Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !


LE POUR

Thomas G.

À la recherche du temps perdu

Dans une année décidément noire pour le cinéma contemporain, Christopher Nolan s’annonçait un peu plus, dans l’esprit d’observateurs, comme le « sauveur du cinéma ». Déjà auréolé d’une immense gloire qui en faisait aux yeux des cinéphiles modernes l’Ayatollah du cinéma de divertissement, le Britannique, avec Tenet, avait la lourde tâche d’être le grand spectacle ramenant les spectateurs en salles.

Et autant dire que sur cet aspect-là, le pari est amplement réussi. Avec Tenet, Nolan parvient en effet à son sommet en termes de pyrotechnie cinématographique. Lui qui souhaitait réaliser un film « à la James Bond » parvient en effet à donner à Tenetune ampleur et un grandiose qu’il n’avait que très rarement atteint, au détour d’une mise en scène certes sans relief mais qui, dans un blockbuster de 2h 30, se révèle plus qu’efficace. D’aucuns fustigeront une écriture paresseuse des personnages : c’est oublier non seulement l’intérêt tout relatif de Nolan pour les personnages de tous ses films, mais surtout omettre que, dans un film destiné avant à imprimer la rétine du spectateur, ce dernier nécessite des repères évidents pour pouvoir pleinement profiter du grand spectacle proposé.

Et c’est sans doute avec Tenet que la volonté du cinéaste d’user sans limite des effets pratiques, laissant de côté les effets spéciaux numériques, prend toute sa force. Dans une ère du tout-numérique, du fond vert à outrance, voir un cinéaste majeur revenir à une certaine idée du cinéma « bio », pur, un cinéma de blockbuster qui ne gruge pas, offre une fraîcheur sans pareille. Que dire de la séquence de l’aéroport, si ce n’est qu’elle coupe le souffle par son sens du réel ? Ou de la séquence finale, emplie d’authenticité ? Exemples parmi d’autres d’un long-métrage empli de sincérité.

Mais Nolan n’oublie pas, avec Tenet, ses obsessions de cinéaste, offrant son travail sur le temps à la fois le plus galvanisant mais aussi le plus cryptique. Inspiré du fameux carré Sator, le film expérimente le travail d’une narration dédoublée comme peu l’ont tenté auparavant. Tentative amenuisée par un film qui livre difficilement ses clés de compréhension, mais sans nul doute tentative de divertissement « intelligent » sans commune mesure.

On pourra tirer du film certains défauts, récurrents chez Christopher Nolan ; mais force est de constater que le Britannique livre avec Tenet le grand spectacle attendu, le plus imposant de sa carrière et qui le conforte, malgré ses approximations, comme le roi incontesté du cinéma de divertissement actuel.


LE CONTRE

Émilien Amour

Une Ferrari sans freins

Nolan est un grand réalisateur contemporain, cette affirmation est indiscutable. Cependant il s’est égaré, tout du moins, il a égaré le public. Voulu ou pas, ce résultat a une fâcheuse conséquence : la frustration. Dans un contexte difficile où la faim du 7ème art se fait ressentir, l’indulgence ne suffit pas à fermer les yeux sur de gros défauts. Tant narratifs qu’esthétiques. La comparaison de la Ferrari est légitime. Tape à l’œil, réputé dans son domaine, très cher. Le film de Nolan en dégage. C’est du luxe. Un casting magnifique sur le papier (Washington, Pattinson, Debicki), un budget hors norme, un blockbuster pur et dur qui a pour objectif de séduire.

En entrant dans la Ferrari, on se rend vite compte qu’elle est difficile à manier, voire incontrôlable. Cette fois-ci l’obsession qu’a Nolan de l’espace-temps se retourne contre lui. Il se fait plaisir sans aucune limite. Aucun contexte ne nous est présenté précisément, le spectateur est jeté dans la voiture sans permis de conduire. Comment comprendre les premières séquences ? Comment comprendre le récit quand il a déjà débuté ? Impossible d’arrêter la voiture. Le dynamisme du montage est étouffant, l’amas d’informations que nous donne le film est gargantuesque et surtout incompréhensible. Là où des explications (précises !) nous étaient fournies à la fin ou pendant le film dans les précédentes démonstrations de Nolan (MementoInceptionInterstellar), Tenet nous laisse en plan.

Nolan fait un film, mais pour lui, pour tenter de guérir sa maladive obsession du temps en allant au-delà des limites de la compréhension. Quant à l’esthétique, le budget ne cicatrise pas la plaie de la narration. La formalité, l’académisme de la mise en scène est d’un ennui sans pareil. Les scènes d’action sont similaires à celle d’un Mission impossible ou d’un James Bond, le film n’apporte aucune fraîcheur. Dans une décennie où de nombreux blockbusters se ressemblent, Nolan se doit d’innover, c’est sa seule mission, il se doit de temporiser plutôt que d’expédier les séquences les unes après les autres. Le seul point positif du film est la relation conjugale on ne peut plus banale qu’entretiennent Katherine Barton et Andrei Sator. Ces seules séquences calmes permettent au spectateur d’avoir un peu de répit dans cette Ferrari incontrôlable, d’autant plus que le scénario est de qualité seulement dans ces scènes.

Tenet est une bonne expérience cinématographique mais sans aucun intérêt malheureusement. Nolan fonce à toute vitesse sans limite. Une Ferrari inconfortable au quotidien.

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