Cependant une autre annonce, bien que très intéressante, a fait beaucoup moins de bruit : la ressortie du film dans une version noir et blanc. Cette idée pourrait s’apparenter à de l’opportunisme ou à une simple coquetterie de la part du metteur en scène. Pourtant seul le visionnage de cette version nous révèle ce qu’il en est réellement : celle-ci est absolument fascinante.
C’est toute la substance et l’ambiance du film qui change avec cette « décolorisation », si bien que cette version de l’œuvre ne peut être vu comme un « final-cut » mais comme un « Parasite alternatif », car elle ne complète pas le film, elle le raconte d’une manière différente. Durant 2h, le noir et blanc vient apporter une atmosphère inquiétante à l’œuvre, il sonne comme une menace, annonçant fatalement une fin terrible au récit, on assiste à une tragédie sur grand écran. Le manque de couleur vient ajouter à l’horreur du film. Le gris habitant le visage de Ki-taek (Song Kang-ho) apparaît chrome à l’écran, marquant l’incompréhension du regard basculant dans une colère sourde et menant à l’achèvement du parcours psychologique du personnage. Les regards sont donc renforcés dans cette version, on peut évidemment penser au regard terrifiant du « fantôme », les deux yeux d’un blanc éclatant percent le noir total de l’escalier menant au sous-sol, comme les yeux d’un monstre observant dans l’obscurité. L’idée était déjà fortement marquée dans la version originale mais elle semble incomplète sans le contraste nette du noir et blanc. La présentation du sous sol comme une porte sombre vers l’obscurité est établie plusieurs fois durant le film, comme lors de ce plan où Moon-gwang (Lee Jeong-eun), s’apprêtant à descendre, se retourne, elle fait dos à l’escalier ténébreux et est entourée d’une lumière éclairant parfaitement la vaisselle exposée, comme des médailles, au mur. Son corps est devant ce petit encadrement noire et elle demande à Chung-sook (Jang Hye-jin) si celle-ci veut venir voir ce qu’il se trouve en bas, avant de disparaître dans l’obscurité. La scène était déjà terrifiante en couleur avec le visage plein de sang de la domestique et le sourire avec lequel elle pose la question, mais elle l’est encore plus avec la clarté des objets bourgeois et les ténèbres dévorants au centre.
À l’idée de mise en scène de passer de bas en haut pour marquer les différences sociales s’ajoute celle de passer de l’ombre à la lumière, idée illustrée magnifiquement dans ce qui est sans aucun doute possible le plus beau plan du film, et probablement l’un des plus forts de la décennie : lorsque Kim Ki-taek (Song Kang-ho) sort enfin de l’obscurité pour rejoindre sa femme et son fils baignant dans une lumière éblouissante. Inutile de préciser à quel point le noir et blanc sublime ce moment.
Le contraste entre les différentes habitations est également net, dans le quartier pauvre le manque de couleur crée une uniformité, le décor ressemble alors à un chaos total de gris, qu’une petite lumière venant d’un réverbère n’éclaire qu’en partie. Le fond est pesant et noirci le cadre tout entier. À l’inverse, les quartiers riches sont très clairs, on distingue parfaitement ce qui s’y trouve, que ce soit dans la rue, un supermarché ou dans un hôpital. La différence se voit aussi dans la lumière, dans la maison de la famille Park, les lampes éclairent de manière nette des pièces spacieuses dont on distingue tous les objets s’y trouvant. La lumière a un côté propre. Tandis que dans la maison de la famille Kim, l’ampoule au plafond semble n’éclairer qu’un amas de poussière dans l’air, créant une sorte de brouillard. Dans le sous-sol, la photographie marque encore un changement, ici les éclairages rasent le mur et mettent en évidence la moisissure qui ravage la pièce.
Mais cette nouvelle version n’est pas exempte de défaut. Beaucoup d’éléments visuels ne sont plus présents, notamment le rouge sang, qui désormais n’est plus qu’un gris quelconque, le rouge est une couleur très peu présente dans le film, ses apparitions sont donc toujours pensées et signifiant quelque chose. Lorsqu’à la pizzeria la famille Kim complote pour faire renvoyer la gouvernante, la scène se conclut sur un plan où Ki-jung (Park So-dam) verse un liquide rouge très clair sur son plat, le plan fait implicitement référence à un meurtre, la symbolique se perd en noir et blanc puisqu’elle ne verse qu’un liquide gris sans connotation. Dans ce registre, on peut regretter la banalité du passage où une effusion de sang vient tacher une tranche de pain d’un blanc éclatant, ou même encore la diminution de la puissance d’un fameux plan au sous sol avec une pierre.
Le rouge se perd donc mais également le vert, d’une grande importance puisque rayonnant fortement dans le grand jardin des Park, un lieu au centre de l’intrigue et dont la couleur contraste fortement avec le gris de l’entresol des Kim. Ici, les deux sont gris, n’étant séparer visuellement que par la densité de lumière. Le vert longeant les murs à l’extérieur de la maison a également son importance, puisqu’il est centrale dans la séquence où Ki-woo (Choi Woo-sik) fait pour la première fois irruption dans le quartier riche, ce passage trouve néanmoins un sens en noir et blanc puisque la blancheur du décor s’oppose au costume noire du protagoniste, comme si celui-ci était un intrus.
Sans couleur, le long métrage perd également certaines ambiances : le jaune or qui éclaire la pluie lors de la scène de la tempête ou le verdâtre au sous-sol, mais également les couleurs chaleureuses de la grande maison lors des passages de nuit. Le plus grand défaut étant probablement la monotonie que le noir et blanc apporte à l’œuvre, celle-ci semble moins vivante mais semble surtout bien moins réelle, moins palpable, comme un rêve, ou plutôt un cauchemar échappé d’un esprit. Certains aspects à l’opposé paraissaient voués à l’échec mais sont en réalité brillamment réinventés, comme la sueur, présent au début sur les visages très pâles des personnages, en noir et blanc cette sueur est bel et bien voyante, elle apparaît comme un liquide de lumière sur la face des acteurs, ou des perles dans lesquelles se reflètent la luminosité. Les scènes de pluie sont quand à elle inaltérées, l’eau est parfaitement visible, tandis que les scènes de neige sont d’autant plus magnifiques. Mais la plus grande réussite de cette version est sûrement l’accentuation de la mort et de la brutalité de certains passages. Dans son dernier acte le film sombre dans le chaos et l’absence de couleur rend ce chaos insupportable et d’autant plus prenant, créant un climat anxiogène encore plus prononcé.
Note
8/10
En résumé la version noir et blanc de Parasite donne une œuvre bien plus sombre et cruelle, accentuant la frénésie horrifique de la fin, renforçant une ambiance prenante, mais elle fait également perdre au film une forme de vie et une grande richesse visuelle. Elle sublime certains plans et retire leur intérêt à d’autres. Loin d’être une version finale ou plus aboutie du film, elle est néanmoins une alternative passionnante.