Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !

? Réalisateur : James Gray
? Casting : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, Liv Tyler…
? Genre : science-fiction
? Sortie : 18 septembre 2019 (France)

Synopsis : L’astronaute Roy McBride s’aventure jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers.


le pour

THomas G.

Ad Astra, fils prodig(u)e

D’un oeil impitoyable, voilà plus de 50 ans que Stanley Kubrick scrute l’horizon interstellaire, dans l’attente du digne héritier de son 2001, l’Odyssée de l’espace, du film capable de lier avec la même acuité l’émotion pure à la réflexion transcendante, l’intime à l’universel. De ce mètre-étalon de la science-fiction au cinéma, James Gray pourrait bien avoir livré, avec Ad Astra, le plus honorable des successeurs.

Cette filiation, Ad Astra l’embrasse pleinement, s’en gargarise, s’en nourrit. Mais évitant avec soin d’en faire une figure encombrante, James Gray n’en retire que la substantifique moelle qu’il incorpore à sa vision d’auteur, ce regard si acerbe sur une humanité putréfiée de l’intérieur. Le voyage spatial de Roy McBride (Brad Pitt), en apparence d’une effarante platitude, est surtout le récit initiatique de l’Homme en quête de sa place dans l’Univers. Un Homme confronté à ses peurs, ses doutes, ses propres limites, et dont l’ignorance n’a d’égale pour James Gray que la vacuité de sa vanité. Au travers de cette quête existentielle vers une figure paternelle castratrice, qui n’est pas sans rappeler l’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, James Gray interroge la nature profonde de l’humain, dont la sophistication des comportements et rapports sociaux masque une bestialité enfouie que l’évidence de notre empreinte dérisoire dévoile au grand jour.

Fort heureusement, James Gray ne sacrifie pas l’émotion sur l’autel du froid nihilisme. Au-delà d’une odyssée métaphysique sur une humanité déclinante, Ad Astra se veut aussi comme la pérégrination d’un homme au coeur de sa propre psyché, dont le périple en forme de catharsis est avant tout la confrontation à ses propres fêlures. Un personnage profondément shakespearien auquel Brad Pitt donne sa pleine mesure, comme le parfait contrepoint du Cliff Booth d’Once Upon a Time… in Hollywood sorti la même année, et dont la bouleversante performance achève de donner au film toute sa puissance émotionnelle.

Ce qui vaudra à Ad Astra tant de louanges, c’est avant tout l’évidence même qu’il représente du Septième Art comme celui de l’enchantement et du désenchantement. De la conjugaison des talents les plus précieux, de Max Richter à Hoyte Van Hoytema, au service d’un récit puissant et d’une réflexion profonde, d’une vision dont le pessimisme n’élude pas la lacrymalité. Riche, imposant son éloquence avec une habilité déconcertante, Ad Astra peut permettre à Stanley de se reposer sur ses deux oreilles : la science-fiction, et le cinéma, ont trouvé avec James Gray leur fils prodige.


Le contre

Antoine C.

La SF face au joug de 2001

Attendu depuis longtemps par les fans de James Gray, adulé dans les festivals où il est passé, Ad Astra était espéré comme un sacro-saint de la SF, dans une décennie charnière du genre. Qu’en est-il réellement ?

Dire qu’Ad Astra est raté serait bien insultant. Au contraire, nous sommes ici plus proches de la réussite que de l’échec. Malgré, on a la sensation qu’Ad Astra échoue comme tant d’autres de ses prédécesseurs à regarder dans les yeux 2001 de Kubrick.

James Gray lorgne sans honte sur le film de 1969, en y reprenant thématiques et mise en place : en composant son ode spatiale à la vie comme une errance, Ad Astra tente de se placer dans la lignée de son prédécesseur. Mais plombé par un scénario qui pompe Apocalypse Now dans les faits sans en reprendre la force, porté par des seconds rôles aussi inutiles que vide de sens et de réponses, Ad Astra ennuie quand d’autres surprennent ; l’avancée inexorable de Roy dans la quête de son père semble invariablement tracée, et rien ne pourra le faire dévier de son destin.

Pourtant, lorsque l’on voit l’électrisante performance d’un Brad Pitt revenu enfin dans la lumière, le travail fantastique à la photographie d’Hoyte Van Hoytema, la qualité évidente de mise en scène de Gray, le mixage sonore hypnotisant, on se dit que le film a tout pour être le digne successeur des plus grandes oeuvres de science-fiction. Mais nous avons finalement l’impression d’errer comme Roy sans émotion dans cet univers qui gravite autour de nous, jusqu’à cette rencontre finale, où l’espoir ne nous est plus permis tant nous savons déjà ce qu’il en adviendra.

Plus qu’un sommet, Ad Astra est une errance ; celle d’un personnage en quête d’un père et de réponses ; celle d’un spectateur en quête de réflexions et d’émotions. Plus les deux avancent, et plus l’espoir disparaît au profit d’un pragmatisme déprimant. Si le film est bercé par les thématiques cyniques de son auteur, difficile de voir en Ad Astra la force universelle de The Lost City of Z, précédent film de Gray, et on ne sent jamais marqué au fer rouge comme on nous l’a promis. Car si oui, Ad Astra est un bon film, il n’en reste pas moins une conclusion, aussi triste que implacable : la SF ne s’est finalement toujours pas remise de 2001, l’Odyssée de l’espace.


bande-annonce

Auteur/Autrice

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1 Comment

  • princecranoir
    On 10 novembre 2019 19 h 55 min 0Likes

    Comment ne pas être d’accord avec ce contre qui est tout de même pas mal pour.

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