Ce mercredi est ressorti dans certaines salles, dans une version remasterisée, le thriller criminel culte brésilien La Cité de Dieu. Nous vous proposons pour l’occasion un petit retour sur ce film fort qui fête cette année son vingt-et-unième anniversaire.

Aux origines tumultueuses

Une des favelas les plus célèbres du Brésil, La Cité de Dieu, voit le jour à Rio de Janeiro dans les années 1960. Il devient l’un des quartiers les plus malfamés de la métropole, mais aussi le décor d’un livre écrit par un certain Paulo Lins. Lins qui y a vécu durant son enfance. Écrivain d’un seul livre, il raconte dans un ouvrage semi-autobiographique sobrement appelé La Cité de Dieu l’un des faits les plus marquants sur la favela. En effet, des années 1970 jusqu’aux années 1980, elle a été contrôlée par un certain Zé Pequeno. Fernando Meirelles et Kátia Lund adapteront cette histoire sur grand écran en 2002, cinq ans après la sortie du livre original. Une adaptation acclamée de part en part, devenue culte partout dans le monde et qui a maintenant droit en France à une ressortie en bonne et due forme dans certaines salles !

Bavures policières, truandisme, violences conjugales…La Cité de Dieu constitue un environnement violent et macho dans lequel il faut se battre pour survivre. Un quartier dans lequel on parle crûment et où il n’y a aucune place pour la déconne. Tout commence sous un soleil de plomb, au milieu d’un terrain de foot. Nous faisons la rencontre de deux enfants : Zé Pequeno et Buscapé. Le premier, turbulent, rêve d’être un pur gangster, sans savoir qu’il ne fera que s’enfermer lui-même dans une cage…littéralement. Le second, plus timoré et observateur, ne veut pas se mêler à ces affaires de violence. Sa passion pour la photographie viendra constituer son échappatoire. Deux personnalités différentes, mais un même rêve : reprendre son destin en main.

Leur enfance commune dans ce lieu tumultueux qu’est la Cité va marquer le début d’une folle épopée pour eux, sur deux décennies. Truandisme et trafic de drogue pour l’un, droit chemin et photojournalisme pour l’autre.

Le jeune Zé Pequeno, déjà gangster © Wild Bunch
Le jeune Zé Pequeno, déjà gangster © Wild Bunch
Le futur photographe Buscapé © Wild Bunch
Le futur photographe Buscapé © Wild Bunch

Le chœur d'un lieu

Les films dits choraux ont ceci en commun de vouloir raconter une histoire par le biais de plusieurs personnages principaux aux destins entremêlés. Des personnages tous unis par quelque chose (un lieu, une situation, un événement), dont on suit les tribulations et dont chacun des points de vue contribue à un commentaire sur l’humanité ou sur une époque. Ce genre possède ses grands noms : Robert Altman qui en a fait une spécialité (NashvilleShort Cuts…), Paul Thomas Anderson avec son foudroyant et magnifique Magnolia.

Pour raconter son lieu, La Cité de Dieu reprend ce principe de choralité. En effet, nous ne découvrons pas seulement les destins de Buscapé et de Dé, devenu Zé Pequeno, qui seront amenés à se croiser au fur et à mesure des années, mais également ceux de tout une galerie de personnages très intéressants. L’associé un peu plus paisible de Zé prénommé Bené, son ennemi Carotte, le policier Manu. Et encore, il s’agit de ceux qui ont droit à leur arc. N’oublions pas également le trio Canard-Tignasse-Tenaille, Nabot, Noireau, les enfants Filet, Otto ainsi que ceux de la bande des Minus (Caixa Baixa en VO). Tant de vies, en somme. Pour presque autant de parcours et de points de vue dévoilés en toute souplesse.

Mais surtout, tous sont utiles. Tous ces personnages représentent chacun une facette de la vie dans la Cité, selon l’époque à laquelle ils appartiennent. Ils sont le visage de la favela. La qualité de l’interprétation de la part des acteurs (non professionnels pour l’écrasante majorité) parvient à nous faire croire à cette espace, à ces temps.

© Wild Bunch
© Wild Bunch

Une esthétique fiévreuse, jamais racoleuse

Pour parler de la criminalité de cette favela, le film n’hésite pas à utiliser une réalisation à l’image du milieu dépeint. Plusieurs choix dans ses effets, allant de la chaleur de la colorimétrie jusqu’au grain de la pellicule en passant par la surexposition de l’image, viennent renforcer l’aspect violent, crade, gangsta de cet univers. Mais également son aspect fiévreux par le choix d’une caméra constamment à l’épaule.

Néanmoins, le plus frappant dans la réalisation de ce film reste le montage. Durant les moments les plus électrisants du film, les plans s’enchaînent rapidement et c’est une vraie frénésie qui s’opère. Le tout sans jamais tomber dans la confusion.

Un exemple simple, la scène d’introduction. Scène qui suffit à embarquer le spectateur tout en retranscrivant parfaitement la thèse du film. En l’occurrence, que la Cité de Dieu est un endroit où il faut toujours courir pour sa peau. Alors que des riverains déplument et désossent des poulets, l’un d’entre eux s’enfuit et commence alors une poursuite. Les enfants se mettent à courir dans les ruelles, sous les ordres d’un étrange homme semblant fou… pas n’importe qui. De manière générale, le montage possède quelques bonnes idées (notamment des split-screens bien pensés), malgré certains effets qui ont légèrement vieilli.

Il court, il court le poulet... © Wild Bunch
Il court, il court le poulet... © Wild Bunch

Rajoutons à La Cité de Dieu une bande-son rythmée et le film devient véritablement immersif. La Cité de Dieu esthétise donc son milieu et l’action est trépidante, mais sans jamais faire dans le racoleur ou le mauvais goût. Par exemple, aucune mort n’est héroïsée. La frénésie de la réalisation ne fait que s’accorder à la fièvre et à la violence implacable de ce milieu. D’autant plus que le film sait se calmer quand il le faut durant quelques moments plus évasifs et doux, surtout du côté de chez Buscapé ou de Bené. Des moments qui restent néanmoins souvent filmés à l’épaule, là aussi (comme une représentation d’une tension toujours permanente).

Une épopée scorcesienne

C’est par le biais de plusieurs chapitres que l’on découvre l’évolution de la vie de la Cité. Mais également celle de Buscapé et celle de Zé. Plus le film avance, plus ce qu’il montre devient désespérant. Là où Buscapé devient photojournaliste, Zé s’oppose à Carotte, concurrent de son business de drogue. Ces deux truands s’enfoncent toujours plus dans la violence. Plus que jamais, la Cité s’effondre. Le tout aboutit à une conclusion dont le caractère doux-amer est amené tout en finesse. Au final, que subsistera-t-il ? Seuls la mort, le sang, et peut-être pour toujours.

Ainsi, La Cité de Dieu possède une base pouvant sembler des plus banales : un rise and fall auquel se mêle une histoire d’apprentissage. Mais il a la grande force de posséder un scénario ample, à la fois touffu et réfléchi. Il s’agit surtout, en filigrane, d’une œuvre sociale. Les simples destins divergents, contrastés de Zé Pequeno et de Buscapé suffisent à évoquer la question du déterminisme. Déterminisme social, individuel, mais aussi fraternel peut-on dire. Ainsi, Buscapé sera-t-il tenté de prendre les armes comme son défunt frère Canard, alors qu’il est coincé dans des petits jobs sous-payés. Cet exemple ne constitue que l’une des quelques trouvailles scénaristiques bien senties du film, qui sait déjouer habilement certaines attentes. Son aspect choral est maîtrisé et jamais le film ne tombe dans l’indigeste.

Bené, l'associé plus tranquille de Zé Péqueno © Wild Bunch
Bené, l'associé plus tranquille de Zé Péqueno © Wild Bunch

Niveau narration, l’inspiration de Meirelles et Lund est très scorsesienne. Le film cite en effet ouvertement Les Affranchis, notamment par l’utilisation d’un narrateur, en l’occurrence Buscapé. Tel un Ray Liotta inversé, il parle de sa jeunesse en se laissant aller parfois aux piques et au sarcasme. À la différence qu’il endosse à l’image le rôle d’observateur impuissant sans grand charisme. Cette narration vient conférer à Buscapé comme un rôle de journaliste. Un journaliste qui raconte une enquête en partant des origines jusqu’aux temps actuels. Un choix des plus judicieux en somme, tant l’on voit la vie qu’il finit par obtenir.

Mais que Buscapé le veuille ou non, même en quittant la Cité, la Cité n’en aura pas fini avec lui… et par ailleurs, la suite du film semble l’avoir compris. En effet, les aventures de Buscapé continuent sous la forme d’une série sortie tout récemment. Co-production HBO, il s’agit de La Cité de Dieu : la lutte continue. Dans cette série, nous retrouvons Buscapé (toujours interprété par Alexandre Rodrigues), toujours photojournaliste, qui revient dans sa cité vingt ans plus tard.

En somme, nous vous invitions à (re)découvrir La Cité de Dieu, véritable film culte qui mérite bien sa réputation ! Il s’agit d’un thriller des plus touffus qui réussit à raconter un lieu sur divers époques. Non seulement grâce à des personnages très intéressants, mais également une réalisation des plus fortes.

Le film est actuellement dans certaines salles, ainsi que sur la plateforme Max.

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