Clint Eastwood vient de sortir ce qui pourrait être son dernier film. Un événement qui ne semble pas très important aux yeux de la Warner, ce qui est bien dommage.
La belle fin d’un réalisateur ?
Il y a dans le monde du cinéma des géants, des personnes présentes dans ce milieu depuis ce qui semble être une éternité. Clint Eastwood est l’une de ces personnes. Du haut de ses 94 ans, le cinéaste et acteur vient de sortir son 41ᵉ long-métrage, Juré N°2. Un film qui semble avoir été délaissé par la Warner. En effet, quasiment aucune communication n’a été faite dessus, et il ne sortira que dans 50 salles aux États-Unis. Une bien triste nouvelle pour ce thriller judiciaire, qui est possiblement le dernier film d’Eastwood. Fort heureusement, la France est présente pour accueillir ce projet qui ne manque pas d’atouts et de charme.
Pour son film testamentaire, Clint Eastwood offre un film de procès qui est d’apparence très classique. Un homme est accusé du meurtre de sa femme, et on suit son procès du point de vue des jurés. Cependant, au fur et à mesure que le procès avance, Justin Kemp (Nicholas Hoult), qui est l’un des jurés, comprend qu’il est le responsable de cette mort. S’ensuit un tiraillement moral : faut-il plutôt dire la vérité ou se protéger ?
Juré N°2 ne brille pas par sa réalisation, qui est plutôt classique, voire académique (bien que l’on puisse relever une photographie très bien travaillée). Mais les qualités du long-métrage se révèlent dans son écriture. En dévoilant directement la vérité, le film ne s’intéresse pas au côté enquête, mais met l’accent sur le dilemme intérieur de notre protagoniste. Dès le commencement, il nous fait comprendre que Justin et sa femme Allison semblent traverser une période compliquée. Elle est en pleine grossesse à risque, et lui se bat contre son alcoolisme. Les enjeux sont très vite posés, et il est facile de s’attacher à ce personnage en se rangeant de son côté. Alors qu’il a tué quelqu’un, un acte grave même par accident, le public souhaite que Justin s’en sorte, quitte à laisser un innocent en payer le prix.
La vérité est-elle juste ?
C’est là que le talent d’Eastwood et du scénariste, Jonathan Abrams, se fait ressentir. En quelques minutes, ils plongent les spectateurs au milieu des doutes du protagoniste et leur font vivre pleinement le choix cornélien que doit faire Justin. Le film remet totalement en question l’idée que l’on se fait de la justice et de la nécessité de trouver la vérité. Afin de ne pas nous enfermer dans un seul point de vue, Juré N°2 offre une galerie de personnages secondaires, tous ayant un passé et une vision singulière de cette question. Les jurés représentent les faiblesses du système juridique qui manque terriblement d’impartialité. Entre ceux qui veulent rentrer chez eux pour voir leur enfant, ceux qui ont un des a priori sur l’accusé, et ceux qui suivent le mouvement, il semble très difficile qu’un groupe de personnes triées sur le volet puisse bien juger un individu.
Mais le personnage qui reste le plus intéressant est la procureure, magnifiquement interprétée par Toni Collette. Partagée entre son devoir d’avocate et ses ambitions politiques, elle concentre les problèmes de l’institution judiciaire américaine et tous les biais et parasitages de la justice. Elle, qui croit en la recherche de la vérité par le procès, remettra ses certitudes et ses actions en question.
Les nouveaux héros américain
Mais, avec ce film, Eastwood continue sa déconstruction du héros américain. Cet être qui a longtemps été présenté dans les westerns comme un homme viril, bon, sans faille, et en recherche perpétuelle de justice n’est plus depuis longtemps. Et le cinéaste l’a bien compris. À la place, il nous offre ce personnage de Justin Kemp, tiraillé par son dilemme, faisant face à ses péchés et ses faiblesses, et qui se veut être juste, mais flirte avec les limites de la morale.
En résumé, Juré N°2 passionne par ses propos et son écriture. Pour son potentiel dernier film, Clint Eastwood remet en question sa vision de l’Amérique et de ses institutions. Ayant grandi avec les icônes du début d’Hollywood, il comprend que son pays a changé. Les mœurs ont évolué, et le public ne recherche plus la même chose. Il explore et développe des interrogations contemporaines, qui sont très certainement orientées par ses idées conservatrices (lui qui n’a jamais caché ses relations avec le parti républicain et ses idées libertariennes). Il reste cependant intéressant d’analyser ses questionnements et de voir ce film, qui offre sûrement l’un des thrillers les plus prenants de l’année.
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