Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
LE POUR
Paul P.
To Live and Die in Hollywood
Après six ans d’absence, ce n’est certainement pas sur un sujet académique comme Mank qu’on s’attendait à retrouver David Fincher. Sur le scénario de son père, l’auteur américain se confronte au mastodonte cinématographique Citizen Kane , à travers le portrait de son scénariste, Herman Mankiewicz.
Avec une introduction balourde, le nouveau-né de Fincher semble vite tomber dans les travers qu’on lui craignait. Son maniérisme, qui singe les effets d’un film des 30s, ressemble à un exercice de style gênant, son abus de name-dropping frôle l’indigestion et son tempo prend du temps à se mettre en place. Pourtant, passée une entrée en matière abrupte, Mank cache un geste de cinéma profondément touchant, si l’on parvient à aller au-delà de son apparent hermétisme.
Comme Tarantino avec son récent Once upon a time… In Hollywood , Fincher fait marche arrière pour mieux analyser le monde cinématographique, mais, à l’inverse de son collègue, le fait en conservant un point de vue résolument cynique. Ici, Hollywood n’est pas un lieu de conte de fée. C’est un cimetière, dans lequel sont enterrées les ambitions de tous les artistes ayant essayé d’exister au sein d’une industrie conservatrice et irraisonnée. Néanmoins, sous la surface de ce système inhumain se cache des âmes complexes et
tristement solitaires, que le cinéaste capture sobrement, en freinant ses effets de style habituels, pour mieux saisir les émotions d’un casting absolument divin. Mank , donnant son titre au film, est précisément un de ses êtres égarés au sein d’un monde qu’il ne comprend plus.
À travers de nombreux rappels au chef d’oeuvre de Welles et une narration parfaitement huilée, entremêlant passé et présent, le cinéaste dessine un discours méta passionnant, dans lequel l’existence et l’entourage du protagoniste trouvent leurs équivalents chez Kane.
Fincher s’attelle ainsi à démanteler son propre statut d’auteur, qu’on lui a toujours attribué, en filmant le génie de ce scénariste de l’ombre, constamment en avance sur son temps et faisant du processus d’écriture une introspection. Tom Burke, dans le film, n’est pas tant Orson Welles que Fincher lui-même, un grand démiurge qu’on a toujours eu tendance à placer seul au sommet.
Mank se dresse alors comme une simple lettre d’amour. Celle d’un réalisateur, rendant hommage au travail des scénaristes qui l’ont épaulé, et celle d’un fils, disant adieu à son père.
LE CONTRE
Ophélie D.
Mank, ou le retour mitigé du roi
Six années après Gone Girl, quelques prouesses avec Mindhunter et David Fincher renoue avec les longs-métrages pour signer avec Netflix un hommage caduc aux 30s et à sonindustrie cinématographique : Mank scénarisé par son propre père.
Avec Mank , c’est tout un pan de l’histoire du cinéma des années 30 que nous (re)découvrons, bien au-delà de l’écriture de Citizen Kane par l’emblématique et problématique Mankiewicz. Fincher nous offre donc, avec une timeline voguant entre passé et présent, des événements de la vie de ce scénariste, qui alimentent tant la profondeur de l’homme qu’ils n’illustrent la réalité politique, industrielle, mondaine, pourrie du cinéma de cette ère.
On peut alors apprécier toute l’expressivité de la mise en scène des dialogues de ce maître en la matière. La caméra navigue dans les scènes avec précision et justesse animant des séquences cependant parfois trop bavardes. Il faut d’ailleurs avoir un bagage historique conséquent pour réussir à contextualiser les nombreux sujets abordés ; cette richesse peut sortir certains spectateurs du film.
Malheureusement, si la narration articulée autour de flashbacks est parfaite, l’esthétique hasardeuse et proche du gadget alourdit le génie de Fincher. Voulant être un « 30s movie », Mank n’a pas l’étoffe et la profondeur visuelle de ces films emblématiques de l’époque. Le noir & blanc n’est pas à la hauteur et propose des images lisses et claires presque « trop
parfaites » et dont les contrastes et les jeux de lumières se font timides, sans relief. La technique de réalisation ne renvoie pas au talent de Fincher, dévoilant des fonds médiocres, des procédés superflus – comme les cigarettes burns – et n’apportant finalement rien à l’oeuvre. Une re-création des années 30 donc très bancale et gentillette dont le travail sonore « cliché » et mal exécuté est trop présent et percute en désaccord avec la nature de certaines scènes.
Si Mank est maladroit, la performance de Gary Oldman porte le film. Portrait d’un personnage typiquement finchérien et en recherche d’un idéal, l’acteur réussit à animer un Mankiewicz pourtant sans âme ou presque. Les émotions et le traitement des personnages n’est pas assez approfondi, sans doute du fait de leur grand nombre. On s’attache
difficilement à eux, loin des enjeux et des tensions que Fincher a l’habitude de procurer.
Oeuvre imparfaite mais jouissive, Mank nous offre le retour d’un David Fincher influencé par l’hommage qu’il voulut rendre à son père, mais pas de son complet talent.