La religion, vaste sujet, risqué, polémique, complexe. Dans Heretic, c’est Dr. Reed, interprété par le grand Hugh Grant, qui joue le rôle de médiateur. Le problème vient de ses méthodes… très questionnables. Retour sur une œuvre qui ouvre le débat tout en parvenant habilement à divertir son spectateur.
Coup de frousse au colorado
Phrase extrêmement populaire et suremployée mais plus que pertinente ici, Alfred Hitchcock proclamait haut et fort : « Quand le méchant est réussi, le film aussi ! ». Il faut avouer que Heretic ne serait pas aussi beau, efficace ou terrifiant sans son antagoniste M. Reed, interprété par le survolté Hugh Grant. Ce choix de casting relevant du génie s’inscrit dans cette logique récente de changement d’image de l’acteur. Initiée dans Paddington 2 et The Gentlemen, Hugh Grant se délecte à renverser sa persona (image de l’acteur que le public s’est construite au fil des années en fonction de ses rôles), offrant un miroir diabolique aux nombreuses comédies romantiques qui l’ont fait connaître.
L’acteur apporte à son personnage une complexité insoupçonnée, réinvestissant ses célèbres mimiques pour les mêler aux situations d’horreur, tout cela empreint d’une malice jouissive. La désinvolture et la franchise cinglante de M. Reed fascinent et participent à créer un antagoniste de taille.
Le poids de la religion
Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, Heretic n’est pas un film d’horreur et ne sera que très peu filmé comme tel, se rapprochant plus du thriller. A24 oblige, le film surprend par son traitement de la tension dramatique. Refusant le spectaculaire, il passionnera pour ses dialogues bien écrits et incisifs, véritables enjeux de l’histoire. Mais là où le long-métrage réussit le plus dans sa démarche, c’est dans la vulgarisation de l’endoctrinement religieux.
Le scénario permet aux spectateurs d’analyser personnellement les questions posées par M. Reed grâce à des exemples simples et ludiques, souvent issus de la pop culture. Malgré tout le bien que l’on pense du Da Vinci Code, il est vrai que, dans ce genre de films amenant des théories sur l’histoire des religions, certains spectateurs sont aisément perdus devant les discours de Tom Hanks. Ici, point de dialogues pompeux et surexplicatifs. Toutes les explications sont savamment équilibrées pour être comprises et interrogées sans que cela nuise au rythme de compréhension du récit.
M. Reed, personnage vengeur cherchant un sens à sa vie en détruisant celui des autres, se sert de jeux macabres pour interroger la religion et faire ressortir tout l’ambiguïté qui la caractérise. Dieu existe-t-il vraiment ? Faut-il croire ou ne pas croire ? Même si le film parvient à faire réfléchir son spectateur, la question primordiale de « Qu’est-ce que permet la religion ? » sera à peine survolée. Cela donnera au film une sensation amère, celle d’un récit traitant de la question religieuse qu’au travers d’une dimension unilatérale, s’engageant plus (comme son personnage) à détruire le mythe qu’à l’interroger. Il aurait été intéressant d’avoir une fin un peu plus mystique, d’aller plus loin dans la réflexion en remettant justement en question les certitudes des personnages mais aussi celles des spectateurs. Une occasion manquée donc, mais qui n’enlève rien au charme du film.
Des héroïnes en fuite
Les premières minutes du long-métrage sont révélatrices : les deux héroïnes, missionnaires de l’église mormone, discutent de la pornographie jusqu’à que l’une d’entre elles parviennent à trouver Dieu dans cette pratique. Durant tout le film, il sera alors question de cette foi inéluctable, pouvant à la fois être perçue comme un tremplin au courage que comme un endoctrinement qui emprisonne.
Cette thématique de l’enfermement est par ailleurs omniprésente au travers de la mise en scène soignée des cinéastes Scott Beck et Bryan Woods. Sister Barnes et Sister Paxton, telles Hansel et Gretel se rendant chez la sorcière, seront constamment surcadrées par des éléments du décor, écrasées par les objets de décoration, perdues dans un labyrinthe filmé comme une maison de poupées. Pourtant, elles ne resteront jamais aux mêmes endroits, ni dans le même chemin de pensées. Grâce à leur perspicacité ou à une violence insoupçonnée, Barnes et Paxton parviennent à contourner le piège, à sortir du cadre en même temps que de leur image de « filles de Dieu ».
Heretic dépeint deux femmes fortes tenant tête à M. Reed. Toutefois, il est dommage qu’il n’y ait pas plus d’intéractions entre les deux amies pendant leurs épreuves de foi à l’intérieur de la maison. De manière générale, Barnes et Paxton sont des personnages qui se ressemblent, peut-être un peu trop. La petite nuance ayant pu engager un conflit intérieur passionnant vis-à-vis de leur rapport à la religion est malheureusement esquivée par le scénario et délaissée dans une simple mention finale décevante et sans conséquence.
En voyant le potentiel de son sujet, il est décevant que la fin du film ne pousse pas la réflexion plus loin et retombe dans les classiques du genre, en terrain connu, notamment avec un deus ex machina peu subtil. Mais Heretic n’en reste pas moins un film solide avec un Hugh Grant en roue libre, pour notre plus grand plaisir. Le studio A24, toujours force de proposition et malgré leur productivité grandissante, reste une valeur sûre, avec une promesse de mise en scène et la garantie d’un traitement du propos sous un angle différent.
Heretic est actuellement dans les salles obscures.
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