Auréolé du Léopard d’Or à l’édition 2018 du Festival international du film de Locarno, Les Étendues Imaginaires, deuxième film de son réalisateur Yeo Siew-Hua (son premier, In The House of Straw, était sorti en 2009), a donc débarqué dans nos salles obscures le 6 mars dernier avec le prestige de cette récompense. Pas forcément attendu ni par le grand public ni par les cinéphiles, Les Étendues Imaginaires avait pourtant de quoi interroger et susciter l’intérêt du spectateur.
Dont, vous l’aurez deviné, le nôtre !
Exercice de style à mi-chemin entre film noir, délire onirique et hommage lynchien, Les Étendues Imaginaires possède en son sein toutes les caractéristiques des premières œuvres d’un réalisateur, souvent bringuebalantes, bourrées de bonnes intentions et de références multiples.
Prenant place dans la mégalopole singapourienne, le film s’éloigne de l’opulence et la luxure de la ville pour se pencher sur ces territoires oubliés des citadins, des chantiers où le travail harassant est de mise. Deux personnages, qui vont diluer la fonction sujet, nous seront présentés dans ce cadre peu accueillant : Wang, qui travaille sur le chantier et qui va d’ailleurs s’y blesser ; et Lok, inspecteur taciturne qui va se mettre à la recherche de Wang lorsque ce dernier aura été porté disparu. Ainsi, s’installe entre nos deux personnages principaux une véritable course-poursuite dans les recoins mal famés de Singapour. Une course-poursuite qui amènera nos deux protagonistes à croiser la route de Mindy, responsable d’un cybercafé qui va devenir le point névralgique de cette histoire rocambolesque.
Exercice de style donc, et particulièrement dans la narration. Si, dans la vision de deux personnages dont le manque de sommeil (ils sont tous les deux insomniaques) tend à déclencher chez eux une certaine schizophrénie, à l’instar d’un Fight Club, le film tend à s’éloigner de cette analogie puisqu’il donne, dès le début du film, la clé du long-métrage à son spectateur.
Outre le fait d’exploser la linéarité de son récit et placer sur son film un parfum de fatalisme, Yeo Siew-Hua entoure son film d’une ambiance onirique que le récit se charge de faire comprendre : est-ce la réalité ? Un fantasme rêvé de l’inspecteur, couplé à un certain inconscient professionnel ? Le film a au moins la qualité de casser les attentes du spectateur et de l’amener à s’interroger sur un récit, dans son postulat de base, réduit à sa portion congrue.
Car il est évident que le film est bourré des intentions les plus nobles. Son message, politique tout d’abord : la façon de l’entreprise de chantier (et de la société en général par celle-ci) de traiter ses employés comme des fantômes (en leur retirant leur passeport, on leur retire à la fois la possibilité d’être quelqu’un ici et ailleurs), l’éternel combat contre une société où tout fonce à vive allure mais où le temps qui passe irrémédiablement est un rappel constant aux personnages de leur place minime dans ce monde… Un monde dont on cherche à tout prix un échappatoire, ce que symbolise ce cybercafé que les noctambules viennent peupler et combler leur vide existentiel. Un cybercafé où l’on s’adonne surtout aux jeux vidéos (mais pas que), comme une métaphore du rêve éveillé dans lequel les personnages s’enferment, ce que le film explicite clairement.
On ne peut reprocher non plus au réalisateur la touche d’humanité qu’il donne à son métrage : à travers le personnage de Mindy, qui traverse le film comme une ombre exaltante, maîtresse de toutes les folies, ou encore Ajit, qui permet d’offrir, par la danse, un échappatoire à Wang. Par ces deux personnages arrivent d’ailleurs les quelques envolées érotiques du film, aussi bien homosexuelles qu’hétérosexuelles.
Une humanité nuancée par l’ambiance froide et lugubre du récit dans lequel le réalisateur enferme ses personnages. En désaturant ses images, il exprime autant le désespoir de personnages enfermé dans un monde comme laissé à l’abandon que la volonté qu’ils ont de s’en échapper.
Bien malheureusement, si les intentions du réalisateur sont bien présentes dans le produit final, force est de constater que leur exécution s’en retrouve assez bancale.
En étirant son récit, un réalisateur prend toujours le risque de ne pas avoir assez de matière pour tenir en haleine son spectateur. C’est bien malheureusement ce qui se produit dans le film : loin d’être inintéressante, cette course-poursuite entre nos deux personnages est traitée avec une certaine désinvolture qui rompt avec la promesse du film d’être ce dédale quasi lynchien. Car n’est pas Lynch qui veut, car à trop soigner la forme, Yeo Siew-Hua en néglige quelque peu le fond, perdant ici en intérêt là où un bon traitement du scénario aurait amplifié l’impact émotionnel et intellectuel du film.
Il est dommage, dans un film aux intentions aussi prometteuses, de le voir se vautrer par manque d’une véritable moelle épinière, d’un scénario solide sur lequel se reposer, qui lui aurait donné une véritable consistance.
De lui, on retiendra un exercice de style malgré tout prometteur, mais qui demandera, pour son réalisateur, une plus grande rigueur à l’avenir, et on sera ravi, si tel est le cas, de venir l’applaudir chaleureusement dans les salles obscures.
Note
3/5
Exercice de style non sans intérêt, Les Étendues Imaginaires manque d’une consistance dans son scénario pour réellement garder l’attention du spectateur. S’il fait preuve de plus de rigueur dans ses prochains films, Yeo Siew-Hua est promis à un très, très bel avenir.
Bande-annonce
Merci à Épicentre Films. Vous pourrez retrouver la fiche du film ici.