Une décennie qui s’achève, c’est aussi une décennie de cinéma qui a réservé ses chefs-d’œuvre et ses déceptions. Réalisateurs, journalistes, vidéastes… Retrouvez durant le mois de janvier les témoignages de ceux qui ont vécu 10 années riches en enseignements.

BonnetBrothers | photo de profil

Si Ciné Maccro continue de transmettre le cinéma depuis quasiment 5 ans, c’est avant tout grâce à celles et ceux qui nous suivent. Aujourd’hui, nous avons décidé de laisser carte blanche à deux jumeaux qui partagent sur Twitter leur passion du cinéma : The Bonnet Brothers !


5 coups de cœur ?

Jumeau 1

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg

L’adaptation que tous les fans de Tintin attendaient. Steven Spielberg, secondé par Peter Jackson, honore l’univers visuel d’Hergé et livre une œuvre d’une virtuosité folle menée tambour battant où Spielberg montre tout son sens de la mise en scène à travers des séquences étourdissantes. Le tout avec l’une des plus belles compositions de John Williams. Un régal.

Mad Max Fury Road de George Miller

A l’heure où les blockbusters numériques se suivent et se ressemblent désespérément (des coquilles numériques vides et hideuses), George Miller est arrivé en 2015 avec une tornade d’action et de fureur, offrant au cinéma un grand film d’action et l’un des plus beaux personnages féminins du genre, l’Imperator Furiosa. L’énergie cinétique folle, le montage ahurissant, les séquences d’action démentielles, la musique déchaînée de Tom Holkenborg… Fury Road est une claque et renvoie tous les blockbusters Marvel, DC et consorts dans leurs pénates.

The Strangers de Na Hong-Jin

Le cinéma coréen a prouvé toute sa grandeur au fil des années. La carrière de Na Hong-Jin est récente et sa filmographie, réduite (à peine trois films). Son troisième film est un diamant noir, son œuvre la plus aboutie et peut-être l’un des films les plus terrifiants de cette décennie. On sort du film éreintés et tremblants. C’est un voyage terrible au tréfonds du mal porté par un impressionnant Kwak Do-Won (acteur comique à la base !).

Cemetery of Splendour de Apichatpong Weerasethakul

Une jeune infirmière nettoie tout doucement un soldat endormi, le temps semble suspendu, puis le soldat se réveille. Cemetery of Splendour est une œuvre d’une infinie douceur. Weerasethakul fait méditer le spectateur, le fait entrer dans un monde où la magie côtoie le banal, où les figures mythiques côtoient le quotidien. Un film envoutant d’une grande beauté qui reste auprès du spectateur longtemps.

Au Revoir Là-Haut de Albert Dupontel

On était habitués à rire devant les comédies survoltées de Dupontel. Avec son adaptation du roman de Pierre Lemaitre, Dupontel démontre qu’il est un grand réalisateur, un conteur. Au Revoir Là-Haut est un film virevoltant, où la caméra virtuose de Dupontel nous montre toute une comédie humaine où l’absurdité des années folles côtoie le dur retour des gueules cassées à la réalité. Laurent Lafitte n’a jamais été aussi diabolique et Nahuel Pérez Biscayart crève l’écran. Une œuvre splendide.


Jumeau 2

American Sniper de Clint Eastwood

L’archétype du cinéaste américain classique livre ici l’un de ses plus grands films et propose une réflexion subtile et profonde sur l’Amérique et son rapport ambigu aux héros, sur le processus de déshumanisation qu’engendre l’armée et la guerre, tout en offrant à l’insipide acteur hollywoodien Bradley Cooper le rôle de sa vie. Le Voyage au Bout de l’Enfer de notre époque.

Mad Max Fury Road de George Miller

Déflagration visuelle et sonore dans l’univers lisse et formaté des blockbusters, Fury Road réinvente la mythologie de Mad Max tout en la poussant dans ses derniers retranchements. Sans compromis, évitant habilement de sacrifier l’émotion au profit d’une virtuosité ostentatoire, le film trouve sa force dans sa simplicité folle, qui n’exclut pas une forte densité émotionnelle et thématique. L’aboutissement du cinéma humaniste et puissant de George Miller.

The Assassin de Hou Hsiao-Hsien

Geste esthétique radical et unique, The Assassin ne signe pas seulement le retour réussi (doux euphémisme) du cinéaste taïwanais. C’est aussi le plus beau film d’une décennie pourtant riche en œuvres esthétiquement superbes, où le genre et les codes du wuxia se trouve transcendé par une mise en scène hypnotique. Une certaine idée de la perfection.

La Vie d’Adèle d’Abdelatif Kechiche

Entre les mains d’un faiseur sans personnalité, l’adaptation de la BD Le Bleu est une Couleur Chaude aurait pu être une œuvre plate, consensuelle et larmoyante. Entre les mains d’Abdellatif Kechiche, La Vie d’Adèle est un immense film vibrant, intense, passionnant et plus que tout, juste dans sa description d’un sentiment aussi complexe que celui d’être amoureux. En réalisant un film gouverné uniquement par les émotions brutes d’Adèle (Adèle Exarchopoulos, immense révélation), Kechiche touche à l’universel, et par extension au vrai. Il n’est guère surprenant qu’un cinéaste comme Spielberg, dont le cinéma accorde une immense place aux émotions, ait été autant touché par ce film. Une œuvre de maître.

Mia Madre de Nanni Moretti

Le cinéaste italien signe un magnifique mélodrame, évitant habilement le piège du sentimentalisme et du pathos pour nous livrer une œuvre étonnement pudique, drôle grâce à l’abattage d’un John Turturro plus cabotin que jamais, et incroyablement déchirante. Un film sur la mort tourné vers la vie, vers demain. Comment ne pas succomber face à cela et face à la détresse de Margherita Buy ? Un film précieux, qu’on a envie de serrer dans ses bras.


5 déceptions ?

Jumeau 1

Tarzan de David Yates

The Square de Ruben Östlund

Le Fils de Saul de László Nemes

L’Amant Double de François Ozon

En Guerre de Stéphane Brizé


Jumeau 2

Star Wars : The Force Awakens de J.J. Abrams

Un univers gigantesque dans les mains, des artistes de légendes de retour (John Williams, Ben Burtt), des possibilités infinies pour donner suite à la saga la plus connue de l’histoire du cinéma… pour finalement voir l’univers se replier sur ces figures et motifs les plus connus et les plus rebattus, dans tous les domaines, et bannissant de facto l’élément central ayant fait le succès de la saga, pour le meilleur et pour le pire : l’invention. Les films suivants ne feront que confirmer ce constat initial, tout en réussissant l’exploit d’être plus mauvais que le précédent. Mais au moins, il y a quelques beaux plans.

The Revenant de Alejandro González Iñáritu

L’histoire retiendra que Leonardo DiCaprio a obtenu l’Oscar pour ce film. Une performance qui a le mérite d’être cohérente avec ce dernier : ostentatoire, excessive, à la limite du ridicule, artificiel. Un film représentatif d’une vision du cinéma où la performance, le désir du tour de force, l’expérience, prime sur tout le reste et qui n’a rien à dire au-delà de cela. Un très beau vide.

La Loi du Marché de Stéphane Brizé

Vincent Lindon constitue le seul intérêt de ce film misérabiliste cachant mal la vacuité de son propos derrière son dispositif filmique. La Loi du Marché cherche à se donner les atours du vrai mais ce n’est qu’un film-expérience de plus, suintant le pathos de tous ses pores, à l’écriture artificielle, où la figure de l’acteur va même jusqu’à occulter les non-professionnels. Brizé n’a rien à dire et rien à filmer. Il se contente d’enregistrer des images sans avoir le début d’une réflexion cinématographique. A qui s’adresse ce film ? Ni aux riches, ni aux personnes étant dans la situation du personnage de Lindon. Il s’adresse à ceux voulant ressentir le grand frisson d’être immergé pendant 1h35 dans la peau d’un chômeur essayant de s’en sortir. Un film sans point de vue, ce qui est détestable quand on se targue de traiter un tel sujet de société.

Hostiles de Scott Cooper

C’est un western préhistorique, ayant au moins l’habileté d’être dénué du mauvais goût absolu d’une daube comme The Salvation. Les passages obligés du genre sont là, et Scott Cooper les met en scène avec la passion et l’énergie d’un comptable, se reposant sur les nappes lourdingues de Max Richter et les grommellements de Christian Bale pour transmettre le début d’une émotion. Autant revoir La Flèche Brisée de Delmer.


Le film de la décennie destiné à devenir culte ?

Jumeau 1

Why don’t you play in hell ? de Sion Sono


Jumeau 2

Mad Max Fury Road me paraît évident, à ceci près que j’ai l’intuition que le film est déjà culte. Alors je vais plutôt citer Tokyo Tribe de Sono Sion, l’un des films les plus euphorisants et inventifs de la décennie.


Le fait marquant de la décennie ?

Jumeau 1

La domination de Disney sur le marché du blockbuster avec pour conséquences un appauvrissement généralisé des productions hollywoodiennes et une marvelisation d’Hollywood.


Jumeau 2

L’explosion des réseaux sociaux et donc la démocratisation de la parole cinéphilique, avec toutes les conséquences que cela implique –positives comme négatives. Le débat n’a jamais été aussi stimulant et les possibilités d’élargir ses horizons n’ont jamais été aussi grandes


La bande originale de la décennie ?

Jumeau 1

Mad Max Fury Road par Tom Holkenborg


Jumeau 2

Le Congrès de Max Richter

A l’ère de la domination quasi sans partage de Remote Control sur la musique de film, un artiste comme Max Richter est précieux par son travail. Il canalise les excès du canon Zimmer, entre minimalisme et tentation du monumental, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre, dans un équilibre parfait. Le morceau Beginning and Ending est le plus représentatif de cela.


Une image pour résumer la décennie ?

Jumeau 1

De Niro, Scorsese, Pesci, Pacino

Jumeau 2

Spielberg | Lincoln

Je me rends compte que je n’ai pas cité un seul film de Steven Spielberg ! Alors va pour ce plan, l’un des plus beaux de sa carrière. (la photo est extraite de l’excellent ouvrage Hollywood, Le Temps des Mutants de Pierre Berthomieu).

Merci aux Bonnet Brothers pour leurs réponses, vous pouvez les retrouver sur leur Twitter !

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