Nanni Moretti est un réalisateur, scénariste et acteur italien, né le 19 août 1953 à Brunico. Il réalise son premier long-métrage, Je suis un autarcique, en 1976, avant de diriger Ecce Bombo en 1978, Sogni d’oro en 1981, qui remportera le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise, Bianca en 1983 et La Messe est finie, Ours d’argent à Berlin, en 1985. L’année suivante, il crée avec Angelo Barbagallo sa maison de production, Sacher Film, en hommage à sa pâtisserie favorite, la Sachertorte. Il réalisera également Palombella Rossa en 1989, Journal intime, son film le plus célèbre, qui repartira avec le Prix de la mise en scène à Cannes en 1994, Aprile en 1998, La Chambre du Fils, Palme d’or à Cannes en 2001, Le Caïman en 2006, Habemus Papam en 2011 et Mia Madre en 2015. Il a également réalisé un documentaire, Santiago, Italia, en 2018. Il fut président du jury à la Mostra de Venise et au Festival de Cannes, et est à la tête d’un cinéma d’art et d’essai de Rome, le Nuovo Sacher.

En quatorze films et plus de quarante années de carrière, Nanni Moretti a su s’imposer comme une figure importante du cinéma italien, de Je suis un autarcique en 1976 à Santiago, Italia en 2018. Figure de proue de cette génération qui devait prendre la suite de Fellini, Visconti et Leone, Moretti a su traverser les époques sous les compliments de la critique dans les errances réflectives du cinéaste transalpin. Nanni a su, au travers de ses films, nous construire un portrait acerbe de l’Italie, le plus souvent par le prisme de sa capitale romaine, offrant un portrait sociétal unique en son genre. Tentons donc en quelques mots de pénétrer le cinéma de Moretti afin de comprendre la psychologie qui s’y trouve, et de dénicher les clés de son succès à travers les époques.

Il semble intéressant en premier lieu de recentrer le contexte : en combinant les codes de la comédie à l’italienne aux traditions du néo-réalisme italien, Moretti devient le passeur entre deux époques, au coeur d’une période tumultueuse pour l’Italie. En effet, lorsque Moretti sort son premier long-métrage, Je suis un autarcique, en 1976, il n’a alors que 23 ans et s’impose déjà par l’esprit libertaire de la jeunesse qui enflamme l’Europe depuis quelques années. Dès ce premier film, Nanni pose ce qui fera sa marque de fabrique : l’ironie mordante qui cisèle ses envolées réflectives laisse à montrer un sens profond de la psychologie humaine. Une psychologie qu’il n’aura de cesse d’étudier au fil de ces œuvres, souvent en se métaphorisant au coeur de la réflexion, par les personnages centraux qu’il joue dans chacun de ses films. En ce sens, Moretti se transformera en psychanalyste par deux fois, dans La Chambre du Fils en 2001, en véritable acteur de son drame, et dans Habemus Papam dix ans plus tard, où il sera désormais le passeur, métaphorisant les yeux du spectateur dans les siens pour mieux nous faire comprendre le drame humain qui se joue devant nous.

Nanni Moretti
Nanni Moretti et Michel Piccoli dans Habemus Papam, 2011.

Si Moretti s’intéresse autant la psychologie, c’est avant tout parce qu’il est un portraitriste de l’humanité hors pair. Dans la droite lignée de Fellini, dont il assume l’héritage, le réalisateur italien explore différentes facettes de l’humanité, entre cris et larmes. De la joie d’être père à celle de perdre un fils, de la quête de l’amour à la fuite d’un sort inéluctable, Moretti questionne par le prisme de la psychologie sur ce qui fait de nous des femmes et des hommes. Si ces réflexions endiablées, on y reviendra, joue un rôle primordial en ce sens, Moretti adopte souvent une mise en scène quasi documentariste pour mettre en valeur ses personnages : rares sont les plongées et les contre-plongées, puisque le réalisateur choisit souvent de filmer à hauteur d’homme dans de longs plans étirés, invitant le spectateur à se penser sur la scène du théâtre de vie qui se joue devant lui. Le brunicensi épure ainsi son style au maximum, afin de mettre en lumière ce qui lui tient à coeur : l’humain. Si le Moretti metteur en scène peut sembler simpliste, ses pendants de scénariste et d’acteur captivent : les personnages ont libre cours d’évoluer sous la caméra de Nanni, notamment par le prisme du dialogue. En effet, ce dernier est une pièce maîtresse de sa filmographie : jouant des codes de la comédie à l’italienne pour servir un humour absurde, Moretti offre un cinéma bavard mais jamais vide de sens, tant il nous entraîne dans la réflexion de ces personnages : car quand l’on réfléchit à l’écran, on réfléchit derrière également. Il nous faut boucler la boucle pour saisir la profondeur de la chose, comme le met si bien en lumière Bianca : les derniers actes sont souvent l’occasion de lever le voile de mystère qui pesait sur l’oeuvre. La résolution se met en place et l’absurde ou l’errance trouvent enfin un point final, révélant le sublime du film que nous visionnons. La primeur du dialogue dans le cinéma morettinien tient justement en la place centrale qu’il occupe vis-à-vis de la mise en scène. Cette dernière reste nécessairement simple, sans jamais être simpliste, pour laisser au texte le soin de s’exprimer : en transcendant la forme cinématographique pour en faire un théâtre filmé, Moretti convoque ses aînés ; quand ces derniers filmaient l’Italie par les yeux de leurs personnages, Moretti met lui en paroles les bouleversements sociaux qu’il observe depuis sa fenêtre.

Nanni Moretti
Nanni Moretti sur le tournage de Mia Madre, 2015.

Qualifier le cinéma de Moretti de cinéma social semble être une évidence ; mais à la différence d’un Ken Loach qui choisit une approche implacable par son réalisme impitoyable, Nanni choisit lui le fantasque et l’égocentrisme pour mieux montrer le fossé entre lui et la réalité. Si l’on peut trouver une teinte douce et niaise au cinéma de Nanni, la vérité est tout autre ; le réalisateur pose un œil cynique sur l’évolution de son pays, et cela notamment dans sa deuxième partie de carrière, où l’innocence de la jeunesse laisse place au terne de la réalité. Cette transition s’opère à la fin des années 90, lorsque La Chambre du Fils va prendre la suite d’Aprile : alors que Moretti nous avait habitué au cours des années 90 à des films survoltés, débordant d’imagination, où l’espoir d’un monde meilleur semble éclairer la flamme de l’italien, malgré des films au parfum doux-amer, La Chambre du Fils balaie cela d’une main implacable. Quatre années après un Aprile porté par la joie d’une naissance personnnelle et l’espoir d’une Italie à construire, La Chambre du Fils donne la réponse terne du destin. D’un Moretti prophète en la demeure, le virage au nouveau millénaire est aussi l’occasion pour le cinéaste de poser un regard paternaliste sur la question, rendant sa critique sociale encore plus intense. De portrait de Moretti à portrait par Moretti, le cinéaste finit par nous offrir un œil de plus en plus pessimiste sur son pays, Mia Madre constituant à demi-mot le troisième volet de la trilogie « Société et Famille » du cinéaste.

La Chambre du Fils marque également pour le cinéaste une rupture, plus insidieuse qu’il n’y paraît. Pour la première (et unique fois à ce jour dans ses œuvres de fiction), le cinéaste va s’éloigner de Rome, capitale italienne et théâtre de ses inspirations, pour poser ses valises à Ancône. Cet éloignement rompt l’habituel équilibre d’un cinéaste immortellement lié à la Ville Eternelle, et illustre bien la rupture que représente sa Palme dans sa filmographie. Comme nous le conte Paolo Di Paolo et Giorgio Biferali dans A Rome avec Nanni Moretti, le cinéaste entretient une relation privilégiée avec la capitale romaine, dont les quartiers sont le théâtre des scènes de vie, comme une fenêtre romaine sur l’état de l’Italie. De Monteverde de Bianca au Trastevere de La Messe est finie, de l’île Tibérine d’Aprile au Teatro Valle d’Habemus Papam, Moretti n’a eu de cesse au cours de ces œuvres de filmer la ville et ces multiples facettes pour corréler aux émotions de ces personnages la portée historique et sociétale des lieux dans lesquels ils évoluent. Car chez Moretti comme au théâtre, le décor est toujours riche en sens et constitue presque à lui seul un personnage ; le cinéaste ne se contente de portraiturer l’Italie d’aujourd’hui ; il convoque celle du passé et du futur comme un pont éternel, où Rome semble le théâtre idéal pour se perdre et réfléchir sur la richesse de l’humain, là où la scène finale de Palombella Rossa est l’explosion ultime de cette vision.

Nanni Moretti
Nanni Moretti dans Sogni d’oro, 1981.

Finalement, que retenir d’un film de Nanni Moretti ? Une balade romaine pour les uns, une palabre fugace pour les autres ; il n’en reste pas moins que le cinéaste aura su à travers les époques nous offrir les nuances de son esprit et nous offrir un cinéma d’une grande richesse. Car Moretti ne se contente pas de parler des heures de l’Italie et de ce qui l’entoure ; il convoque le petit et le grand, le personnel et le public, l’intime et l’ostensible. C’est à la réunion de ces univers qu’il vient construire ses récits, où le fantasque sert au décalage de la situation, créant ainsi intérêt et réflexion chez le spectateur. Nanni Moretti n’aura jamais l’aura de metteur en scène de ces illustres aînés ; qu’importe, puisqu’il choisit le réel au fantasme, et a su devenir à travers les époques un conteur formidable, un portraitiste hors pair et un réalisateur social à l’univers bouleversant.

Vous pouvez également retrouver notre classement des films de Nanni Moretti ici.

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