L’homme qui tua Don Quichotte, film d’aventure hispano-luso-belgo-franco-britannique de 2018, réalisé par Terry Gilliam, avec Adam Driver, Jonathan Pryce et Joana Ribeiro
ENFIN ! Après 25 années d’attente et de labeur (comme nous le rappelle le générique d’introduction), Terry Gilliam a réussi à venir à bout de son Don Quichotte, un film dont on avait presque perdu l’espoir de pouvoir le voir un jour. C’est pourtant avec Jonathan Pryce (pour le rôle initialement donné à Jean Rochefort, à qui est dédié le film) et Adam Driver que le film s’est présenté il y a une semaine sur la Croisette et au même moment dans nos salles obscures. Le film est-il à la hauteur des attentes que le temps a suscité ? Tentative de réponses en quelques points.
Dans une oeuvre qui tenait tant à coeur à Terry Gilliam, il aurait été plus que surprenant de ne pas y retrouver les thématiques qui jalonnent sa filmographie, tout en sachant que l’oeuvre de Cervantes possède despoints communs avec celles de l’ancien Monty Python. En nous offrant un film à la frontière du fantasme et du réel, Gilliam continue d’explorer cette idée d’un artiste en marge d’une société, prisonnier de son talent et de son imaginaire. Mais, plus que d’habitude, on a l’impression ici de voir Gilliam se mettre lui-même en scène, par le prisme de ces deux protagonistes principaux : Javier, joué par Jonathan Pryce, symbole du vieux fou qui ne cesse de poursuivre ces rêves d’imagination contre vents et marées, et Toby, interprété par Adam Driver (qui ne cesse de montrer de film en film qu’il est un des plus grands talents de sa génération), jeune réalisateur présenté comme un grand talent sans pour autant s’exprimer comme il le souhaiterait. En parsemant le long du film des indices quant à l’investissement dont il a fait preuve toutes ces années, Gilliam tente de pousser son cinéma à son paroxysme pour livrer une oeuvre aux faux airs de « film testament ». Doit-on cependant le limiter à ceux-là ? Le débat est ouvert, mais il serait dommage de se cantonner de cette manière, tant le film fonctionne avant tout par et pour lui-même.
A la croisée des styles, sans être un pur film d’aventures ou de cape et d’épée, L’homme qui tua Don Quichotte nous fait plus penser à une épopée régit sous le monomythe de Campbell, où Toby est le héros et Don Quichotte le mentor, monomythe où Gilliam incorpore quand même la notion de création. En effet, c’est Toby qui élabore le monde dans lequel il évoluera ensuite, en créant son Don Quichotte et sa Dulcinée (en la personne d’Angelica, jouée par Joana Ribeiro). La création se retournera alors contre son créateur (idée déjà explorée dans une certaine mesure par Gilliam) qui devient créature, devient le pantin de sa machine infernale, comme bloquer dans cette création qu’il ne contrôle désormais plus. C’est d’ailleurs assez intelligemment que le scénario va venir appuyer cela en segmentant, tel un livre et son schéma narratif, le film. On y retrouve donc les cinq étapes du schéma (l’élément déclencheur étant la redécouverte de ce film d’étude, et nous tairons le dénouement et la situation finale pour ne pas spoiler ceux qui ne l’aurait pas vu), articulé pour offrir une oeuvre plus prenante, la plus chevaleresque, où Toby, prisonnier d’abord passif de son oeuvre, devra accomplir son destin. Mais, malheureusement, cette volonté d’appliquer le schéma narratif va mettre en lumière les défauts du film.
En effet, le principal reproche que l’on pourrait faire au film serait d’être assez inégal dans l’ensemble. D’une situation initiale poussive pour laquelle Gilliam semble obligé de se limiter à une mise en scène banale et sans âme pour appuyer son propos ensuite, le film offre un deuxième acte majestueux, du passage de Toby dans le village jusqu’à des retrouvailles en forêt, porté par une mise en scène inventive qui vient perdre le spectateur entre le rêve et la réalité et bouscule magistralement ces repères, avant un final un peu trop forcé qui alterne moments de grâce (la scène de la conquête de la Lune reste assurément comme une des plus fortes du film) et grandes longueurs, en offrant quand même un moment agréable au spectateur. Le même constat d’inégalité est à apposer aux personnages, alternant entre l’excellent (Toby et Don Quichotte, les deux personnages principaux, mais également Angelica ou bien son père Raul), l’insignifiant (Stelan Skarsgard, monolithique dans l’écriture et l’interprétation, personnage fonction faussement méchant et parfaitement inutile, ou bien Alexei campé par Jordi Molla, menaçant uniquement pendant sa première vraie scène avant de s’éteindre complétement) et même le grotesque (que dire du personnage de Jacqui, campé par Olga Kurylenko, tant il est mauvais et donnerait presque la nausée). Malgré tout, le film est incontestablement fait avec le coeur, rempli de bonnes intentions et qui, certes, n’est pas une oeuvre parfaite, mais offre un vrai moment de cinéma fort qui prend le spectateur aux tripes et le fait, en quelque sorte, devenir une forme de Don Quichotte.
Après plus de 25 longues années d’attente, L’homme qui tua à Don Quichotte s’offre donc enfin à son spectateur qui l’attend presque comme un Saint Graal. Si le film n’est pas le meilleur Gilliam, ni même le plus mémorable, il reste comme une oeuvre riche en émotions, certes inégale et poussive par moment, mais véritablement immersive, portée par une mise en scène qui s’ouvre telle une rose au fur et à mesure du film, et montre que Gilliam n’a toujours pas perdu son idéal d’artiste, celui de l’imagination débordante qui pousse son détenteur à se placer en marge de la société. En se faisant Don Quichotte, le réalisateur britannique propose à son spectateur de devenir Sancho Panza et de partir en quête de sa Dulcinée, celle de l’idéal de l’imaginaire et de l’aventure, afin que nous marchions dans ses traces et devenions à notre tour des Don Quichotte. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on se prend aisément au jeu et que l’on passe un très bon moment, preuve que toute cette attente valait finalement (un peu) le coup.
Note
4/5
Après tant d’attente, Terry Gilliam nous livre une oeuvre certes imparfaite mais pleine d’envie. Si le film est finalement plutôt inégal et ne marquera pas l’histoire du cinéma par sa qualité intrinsèque, les défauts de l’oeuvre n’empêche pas le spectateur de passer un très bon moment de cinéma, notamment porté par le bon travail de Gilliam et par le talent d’Adam Driver, et de vivre enfin une oeuvre qu’il a tant attendue.
Bande-annonce :
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