C’est durant les soirées du 4 et 5 juillet derniers que la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt fut le terrain d’un événement de taille pour le cinéma. S’est joué un ciné-concert assuré par l’Orchestre National de France, l’orchestre philharmonique et les chœurs de Radio France. Ces orchestres et chœurs venaient accompagner la première diffusion pour le grand public d’un grand film muet français qui a traversé les âges, de plusieurs heures… Napoléon vu par Abel Gance.

UN « FILM-MONSTRE »

Contexte historique. En 1927, le cinéma parlant fait ses débuts. Le cinéma muet approche de sa fin, mais aura tout de même largement eu le temps de faire ses preuves. Cette année-là marque malgré tout l’année de sortie d’un prestigieux film muet. Un film français dont les moyens dantesques rappellent la puissance que peut permettre le cinéma muet. Un film consacré à l’une des plus grandes figures de son Histoire : Napoléon.

Réalisé par Abel Gance, il vient revisiter une partie de la vie de l’empereur à travers plusieurs épisodes (de son adolescence à Brienne à la première Campagne d’Italie de 1796, en passant par la Révolution Française). Le tout sous les traits d’un grand acteur au regard perçant qu’est Albert Dieudonné, au travers d’une impressionnante mise en scène qui compte des milliers de figurants à l’écran et l’utilisation de diverses techniques de montage et de réalisation innovantes pour son époque, dont il existe une vingtaine de versions !

En effet, c’est là un film qui n’a pas de réelle forme. Napoléon a eu droit à plusieurs remontages, déjà de la part de son réalisateur (la plus longue durant 9h40 !) avec des scènes supprimées, rajoutées etc. Même après sa mort, des réalisateurs comme Francis Ford Coppola ou Claude Lelouch avaient repris le flambeau afin de proposer leur vision du film.
En 2008, ce fut au tour de Georges Mourier. Ce réalisateur de documentaires (et chercheur spécialisé dans Abel Gance) a donc travaillé à la reconstitution de la « Grande Version » de Napoléon. D’une durée de sept heures, Gance l’avait vendue à la MGM pour une exploitation à l’internationale.
C’est finalement à force et au prix de seize années de travaux que le film aura droit à un passage au dernier Festival de Cannes. Mais sa première diffusion pour le grand public aura eu lieu les 4 et 5 juillet derniers, durant un ciné-concert où l’Orchestre Philharmonique et les chœurs de Radio France ainsi que l’Orchestre National de France ont pu jouer la toute nouvelle partition imaginée pour cette nouvelle version, qui inclut diverses œuvres de compositeurs classiques.

Bilan des courses ? Un grand film tout simplement opératique.

Le grand Albert Dieudonné dans le rôle de l'Empereur © La Cinémathèque Française
Le grand Albert Dieudonné dans le rôle de l'Empereur © La Cinémathèque Française

Un œuvre innovante

À bien des égards, Napoléon Bonaparte est pour sûr une figure de l’histoire de la France qui suscite la controverse. Abel Gance était clairement du camp de ceux qui l’appréciaient. Au point de vouloir lui dédier une véritable fresque à sa gloire, dont six et huit films devaient la constituer !
En résultera seulement un film, pour des raisons financières. Un film l’acclamant déjà bien. Il suffit de voir le début de cette Grande Version : Gance montre à quel point Napoléon, durant sa scolarité au Collège de Brienne, avait déjà des qualités de chef, dans une magnifique séquence de bataille de boules de neige qui multiplie les effets, la rendant vraiment impressionnante.

Impressionnant étant un terme bien approprié pour parler de cette œuvre.
En effet, il faut reconnaître malgré tout que cette œuvre à la gloire de Napoléon qu’Abel Gance a signée possède une délicieuse mégalomanie. À la hauteur de la grandeur…et à l’image du personnage historique qu’il adapte, finalement ! Cela via une réalisation sensationnelle. Abel Gance est considéré comme l’un des réalisateurs français les plus avant-gardistes de son temps. Cela se reflète dans sa vision de Napoléon. Vision qui, malgré de bons retours critiques en son temps, n’aura pas réellement le succès escompté…

Pour la concrétiser, il a notamment su exploiter les toutes dernières techniques de son époque. Mais aussi multiplier les effets de mise en scène. À ce propos, Gance lui-même affirmait ceci concernant son film : il faut « faire du spectateur un acteur ; le mêler à l’action ; l’emporter dans le rythme des images ».

Montage fou et nerveux, démultiplication de l’image, scènes en pellicule colorisées (on oscille entre rose, jaune, bleu, blanc et rouge), caméras installés sur des chevaux, caméra à épaule, effets spéciaux parfois impressionnants (quelles scènes de tempêtes !)…autant de techniques qui, ensemble, permettent de faire vivre au spectateur une véritable expérience.

Pour dire, pour appuyer encore plus l’expérience, Gance a même dû inventer une technique. En l’occurrence, le Polyvision, système de « triple-écran » qu’il utilise durant les 22 dernières minutes du film, qui achèvent la beauté et la force du film.

Napoléon : mythologique

Tous ces effets réussissent magnifiquement à être au service de la vision personnelle qu’a Abel Gance de Napoléon. En effet, le film fait part dans son introduction d’une volonté assumée de se rapprocher de la réalité historique. Malgré tout, Gance vient presque hisser l’empereur au rang de héros mythologique,  capable d’assoir un homme juste par le regard et requinquer toute une armée par son charisme.
Se mêle à cela une superbe interprétation expressive des acteurs qui appuie l’épique du film. L’on peut tellement détailler sur Albert Dieudonné : contentons-nous de dire qu’il est tout simplement majestueux dans son rôle de Napoléon ! Ses yeux clairs que l’on devine à travers l’image qui propose une superbe balance du noir et blanc, sa gueule ferme et éclairée…

Cette « Grande Version » de Napoléon dévoile tout un véritable travail de montage. En effet, il alterne superbement entre scènes de batailles grandioses et moments plus intimistes de la vie de Napoléon sans jamais être ennuyeux ou que le changement ne soit trop brutal. Cela passe notamment par le fait que plusieurs séquences constituent le film. Séquences que l’on suit toujours avec plaisir grâce aux qualités susnommées. Une fois la fin parvenue, l’on voudrait que ça continue encore. Qu’après la campagne d’Italie (et ces seize années de restauration), cela ne peut et doit pas rester sans suite.

En somme, le Napoléon vu par Abel Gance est clairement l’un des plus grands événements cinéma de l’année. Une œuvre de patrimoine exceptionnelle et opératique que nous vous invitons à découvrir en salles dès maintenant. Actuellement dans le cinémas Pathé, le film sortira bientôt sur Netflix (grand mécène de la restauration) et aura bientôt droit à une diffusion sur France Télévisions !

Affiche de la restauration de la Grande Version du Napoléon vu par Abel Gance (1927-2024)

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