
? Réalisateur : Alma Har’El (Bombay Beach)
? Casting : Shia LaBeouf (Borg/McEnroe), Noah Jupe (Le Mans 66), Lucas Edges (Manchester by the Sea), Fka Twigs (FKA Twigs : M3LL155X)
? Genre : Drame / Autobiographie
? Sortie : 27 novembre 2019 (États-Unis), 8 novembre 2019 (France)
Synopsis : Un biopic consacré au comédien Shia LaBeouf, centré notamment sur la relation compliquée de ce dernier avec son père, un ancien vétéran du Vietman confronté à des problèmes d’alcool et de drogue.
You wouldn’t be here if I didn’t pay you.
Otis
Honey Boy : un titre qui fait écho à la douceur, au miel et au réconfort. Un titre qu’a choisi Shia LaBeouf pour nommer son biopic autobiographique, mêlant l’histoire de son enfance avec son père et celle de son renouveau en cure de désintoxication. Mais Honey Boy, c’est avant tout le surnom d’Otis, celui que lui donne son père abusif et dont les marques d’amour sont maladroites et parfois violentes.

Si Shia LaBeouf est à l’origine de l’écriture, la réalisation revient quant à elle à Alma Har’El. Ce duo offre une construction temporelle parfois brouillonne mais dont certaines séquences délivrent des parallèles et des visuels marquants. Plongeons dans cette complexité esthétique et scénaristique.
Honey Boy : passé, présent, rêves et illusions ?
Honey Boy surfe mélancoliquement entre plusieurs arcs narratifs, voguant du passé au présent, du petit Otis jeune comédien au grand Otis alcoolique et toxicomane dont la guérison alimente le film, tel un fil conducteur discret : si on se perd dans le passé, c’est pour que le présent (et le futur) s’améliore pour Otis. On est alors en droit de se poser certaines questions sur la nature de ces flashbacks colorés et old school mais également sur la nature du film dans son entièreté.

Le flashback est un outil narratif qui permet d’élargir la trame temporelle d’un film et ainsi proposer différentes époques et étapes dans la vie du protagoniste, cela apporte donc de la profondeur aux personnages. L’intelligence de son utilisation dans Honey Boy provient du doute palpable qui s’opère quant à sa nature. Le début du film s’apparente à deux temporalités parallèles qui se partagent l’écran afin de mieux connaître Otis. Sans connexion entre elles, ces deux timelines vont finalement commencer à se toucher, se joindre. Et si finalement, ces flashbacks n’étaient pas de véritables flashbacks, de simples nourrisseurs de la trame principale pour le spectateur mais des éléments entièrement ancrés dans le présent narratif ayant une influence directe sur le déroulé de l’histoire ?
Dans ce film, la réalisatrice a voulu jouer sur l’ambigueté entre rêve/souvenirs et réalité mais également entre illusion et concret. Le parallélisme distinguant les deux timelines est parfait : parfaitement confusionnel. On découvre les deux protagonistes – qui sont les deux Otis – dans leurs univers respectifs, comprenant chacun une esthétique particulière, un visuel reconnaissable (du moins au début), ils n’ont aucun lien et n’influent pas l’un sur l’autre comme deux mondes sans connexion. Ainsi, ils semblent parfaitement réels que ce soit pour le passé ou pour le présent mais leur connectivité va mettre cette affirmation à rude épreuve. En effet, la réalisatrice va alors s’appuyer sur un procédé classique de mise en image de l’inconscient et des souvenirs : le rêve.
Dans le cas d’Otis, on peut voir la transition entre passé et présent s’opérer par le réveil en sursaut d’Otis après un flashback sur son père se regardant dans la télévision. On remarque donc qu’Otis avait rêvé voire cauchemardé toute la séquence antérieure précédente. Cela s’inscrit parfaitement dans la trame principale et influence le processus de guérison d’Otis puisqu’il doit se souvenir pour avancer.
C’est également dans des parallèles de lieux qu’il est possible d’alimenter cette théorie. En effet, dans une autre séquence, Otis jeune est à la piscine de son motel, avec son père et son tuteur. C’est une transition sonore qui va couper la scène vers la suivante et nous emmener face à Otis adulte et pensif, les pieds dans la piscine de son centre, comme s’il venait de se rappeler de cette scène passée. Ainsi, ces flashbacks prennent une autre ampleur, il ne s’agit plus d’un passé factuel et concret mais des souvenirs d’Otis concernant sa vie d’enfant. Cette théorie se précise lorsque Otis répète mot pour mot un passage de son enfance, apparaissant dans un flash-back précédent, à sa psychiatre.
Pour appuyer cette théorie, une séquence d’échos connecte les deux Otis. Connaissant des similarités visuels et esthétiques, mises en scène grâce à des raccords de mouvement et de position, Otis se retrouve à mimer, copier, un acte de son passé. Toujours dans l’idée que ces flashbacks proviennent des souvenirs d’Otis, on peut se demander si celui-ci ne se remémore pas la scène pour la reproduire, comme une sensation de déjà-vu. Ce parallèle devient alors une seule et même ligne, le passé influençant le présent, le présent mimant le passé et pas simplement un clin d’œil appréciable pour le spectateur.
On peut d’ailleurs pousser cette explication un peu plus loin en s’appuyant sur la dernière séquence du film, lorsque Otis retourne voir son père. Il le retrouve alors dans le même motel aux néons violets, déguisé en clown et surtout, tout aussi jeune qu’à l’époque. Une représentation illusoire de la figure paternelle, de celle dont Otis se souvient le mieux. Ainsi, il est fort probable que tout ne soit que le fruit de l’imagination d’Otis. Un sentiment renforcé lorsqu’en moto, son père disparaît.
Finalement, les flashbacks dans Honey Boy ne sont peut-être qu’une illusion créée par Otis dans son centre de désintoxication, une échappatoire pour aller mieux et sans pousser jusqu’à l’illusion totale, il est fort probable que ces scènes passées soient en réalité les souvenirs plus ou moins fiables et véridiques d’un enfant de douze ans qui essaie de se rappeler quel père il avait.
Mais on ne parlerait pas d’ambiguïté si la nature rêveuse ou illusoire de ces retours en arrière était la seule possible. En effet, si Honey Boy est principalement axé autour d’Otis et de son enfance, il n’en est pour autant pas le seul acteur. La figure paternelle, incarnée par Shia LaBeouf, connait elle aussi des apparitions solitaires que le jeune Otis – même plus âgé – ne pourrait se représenter ou imaginer.
Ainsi, c’est aussi la vie de James (le père) qu’on nous offre au travers de quelques scènes touchantes et de détresse. Il s’en dégage une certaine poésie du mal-être allant jusqu’à une parenthèse de solitude et de calme. Dans ce passé coloré Otis laisse la place à un père perdu, désabusé et hors de la réalité, hors de la réalité d’Otis. C’est donc grâce à ces propres scènes où le père est le seul protagoniste que la réalisatrice réussit à séparer ces deux personnages, à dégager deux natures dans l’utilisation du flash-back. Par conséquent, les passages avec James renvoient à la fonction première des retours en arrière : informer le spectateur, s’éloignant ainsi de l’idée des souvenirs d’Otis.
On peut affirmer que Alma Har’El utilise l’ambiguïté de son utilisation des flashbacks pour créer un univers entre souvenirs et réalité, entre illusion et concret afin de nourrir des personnages de moments illusoires et poétiques mêlés à la dureté et la violence de la réalité. Mais Honey Boy va bien au-delà d’un traitement de la timeline. En plus d’une forme narrative innovante, ce film aborde des thèmes profonds avec bienveillance, amour et justesse : la maltraitance enfantine, les addictions et la détresse psychologique. L’objectif de Honey Boy est de représenter ces sujets dans un écrin visuel attractif, qui embellit les personnages et leur accorde l’importance dont ils ont besoin. Ces sujets méritent de l’importance, ces histoires méritent de l’importance : Honey Boy mérite de l’importance.

L’esthétique : 90s survitaminés & sensibilité des êtres
Il est impossible de parler de Honey Boy et de passer à côté des choix visuels colorés d’une période 90s pauvre mais rêveuse et d’une envie indiscutable de mettre en évidence l’humain et sa parole.
Si la narration joue entre rêve et réalité, il en est de même pour l’esthétique des plans. Dans ce film, les années 90 sont représentées, voire fantasmées, au travers de couleurs pop et de néons qui poussent gentiment vers le cliché américain. Il est cependant possible de se demander si tout ceci n’alimente pas la vision idéalisée du jeune Otis sur son enfance. Ainsi, ces couleurs psychédéliques – surtout le soir – renverraient simplement aux souvenirs pep’s d’un petit garçons des 90s.
Bien que côtoyant les clichés de son époque, Honey Boy transpire également la réalité américaine californienne dont le respect visuel est à souligner. Alternant donc entre néons/couleurs surreprésentées et esthétique douce et naturelle, Alma Har’El offre un package saisissant de ce qui fait l’essence d’une enfance dans les années 90, passant des motels aux peintures écaillées aux plateaux de tournages et caravanes de l’époque. C’est alors un voyage entre rêve et réalité qui continue grâce à ces ambiances mais également grâce à des procédés de réalisation.
Comme évoqué précédemment, des raccords de mouvement et de position sont effectués afin d’assurer la transition entre passé et présent, notamment dans la scène de mimétisme d’action : les deux Otis font la même action, selon le même angle, avec la même position dans le cadre et le même mouvement. Cela alimente la connectivité entre les scènes et leur fluidité de sens, appuyant l’hypothèse de mimétisme mémorielle qu’opère Otis dans son centre de désintoxication et donc des souvenirs. C’est d’ailleurs avec intelligence et subtilité que Alma Har’El saupoudre son film de références esthétiques aux rêves et à l’illusion. On peut donc retrouver régulièrement le flare-lens – facteur de flare – : une lumière unidirectionnelle va se refléter dans l’objectif de la caméra, créant ainsi un halo lumineux et vaporeux sur l’image. Cela fait référence à l’inconscient, aux rêves et à l’illusoire.
Si l’esthétique et les ambiances rendent hommage aux 90s et alimentent une narration ambiguë entre le passé et le présent, les choix de cadrages quant à eux, mettent l’importance sur les personnages, leur individualité et surtout sur les répliques. Ainsi, grâce à des plans serrés sur les personnages, en particulier sur leur visage, c’est le spectre de l’émotion et de la parole que Alma Har’El décide de mettre en avant. Au service des dialogues, ces cadrages permettent aux personnages de s’exprimer dans un espace qui leur est entièrement consacré, où l’essentiel n’est autre que leur visage et leurs mots. Le spectateur, alors au plus près des protagonistes, se retrouvent au centre des conversations, investi malgré lui dans l’action et donc totalement plongé dans l’univers de Honey Boy, au même titre que les personnages. L’immersion narrative n’en est que plus belle et les dialogues saisissent tant ils sont palpables.
Otis : I’m going to make a movie about you.
James : Make me look good, Honey Boy
Note
7,5/10
Honey Boy jongle entre passé et présent, entre rêve et réalité, entre amour et haine et permet de dresser le portrait d’un jeune homme qui essaie de se reconstruire mais également de pardonner à son père. Avec justesse et éclat esthétique, Alma Har’El expose des sujets forts dans un écrin 90s où Noah Jupe et Shia LaBeouf offrent des performances remarquables. On s’attache à ce film, autant qu’une abeille à son miel.