Robert Zemeckis, grand cinéaste américain derrière Retour vers le futur ou encore Roger Rabbit, rassemble une partie de l’équipe de Forrest Gump pour délivrer Here, une épopée à travers le temps filmée exclusivement d’un seul point de vue et adaptée d’une bande dessinée. En résulte une œuvre aussi forte et humaine que malheureusement imparfaite…

une adaptation d'une bande-dessinée

Permettons-nous un petit aparté asiatique avant d’aborder ce nouveau Zemeckis. Dans le sublime Memoria du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul figure un personnage très spirituel prénommé Hernán. Ce personnage à la mémoire omnisciente se souvient de chaque moment de sa vie. Pour Hernán, même un objet aussi banal qu’une pierre a une histoire. Simplement en touchant une pierre de ses doigts, il peut ressentir en lui son histoire.

S’il en est ainsi des objets, il peut en être de même pour les lieux. Chaque lieu qui nous entoure, la moindre petite parcelle de terre peut être chargée d’histoire. Une idée qu’a voulu explorer à son tour un auteur de bande dessinée américain : Richard McGuire. De cette idée de lieu empreint de mémoire découlera sa bande dessinée Ici. Publiée en 2014, elle dévoile un dispositif surprenant et séduisant : montrer via un seul point de vue le récit d’un lieu et cela par le biais de plusieurs histoires au sein de ce dit lieu, en allant de la Préhistoire jusqu’au futur.

En 2022, une adaptation cinématographique est annoncée avec Robert Zemeckis à la barre, aux côtés d’une partie de l’équipe de Forrest Gump. En l’occurrence, le coscénariste Eric Roth, les acteurs Tom Hanks et Robin Wright, le chef opérateur Don Burgess et le compositeur Alan Silvestri. Finalement, que résulte-t-il de ce projet ? Une exploitation du concept de point de vue unique qui sait se faire bouleversant par moments en dégageant une humanité folle. Mais pas sans malheureux défauts…

Tom Hanks et Robin Wright dans Here © SND
Tom Hanks et Robin Wright dans Here © SND

l'humanité...juste ici

Le film commence d’une manière grandiose à l’époque des dinosaures. Petit à petit, l’humanité entre en scène et le film peut réellement commencer. S’ensuivent et s’entremêlent alors différentes histoires humaines de différentes époques, dont une en particulier. En l’occurrence, celle de Richard (Tom Hanks) et de sa femme Margaret (Robin Wright), lors de la seconde moitié du XXème siècle.

Notons tout d’abord que le film assume sa base au point de reprendre une idée de l’œuvre originale : des cases qui contiennent une autre histoire, créant ainsi des superpositions temporelles. Ensuite, Robert Zemeckis, en sa qualité de cinéaste conteur, est connu pour aimer expérimenter avec les nouvelles technologies (l’on pense notamment à son amour pour la performance capture). Ainsi, avec Here, Zemeckis utilise l’intelligence artificielle afin de rajeunir et vieillir ses acteurs et le résultat est bien crédible ! Aucune sensation de vallée dérangeante à l’horizon. Rajoutons à cela les superbes interprétations des acteurs parmi lesquels Hanks et Wright, dont l’histoire de leur couple est magnifique et forte avec une conclusion tout simplement émouvante aux larmes.

Le tout est accompagné des magnifiques compositions d’Alan Silvestri. C’est bien simple, on tient là l’une des meilleures bandes originales de l’année. C’est une musique qui vient accompagner à merveille les tribulations de personnages qui deviennent instantanément intéressants voire charismatiques et dont on découvre les joies et les peines. L’on retient notamment un couple bohémien (un inventeur et une mannequin, interprétés par David Fynn et Ophelia Lovibond) à l’enthousiasme communicatif ! Une telle capacité à rendre ces personnages tout de suite intéressants ne fait que rendre plus décevant le faible temps d’écran de certains.

Tom Hanks et Robin Wright dans Here © SND
Tom Hanks et Robin Wright dans Here © SND

Une épopée perfectible

Et le moment pour nous d’en venir aux points négatifs de ce nouveau Zemeckis. Des points malheureux qui, sans eux, auraient pu faire de Here un grand film. Tout d’abord, quel dommage que Here n’offre pas assez de temps d’écran à certains personnages qui auraient mérité plus de développement. L’on pense à une famille noire, située à notre époque. Elle a pourtant droit à une scène très forte durant laquelle le père apprend à son fils comment se comporter face à un policier. Pire, certains arcs de personnages n’ont pas le droit à leur conclusion ! Nous pensons ici à cette famille contemporaine mais aussi au couple bohémien.

Rajoutons également un manque de transitions entre les temporalités. On passe en effet du coq à l’âne, trop rapidement d’une émotion à une autre. Mais notons surtout que cette idée de mêler différentes temporalités au sein de cases n’est pas assez exploitée. Elle ne donne pas lieu à plus d’interactions que cela entre ces mêmes temporalités. On aurait ainsi pu montrer que peu importe le temps, certaines petites histoires de l’humanité font écho entre elles. Le film jouerait ainsi avec sa forme, ce qui lui aurait donné un aspect ludique et plaisant. Notons enfin quelques petits effets de mise en scène quelque peu kitsch (tels certains ralentis).

À nouveau, quel dommage que ces défauts subsistent…car sans eux, Here aurait pu être un grand film épique expérimental sur le temps qui passe, sur les histoires de l’humanité. Un film accomplissant l’exploit de passer à la fois par le prisme de l’intime et le prisme de la grandeur, du micro et du macro. Un macro narratif et temporel contenu dans le micro du dispositif. Mais ces défauts n’empêchent pas pour autant Here de réussir, en l’état, à être une œuvre émouvante et humaine.

Le film est actuellement en salles.

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