La Ballade de Buster Scruggs, film à sketchs américain de 2018 réalisé par Joel et Ethan Coen, avec James Franco, Zoe Kazan, Liam Neeson, Tom Waits…

Synopsis : Le livre The Ballad of Buster Scruggs and Other Tales of the American Frontier, illustré, s’ouvre pour raconter plusieurs histoires.

Sorti en novembre dernier, La Ballade de Buster Scruggs, nouveau film des frères Coen, se présentait sous un format assez désuet aujourd’hui : le film à sketchs, au sens premier du terme. Dans un univers du western que les deux compères connaissent bien et ont su, de O’Brother à No country for old men, traiter sous toutes les coutures, cette sortie estampillée Netflix avait tout pour séduire les aficionados des cinéastes, même si l’utilisation de ce format peu commun n’était pas sans risques. Quelques mois après sa sortie, retour sur ce film-concept, épisode par épisode !

Buster Scruggs (Tim Blake Nelson)

Le premier épisode, et qui donne son titre au film, La Ballade de Buster Scruggs, lance directement le spectateur dans le feu de l’action et dissipe les craintes quant à une possible régression de la part des frères Coen. Prenant place dans un univers de western classique, où belliqueux cow-boys s’abreuvent au saloon du coin au détour d’une partie de cartes, ce premier épisode est teinté à la fois de la dramaturgie habituelle des réalisateurs et de leur goût pour l’absurdité comique. Cela passe évidemment par la performance remarquable de Tim Blake Nerson en cow-boy chantant, personnage léger et caricatural dans son approche du genre mais jamais ridicule. Un personnage aussi sympathique qu’odieux, qui concentre en son sein le double genre de l’épisode, entre absurde ironie et avancée macabre. Car, grands amoureux du western, les Coen n’oublient jamais qu’au bout du chemin, seul la mort attend ces chevaliers des temps modernes.
Un premier épisode d’une grande facture.

Le cow-boy (James Franco)

Avec ce deuxième épisode nommé Près d’Algodones, les frères Coen décident de plonger un peu plus profondément dans une implacable noirceur, sans toutefois perdre de leur habituel burlesque. Ici, un James Franco d’une géniale nonchalance campe un hors-la-loi dans toute sa splendeur, typique du méchant habituel du genre. Mais comme d’habitude chez les réalisateurs, il ne s’agit pas simplement de montrer qu’ils savent appliquer les codes du genre ; ils montrent, par son penchant brulesque, qu’ils savent à la perfection le détourner et jouer avec ses codes. D’une mordante ironie, ce personnage qui passe tout l’épisode à fuir la mort évolue comme un pantin désarticulé selon le bon vouloir du Destin qui mettra qui il souhaite sur sa route. Ce personnage, au départ vu comme l’archétype du vilain de western, révèle vite un aspect bien plus gagesque.
L’épisode ne va cependant pas sans quelques relatives faiblesses : plus court, semblant moins poussé et poussant parfois jusqu’au grotesque, le sketch se sauve cependant par son travail toujours impeccable du cadre, une utilisation pertinente de la profondeur de champ, et un degré de recul sur son sujet qui fait inévitablement mouche.
Une réussite moindre, mais une pertinence intacte.

L’impresario (Liam Neeson)

Pour ce troisième épisode sobrement appelé Ticket repas, les frères Coen opèrent une rupture complète avec les deux premiers épisodes qui restaient sensiblement dans une atmosphère visuelle et un mélange des genre similaires. Exit les tons jaunes et poussiéreux du western classique, on pénètre ici dans un univers plus terne et froid (l’épisode se passe en majeure partie la nuit), et plus apte à l’intimité dont se prévaut son récit.
Liam Neeson, véritable Barnum des temps modernes, et Harry Melling, que les plus grands fans d’Harry Potter auront du mal à reconnaitre dans ce rôle d’homme-tronc déclamant les classiques de la littérature, forment un tandem touchant. Les Coen offrent ici une vision bien plus intime et sombre de cette époque du Far West, où la différence n’était pas célebrée innocement mais utilisée à des fins économiques. L’épisode rompt dès lors avec le bavardage incessant des deux précédents et laisse l’Art, notamment celui d’Harrison, s’exprimer, un Art que le personnage de Liam Neeson détourne jusqu’à l’excès. Une facette sombre de cette époque, où l’humain est annihilé au profit de la seule considération financière. On peut sans doute regretter un épisode qui s’étire sans rien accomplir, mais le message est passé, et c’est bien là le principal.
Un épisode en deçà, mais loin de la catastrophe.

Le chercheur d’or (Tom Waits)

Si on ne s’était pas préoccupé d’évoquer la photographie de Bruno Delbonnel dans les trois premiers épisodes, on ne saurait passer à côté dans ce quatrième opus titré Gorge dorée tant elle est brillante. Revenant ici aux prémisses de la ruée vers l’or, dont l’espoir des uns et le désespoir des autres ont forgé l’Amérique moderne, l’épisode prend place dans une vallée à l’atmosphère quasi onirique et où le travail sur le cadre, la symétrie de l’image et les couleurs pétantes des décors sonnent comme un bel hommage à la Nature qui domine l’épisode et un formidable travail de Delbonnel, à la lisière du contemplatif. Les transitions, bien plus douces et lancinantes que dans les épisodes précédents, achèvent un tableau rêvé et poétique d’une Nature aussi capricieuse que fertile. Les frères Coen jouent sur leur traditionnel double registre, entre moments légers et instants de tension, où la désillusion laisse place à l’espoir et où un Tom Waits à la voix roccailleuse et la face burinée semble comme piégé dans cette vallée qu’il tente de conquérir. Volet le plus maitrisé dans ce mélange des genres, Gorge dorée mérite amplement de ne pas être exhaustif et de se laisser aller au plaisir visuel du visionnage.
Un quatrième volet d’une réussite implacable.

Alice Longabaugh (Zoe Kazan)

Il est de ces films où la réussite de celui-ci tient en des éléments indicibles mais qui nous font inconsciemment apprécier le visionnage. Par la performance de Zoe Kazan, le cinquième épisode, La fille qui fut sonnée, est indubitablement de ceux-là. De par sa discrète innocence, elle porte sur ses frêles épaules tout l’épiosde, et ses grands yeux dans lequel le spectateur se laisse plonger comme dans ce récit captivant donne à l’épisode une saveur inattendue. Secondée par un très charismatique Bill Heck dans le rôle du cow-boy sans peur et sans reproche, leur relation offre à cette histoire somme toute banale de convoi où se jouent grands destins et noirs desseins un parfum d’épique. Le travail sur l’ironie dramatique des cinéastes n’a jamais été aussi prégnante dans le film que dans cet épisode, et le destin, implacable, se charge de donner une saveur tragique à un opus qui, dans son segment final et son travail du cadre, n’est pas sans rappeler les grandes heures d’un certain western post-leonien.
Si l’épisode est bien plus long que ses prédecesseurs, il n’en reste pas moins captivant et capable de réflexions profondes sur la vie, la mort, le paradigme religieux, un monde où la petite histoire finira par rejoindre la Grande et où la route vers l’Oregon d’Alice (Zoe Kazan) est avant tout l’avancée vers son destin.
Une prouesse à tous les niveaux.

Thigpen, l’Anglais (Jonjo O’Neill) et Clarence, l’Irlandais (Brendan Gleeson)

Au vu de la qualité globale des précédents épisodes, on ne peut que regretter la présence d’un sixième qui sonne comme le vilain petit canard du film. Dans cet épisode nommé Les Restes mortels, on suit le voyage de six personnages, un trajet qui sera l’occasion de réflexions sur la vie, l’amour ou les vices de l’existence. Si le film se pare d’une métaphore très bien amenée mais qui sait se faire discrète (on gardera la primeur de la découverte à ceux qui ne l’auraient pas encore vu), il ne parvient pour ainsi dire jamais à emphaser ce thème sous-jacent à ce récit principal en huit-clos, dont les dialogues, beaucoup trop pompeux pour être crédibles ont tôt fait d’ennuyer le spectateur, celui-ci n’ayant pour ainsi dire rien d’autre à se mettre sous la dent. Si on peut saluer le talent des acteurs et notamment un Brendan Gleeson comme souvent excellent, on ne peut que constater un récit qui finit irrémédiablement, la faute à la volonté des réalisateurs de produire ce huit-clos, par tourner en rond et réduire drastiquement l’intérêt du spectateur.
Un fond intéressant malheureusement gâché par une forme pataude.

Joel et Ethan Coen

Au final, qui y a-t-il à retirer de ce film conceptuel qu’est La Ballade de Buster Scruggs ? Et bien, à vrai dire, pas grand-chose. Si la synthèse du style coenien, entre absurde et noirceur, est réussie, que le film se dote d’un casting XXL dont ressortent Tom Waits, Zoe Kazan et Tim Blake Nerson et que l’ensemble, bien qu’inégal, reste cohérent, on ressort du film avec la sensation d’un Coen mineur, dont le travail sur le cadre, réussi malgré sa multiplicité, n’est pas digne des grandes oeuvres des réalisareurs malgré ses qualités évidentes. Pour des réalisateurs à la carrière aussi riche, on aurait attendu une plus grande prise de risques. A charge de revanche ?

Note

3,5/5

Si les qualités narratives et visuelles de La Ballade de Buster Scruggs sont évidentes, le film souffre d’épisodes inégaux et de la sensation que ce film-concept aurait pu être un terrain de jeu bien bien plus percutant pour les frères Coen. Un film mineur dans une carrière aussi riche.

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