Une décennie qui s’achève, c’est aussi une décennie de cinéma qui a réservé ses chefs-d’œuvre et ses déceptions. Réalisateurs, journalistes, vidéastes… Retrouvez durant le mois de janvier les témoignages de ceux qui ont vécu 10 années riches en enseignements.

Grand fan de Pasolini et de Godard, Moizi de la chaîne Youtube Anal Génocide nous partage sa vision du cinéma, le tout avec une pointe d’humour, des critiques acerbes et la philosophie de Nietzsche.
5 coups de cœur ?
Difficile de résumer une année en dix films, alors une décennie en cinq… C’est une tâche compliquée car forcément j’ai l’impression de trahir des films que j’ai adorés, que j’ai défendus envers et contre tous…
1) Hors Satan de Bruno Dumont
Ce film est quasiment le dernier pur drame de Dumont (le dernier sera Camille Claudel 1915 qui n’est à mon avis pas son meilleur, bien qu’il reste très bon) et on sent qu’il est à son apogée, qu’il va être difficile pour lui de faire un film plus austère, plus puissant. Chaque plan est chargé d’une beauté mystique, Dumont sait véritablement filmer l’âme de ses personnages. Les personnages parlent peu, leur regard dit tout et c’est qui est sublime. Dumont a un don pour filmer l’invisible, pour magnifier et pour pénétrer au plus profond de son spectateur plusieurs jours, semaines, mois ou années après le visionnage du film.
Sans l’avoir revu depuis sa sortie salle (en présence de Dumont) cet incendie qui enflamme la côte d’opale continue à me hanter… Et puis il y a cet homme qui met le monde hors Satan qui par un tour de magie, par miracle promet que le feu s’éteindra si l’héroïne traverse une étendue d’eau. Nous spectateurs savons que c’est vrai, comme si nous étions dans un conte…
Vous pouvez retrouver la séquence en question ici.
Sans doute le meilleur film de la décennie pour moi.
2) Hacker de Mickael Mann
Comme tout le monde j’aime Mann, mais j’aime avant tout Collateral qui est pour moi le meilleur film américain de sa décennie. En gros, pour moi dans les années 2000 aux USA il y a Collateral, Mulholland Drive et tout le reste est en dessous.
Aimant sans adorer Public Enemies, Miami Vice ou encore Heat, je ne m’attendais pas à apprécier Hacker à ce point là… et j’ai pris une vraie claque. En fait j’ai absolument adoré la mise en scène de Mann qui semble faire une jonction avec son cinéma à lui et le cinéma chinois/taïwanais. Disons qu’à plusieurs reprises devant certains effets visuels, on aurait pu se croire devant Millennium Mambo.
C’est tellement salvateur pour le cinéma américain de se renouveler de la sorte artistiquement alors que l’histoire est assez convenue. Ce qui compte c’est bel et bien les personnages et comment ils sont sublimés eux et leurs actions par la mise en scène.
3) Elle de Paul Verhoeven
Franchement je ne m’attendais pas à ça. Je connaissais peu le cinéma de Verhoeven, j’avais vu ses grands classiques américains, Black Book et franchement quelle ne fut pas ma surprise devant Elle. Il n’a rien perdu de son côté provocateur. Non seulement la distribution est géniale, Isabelle Huppert en tête, mais surtout ce qui est excellent dans cette histoire c’est l’ambiguïté morale, le spectateur ne sait jamais si c’est du lard ou du cochon… il n’y a pas réellement de gentils ou de méchants, le personnage d’Huppert étant quand même salement ravagé. Verhoeven n’a pas son pareil pour faire monter la tension et pour en même temps livrer un film salement drôle. Un humour noir, traité banalement, qui ne fait que renforcer le côté sordide du film, tout en lui donnant un côté jouissif.
Verhoeven a donc réussi l’impossible, faire un film aussi glauque qu’il en est drôle.
4) The Assassin de Hou Hsiao-hsien
Je parlais de Millennium Mambo juste avant, mais il y a un autre film du réalisateur taïwanais que j’adore et c’est The Assassin. Déjà il faut savoir que les Wu Xia Pian sont parmi mes genres de films préférés. Qu’est ce que je peux aimer ces histoires de chevalier errants dans la Chine médiévale. Et autant je peux aimer les productions de Tsui Hark, autant là, voir Hou Hsiao-Hsien proposer sa vision d’auteur du genre qui dénote totalement avec ce que j’avais pu voir, ça m’a estomaqué. Déjà c’est sans doute l’un des films les plus aboutis visuellement de l’histoire du cinéma, il y a ce long plan où la brume monte et englobe les personnages… C’est tellement puissant. Mais surtout il y a un côté taciturne, calme, lent, qui ne fait que renforcer la beauté du film.
5) Le livre d’image de Jean-Luc Godard
Bon j’ai beaucoup hésité sur lequel mettre en cinquième (sachant que les films précédents ne sont pas réellement classés et que j’aurais personnellement du mal à savoir si je préfère The Assassin ou Hacker) mais il m’est difficile de ne pas parler du dernier film de Jean-Luc Godard. Il a été salement décrié par ceux qui l’ont vu…
Mais en réalité c’est une récompense ce film, une récompense pour avoir suivi son travail qui s’étale sur six décennies. Forcément on peut rester hermétique, mais j’y vois là l’accomplissement de ce qu’il a commencé dans les années 80 et 90 et plus particulièrement avec Histoire(s) du Cinéma, à savoir un film qui n’est plus qu’un collage où il utilise ses propres thématiques pour donner un sens nouveau à ces extraits de films. Plus qu’un collage, mais quel collage ! Il est à la fois frustrant, envoûtant, mais toujours sublime. Godard a vraiment la science pour savoir comment réagencer ces extraits, comment altérer l’image, le son, quelles musiques choisir pour ainsi sublimer ce que l’on voit.
Je ne dirais pas que j’ai compris, et encore moins que j’ai tout compris… mais j’ai été touché ! Profondément touché !
5 déceptions ?
Par déception je ne prends pas les films que j’ai le moins aimé, car des sombres navets infâmes j’en regarde plein. Je ne prends donc que des films dont j’attendais quelque chose, notamment à cause de leur réalisateur, de leur franchise, etc. Ce qui ne fait pas nécessairement d’eux des mauvais films, juste des films qui m’ont déçu.
Après j’ai un problème, j’oublie mes déceptions, donc je mets juste celles dont je me souviens…
1) Prometheus de Ridley Scott
Je ne considère pas que ça soit un mauvais film, c’est juste que forcément lorsqu’on vend un film sur l’origine de l’humanité qui s’inscrirait dans la franchise Alien on promet beaucoup… et donc lorsque finalement on se rend compte que c’est un peu le bordel, que ça ne fait pas réellement peur, qu’il n’y a pas réellement de réponses sur l’origine de l’humanité, et pas d’Alien (même si on était prévenu), ben on est déçu… Tout ça aurait mérité d’être mieux, beaucoup mieux…
Mais note d’espoir, j’ai beaucoup aimé Alien Covenant qui est sans doute mon Alien préféré avec le premier, qui concentre ce que les fans veulent voir, à savoir un mini-Alien qui dure une demi heure, avant d’ouvrir à d’autres questionnements philosophiques autour de la création et ça semble même faire le lien, du moins esthétique et thématique, avec Blade Runner. Un vrai film d’auteur malheureusement décrié pour des questions inintéressantes comme : « oh t’as vu il a enlevé son casque » ratant toute la profondeur du film.
2) Juste la fin du monde de Xavier Dolan
J’ai une relation particulière à Dolan… J’ai aimé le premier film que j’ai vu de lui, bien qu’un peu longuet à savoir Les amours imaginaires… j’ai détesté J’ai tué ma mère, été dubitatif devant Tom à la ferme et j’ai beaucoup aimé Mommy… Mais par contre Juste la fin du monde a été le divorce (confirmé ensuite par le visionnage de Laurence Anyways). C’est insupportable, ces histoires de personnages qui ne se parlent pas alors qu’ils n’ont aucune raison de ne pas ouvrir leur sale gueule me désole profondément…
C’est simple, c’est physique, j’ai juste envie de tous les tarter, ils sont là à geindre, se morfondre, crier pour une histoire dont je me contrefous complètement…
C’est décidé, Dolan c’est pas pour moi… J’avais un doute… mais clairement c’est pas possible, beaucoup trop sensible et niais.
3) The Artist de Michel Hazanabidus
Franchement j’adore les deux OSS 117 (bon La classe américaine ça m’emmerde profondément) et j’étais ravi de voir ce film en avant-première avec la présence du réalisateur… Il n’est jamais venu mais nous a écrit une lettre pour nous féliciter de voir un film un film muet… Déjà là, je savais que ça n’irait pas…
Et en fait ce film est d’un pompeux, ça ne m’étonne pas qu’il ait eu des Oscars. Il est lourdingue avec sa symbolique, Dujardin qui descend et Bejo qui monte sur le même escalier… ça me désole.
Le film est gangrené par ses influences, pourquoi voir ça ? Pourquoi voir ce truc mou, chiant, hyper signifiant avec un Dujardin atroce plutôt que de voir Chantons sous la pluie ?
Le film ne répond jamais à cette question…
Une purge…
4) Logan de James Mangold
Alors je n’aime pas trop la franchise X-Men, tout au plus j’aime bien les deux premiers… mais l’un des rares comics que j’ai lu c’était Old man Logan et c’était pas bien, mais c’était pas nul non plus… mais surtout j’aimais l’idée de faire un film sur un Logan vieillissant dans un univers post apo… Enfin un peu de nouveauté au sein de la franchise.
En plus James Mangold, s’il s’était planté dans le Wolverine précédent, n’est pas la pire des tanches…
Mais ça ne suffit pas, tout est raté dans le film… de l’iconisation du personnage avec cette séquence d’intro dans la limousine qui est juste laide, illisible et totalement timorée, à l’histoire en elle-même… avec cette histoire idiote de double plus jeune qui sort de nulle part…
Franchement ça part dans tous les sens, ça n’ose pas jouer réellement la carte du western, simple, efficace, il faut en faire des tonnes… et surtout bordel, mais Mangold ne sait pas mettre ça en scène. Je suis désolé mais dès que ça bouge un peu, jamais il ne magnifie l’action, jamais il n’ose aller jusqu’au bout du délire… et on se retrouve juste avec un film fade, mauvais… adulé par certains parce que pour une fois ça change, mais changer un peu ne suffit pas à faire un bon film… désolé…
5) Visite ou Mémoires et Confessions de Manoel de Oliveira
Ce n’est pas un mauvais film, mais j’ai été très déçu en le voyant. En fait j’aime bien ce que j’ai pu voir de Manoel de Oliveira et il a tourné dans les années 80 alors qu’il avait déjà plus de 70 ans un film qui parle de lui, de sa vision du cinéma, etc, qui ne devait sortir qu’après sa mort. Il ne savait pas à l’époque qu’il allait mourir à 106 ans… en 2015, soit plus de trente ans plus tard.
Et le projet je le trouve génial, mais clairement le résultat me laisse totalement de marbre, je m’attendais à être réellement ému par ce film et bof… je n’ai pas trouvé ça inintéressant, mais pas bouleversant comme ça aurait dû l’être étant donné le concept foutrement original.
Le film de la décennie destiné à devenir culte ?
Bon je vais tricher, je pense que Mad Max Fury Road est déjà culte et c’est totalement mérité. Donc je vais en citer un autre, Blade Runner 2049.
En fait j’ai mal commencé avec Villeneuve, j’avais détesté Enemy et puis en voyant Sicario et Premier Contact j’ai fini par l’apprécier… Mais clairement Blade Runner 2049 me fait lui donner une entière confiance en ce qu’il pourra faire avec Dune.
Disons qu’il a compris Blade Runner, mais il a aussi compris que la nostalgie ça ne faisait pas un film. Et j’avais vraiment peur du film façon Star Bide le Réveil du bide où on ne vise que sur ça, la nostalgie…
En fait non, Villeneuve prolonge l’univers de Blade Runner… Il en est respectueux, on retrouve Deckard joué par Ford mais ne tente pas d’en faire trop… L’intrigue qui tourne autour de lui fait sens, elle est renouvelée, sans pour autant répondre à la question qu’on se posait à la fin du premier film : est-il un répliquant ?
Et ça c’est fort, on peut donc faire une suite qui n’annihile pas les questions restées en suspens dans le premier.
En plus esthétiquement le film est sublime et le film a donc tout pour connaître un culte dans quelques années à la hauteur de l’original.
Le fait marquant de la décennie ?
Deux choses m’ont marqué :
La mort d’Eric Rohmer. Irremplaçable !
Et la mort d’Agnès Varda dont je venais de voir le dernier film Varda par Agnès m’avait aussi marquée?
La bande originale de la décennie ?
Alors je vais en citer deux, les BO de Climax et Leto (c’est pas des musiques originales, mais qu’importe).
Je ne suis pas particulièrement mélomane, ceci-dit on a ces dernières années en France l’un des types qui utilise le mieux la musique dans ses films : Bertrand Bonello.
Une image pour résumer la décennie ?

Merci à Moizi de la chaine Anal Génocide pour ses réponses. Vous pouvez le retrouver sur sa chaine Youtube, sur Twitter et sur son profil SensCritique