Hippocrate

? Réalisateur : Thomas Lilti (Médecin de campagne, Première Année)
? Casting : Vincent Lacoste (Les beaux gosses, Amanda), Reda Kateb (Un Prophète, Django)…
? Genre : comédie dramatique
? Pays : France
? Sortie : 3 septembre 2014 (France)
Synopsis : Benjamin va devenir un grand médecin, il en est certain. Mais pour son premier stage d’interne dans le service de son père, rien ne se passe comme prévu. La pratique se révèle plus rude que la théorie. La responsabilité est écrasante, son père est aux abonnés absents et son co-interne, Abdel, est un médecin étranger plus expérimenté que lui. Benjamin va se confronter brutalement à ses limites, à ses peurs, celles de ses patients, des familles, des médecins, et du personnel. Son initiation commence.
A qui appartient le droit de faire du cinéma ? Plus complexe qu’elle n’y paraît, cette question nous interroge sur l’appartenance de l’art : doit-on forcément être un cinéaste pour faire un film ? Des contre-exemples plus ou moins glorieux ont existé à travers les époques, parmi lesquels Hippocrate, par la caméra de Thomas Lilti. Ce dernier, médecin généraliste de profession, a réalisé en parallèle de ses activités médicales divers court-métrages et un long-métrage, Les Yeux Bandés, dans un certain anonymat, avant en 2014 de nous offrir un long-métrage sur sa profession, Hippocrate, le révélant aux yeux du monde. Comment une telle différence de parcours retentit-elle sur une œuvre ? Tentative de réponse en quelques points.
Tout d’abord, avant de continuer ce papier, je me dois une précision : avant d’être rédacteur chez Ciné Maccro et passionné de cinéma, je suis avant tout un étudiant de médecine. Cette précision intime, futile à vos yeux s’il en est, a un impact non négligeable sur ma vision du film. Impact qui résonne lorsqu’il faut analyser les intentions du réalisateur : si Hipppocrate peut sembler être une simple histoire de vies, comme on en voit si souvent dans le cinéma français, le film est, lorsqu’on y plonge plus profondément, le portrait terriblement réaliste d’un hôpital malade. Si la crise du COVID-19 a mis en lumière certaines des difficultés de cette institution, Lilti portraitisait quelques années auparavant par les yeux d’un interne innocent toutes les difficultés hospitalières. En faisant de son film sa propre catharsis, Lilti invite le spectateur dans la spirale infernale dont sont prisonniers les personnages. En nous proposant une mise en scène épurée, où la caméra suit au sein de l’hôpital Benjamin, Abdel et les autres d’une manière quasi documentaire, Lilti renforce la pression qui pèse sur leurs épaules : les cadres sont ici souvent très serrés, enfermant les personnages dans leurs propres solitudes, ne les libérant de ce poids que lorsqu’ils s’éloignent du service. Comme ces illustres prédécesseurs, le réalisateur français choisit ici de filmer le théâtre de la vie, dans un regard documentariste, comme pour nous alarmer sur les dissonances qui existent entre les médecins, entre la hiérarchie, entre les méthodes. Hippocrate ouvre en ce sens les yeux sur une science complexe par le prisme de la crise humaine qu’elle traverse : derrière la blouse se cache des femmes et des hommes, et le film cherche ici à montrer leurs souffrances.

D’humanisme, Hippocrate n’en manque clairement pas : pour aborder de manière frontale des sujets aussi durs que la mort ou le racisme latent. En délaissant l’emphase politique, trop présente de notre temps et qui a pour conséquence qu’un travail superficiel sur ces questions, Thomas Lilti ne s’éparpille pas thématiquement pour aller au bout des choses ; à l’image de ce qui suivra dans sa filmographie, Lilti se positionne du côté de l’oppressé plus que de l’oppresseur sans y apporter une once de jugement. Car oui, Hippocrate ne va pas se contenter d’être un banal divertissement mâchant le travail ; le film prend le spectateur à la gorge par son réalisme et nous oblige à ouvrir les yeux et à réfléchir par nous-mêmes sur le drame qui se déroule sous nos yeux. C’est là peut-être toute la saveur du film : émouvant sans tomber dans le pathos abusif, Hippocrate est une proposition franche de cinéma, de celles qui se stylisent pour le fond et non pour la forme, de celles qui croient en leurs idées et qui les défendent avec leurs âmes, malgré leurs imperfections.
Si le film est porté par une mise en scène sans trop de génie, et par un scénario et des dialogues quelque peu convenus, Lilti nous révèle un sens aïgu de la direction d’acteurs, dans un film où Vincent Lacoste et Reda Kateb irradient de leur talent. C’est bien là la leçon en définitive du film : un film sincère vaut parfois mieux qu’un film virtuose. On ne sera jamais surpris ou plaqué au fauteuil avec Hippocrate ; là n’est pas le but du réalisateur. Thomas Lilti veut sensibiliser nos âmes et nos consciences avec son propos ; force est de constater que, que l’on soit « du métier » ou un simple spectateur, le tour est pleinement réussi, par sa vérité médicale et cinématographique. Certes, Hippocrate ne restera sûrement pas dans les grandes annales cinématographiques ; qu’importe, l’essentiel est ailleurs : le film saisit, surprend, émeut. Pour notre plus grand bonheur cinéphile.
Note
8/10
Quasi documentaire dans sa forme et dans son fond, Hippocrate surprend par la profondeur de son récit. Une véritable réussite pour Thomas Lilti qui aura trouvé la parfaite symbiose entre ses deux métiers, la médecine et le cinéma.
Bande-annonce :
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