Okja, film d’aventure fantastique américano-sud-coréen, réalisé par Bong Joon-Ho, avec Ahn Seo-hyeon, Tilda Swinton et Paul Dano
La sortie ce mercredi 28 juin d’Okja a constitué un mini-bouleversement dans le paysage cinématographique français. Polémique du dernier Festival de Cannes où chacun possède un avis, il débarquait sur la plateforme Netflix dans une vague de boycott des exploitants de salles pour cause de projection dans le cadre du festival SoFilm. Alors, si on a beaucoup évoqué l’extra-cinématographique, tâchons de ne pas oublier la question qui est finalement la plus fondamentale et la plus intéressante : que vaux Okja ? Est-il un bon film ? On a donc tenté le visionnage, sur notre ordinateur donc, une fois n’est pas coutume, enchanté par les promesses cinématographiques du nouveau long-métrage Netflix (Bong Joon-Ho, Paul Dano,…), parce qu’après tout, un film, quelque soit son mode de diffusion, reste avant tout un film. L’aventure valait tel le coup ?
La véritable force, à mon sens, du cinéma de Bong Joon-Ho, qu’il avait su magnifié avec brio sur son précédent long-métrage Snowpiercer, est la mise en place d’une atmosphère, et cela en puisant dans tous les styles possibles. Une notion de rythme qui est donc cruciale à la physionomie de ces oeuvres, et Okja ne va pas échapper à la règle. Dans un premier acte de grande qualité, à l’ambiance qui peut faire penser à certaines oeuvres du studio Ghibli (Princesse Mononoké surtout), Bong nous offre une véritable ode à la nature en introduisant les personnages de Mija et d’Okja. Il prenne ici le temps d’introduire les personnages de telle sorte que nous nous attachions à eux, tout en nous faisant prendre conscience de ce qui les attend, au travers de sa courte scène d’introduction. Si le film débute donc par un manifeste écologiste, il ne tarde pas à devenir un vrai film d’action dans un deuxième segment, et se terminera même par taper sur l’horrifique et le burlesque, mais nous ne nous attarderons pas plus là-dessus pour éviter tous spoils. Cette alchimie des genres donc fonctionne si bien car Bong manie habilement la technique. L’idée d’embaucher en chef opérateur Darius Khondji, qui a été capable de développer des ambiances légères (Minuit à Paris, To Rome with Love) ou bien plus sombres (Se7en, Delicatessen), permet un travail vraiment progressif de la lumière, qui commence par rayonner de simplicité, blanche, puissante, pure, pour s’obscurcir peu à peu et finir dans un noir des plus terrifiants, lumière qui se modifiera au fur et à mesure de la progression psychologique du spectateur et de Mija. De même, l’adaptation des genres est aussi possible via un excellent travail de montage de Meeyeon Han et Jin-Mo Yang, qui se saisissent de toutes les particularités des genres cités plus haut pour les appliquer, tout en donnant au montage une fluidité vraiment captivante.
La réussite technique profite autant au message et permet de délivrer un vrai message de forme et de fond certes, mais il est à mon sens assez intéressant, si ce n’est capital de le relier à l’épreuve du scénario, car c’est ce dernier qui va dicter le rythme d’un film. Et c’est là que les premières nuances arrivent. Certes, on assiste à un bon travail de la part de Jon Ronson et de Bong Joon-Ho, un ensemble fluide et cohérent, qui prend le temps de se mettre en place sans (globalement, mais on y reviendra plus tard) bâcler ces personnages. Malgré le fait qu’il soit somme toute correcte, il souffre également de son manque de subtilité, beaucoup de choses se faisant sentir à des kilomètres à la ronde (le cochon d’or principalement). Manque de subtilité donc, qui, couplé à certains personnages qui s’avèrent presque inutile (je pense à certains membres de l’ALF, Giancarlo Esposito ou bien Jake Gyllenhaal), qui rend l’ensemble certes regardable, et qui ne nous décroche à aucun moment, mais un scénario qui pose un plafond de verre au film et qui empêche de le pousser plus haut à cause de son simplissime et de son manque de tact, mais qui permet malgré tout de porter le message fort (en couple avec la mise en scène évidemment) du long-métrage.
Il nous reste enfin un aspect à étudier, essentiel même : les personnages et les performances des acteurs. Intéressons-nous tout d’abord au très beau personnage de Mija, porté par l’excellente Ahn Seo-hyeon, âgée de 13 ans. Un personnage nuancé, travaillé, attachant, captivant, peut-être bien la plus grande réussite du long-métrage. J’évoquais tout à l’heure le travail sur la lumière, qui est justement en corrélation avec l’évolution psychologique d’un personnage. Une vraie héroïne comme on les aime. On peut également citer l’excellente performance de Paul Dano, dans la lignée de ces derniers films, toujours aussi nuancée et juste, ou d’une Tilda Swinton qui, malgré un personnage un peu limité dans son écriture, nous sort un vrai récital d’acting, qui confirme bien son alchimie avec le réalisateur. Dans les points négatifs, l’évidence s’appelle Jake Gyllenhaal. Si son talent semble indéniable, Jake ne cesse ici de cabotiner, de jouer atrocement faux. Un personnage (très) mal écrit, sensé apitoyer le spectateur sur la présence de gens encore moraux dans un milieu amoral, et qui finit par se transformer en faux plagiat désolant de Cyril Hanouna, amplifié par l’horrible surjeu de Jake, personnage éberlué qui détonne maladroitement avec l’étonnante et apréciable simplicité que dégage le film. On citera également les membres de l’ALF qui, hormis ceux interprété par Paul Dano et Steven Yeun (Glenn dans The Walking Dead), n’apportent pas grand chose en tant que personnages au récit (en tant que groupe de l’ALF, oui il y a un rôle évident, mais c’est à titre individuel que ça a tendance à coincer), sans que l’acting soit mauvais. On reprocha enfin à Giancarlo Esposito (Gus dans Breaking Bad et Better Call Saul) une performance assez limité, aspect renforcé par un personnage stéréotypé et pas franchement utile non plus, et un Hee Bong-Yun loin d’être subjuguant dans le rôle du grand-père.
En conclusion, Okja est un bon film, un excellent moment de visionnage et même un coup de coeur. Nous offrant peut-être l’une des meilleures mise en scène de ce premier semestre 2017, Bong Joon-Ho se place définitivement comme un réalisateur asiatique qui compte désormais sur la scène internationale, et offre un travail absolument enivrant. Malheureusement, un scénario fluide mais stéréotypé et un Jake Gyllenhaal niveau Razzie Awards empêche l’oeuvre de décoller jusqu’au chef d’oeuvre intemporel. Un très bon film donc, pas forcément le meilleur de l’année, mais une oeuvre singulière et avant tout touchante, avec un super-cochon magnifique (qu’est-ce que les effets spéciaux sont bons dans Okja !) et rempli de tendresse, un film qui ne vous donne clairement pas envie de manger un steak ensuite (le message est donc passé, bravo Bong), et qui ne méritait certainement pas la polémique qu’elle a subit aux vues de ces évidentes qualités.
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