Grâce À Dieu, film français de 2019 réalisé par François Ozon avec Denis Ménochet, Swann Arlaud, Josiane Balasko, Melvil  Poupaud…

Synopsis :
Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi.
Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.

Il est toujours risqué de s’attaquer à une institution telle que l’Église catholique. François Ozon a failli l’apprendre à ses dépends, puisqu’il a été assigné en référé à deux reprises, pour empêcher la sortie de son film Grâce À Dieu, par les avocats de Régine Maire et du père Preynat.
La justice ayant refusé de repousser la sortie du film, voilà qu’a débarqué dans nos salles obscures le 20 février dernier ce long-métrage sur « l’affaire Preynat » et plus généralement sur les scandales pédophiles au sein de l’Église qui ont émaillé l’actualité récente.
Et on ne saurait qu’être trop heureux de cette décision. Parce que Grâce À Dieu n’est pas juste un excellent film. C’est un film nécessaire.

Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) (à droite)
© Mars Films

Avec un sujet aussi sensible et délicat, il eut été facile, pour un réalisateur quelconque, de faire l’erreur de tomber dans un pathos larmoyant qui aurait pu, paradoxalement, nuire à l’intensité émotionnelle du long-métrage. Or, avec François Ozon, il n’en est rien, bien au contraire.
Conscient de la sensibilité du sujet qu’il aborde, le réalisateur de Huit Femmes prend la décision de laisser le film et ses personnages parler pour lui, en épurant son long-métrage de ses artifices de mise en scène. La portée de son film est avant tout didactique : il ne s’agit pas tant de porter un jugement sur une affaire sordide et retentissante mais, à travers la voix de ses interprètes, laisser les victimes s’exprimer.

La première phrase du long-métrage l’explicite clairement : « une fiction, basée sur des faits réels ». Sans se dédouaner du réalisme de l’histoire qu’il raconte, François Ozon cherche à montrer la puissance évocatrice du 7ème Art, seul capable d’exprimer avec autant de justesse les pires atrocités de notre monde.
Et le film est un perpétuel conflit entre le Ozon scénariste et le Ozon réalisateur. Si l’on a déjà évoqué le scénariste et la parole didactique qu’il cherche à apporter à son oeuvre, le réalisateur qu’il est ne peut totalement s’effacer, et la maîtrise de sa mise en scène et de son montage est parfaite.
Le premier plan du film, hautement symbolique, du cardinal Barbarin, comme régnant sur la ville de Lyon, est symptomatique du message du film, de la volonté d’Ozon d’exprimer la puissance d’une institution dont il est difficile de faire tomber de leur piédestal les éléments les plus influents.
Si Ozon teinte sa mise en scène d’un subtil symbolisme, celle-ci n’en devient jamais envahissante et exprime avant tout la modestie d’un réalisateur qui sait que son sujet est plus important que lui. D’aucuns regretteront dans la première partie l’omniprésence de la voix off, pas toujours pertinemment utilisée ; d’autres fustigeront l’utilisation de flashbacks qui nous ramènent à notre état de spectateur d’un film plutôt que de témoins de l’Histoire… Ces critiques s’entendent, peuvent être remises en cause, mais elles n’ont que peu d’impact dans un film dont l’épuration qu’il opère dans sa réalisation est une brillante réussite.

François Ozon et Melvil Poupaud sur le tournage
© Mars Films

Comme évoqué, François Ozon a à cœur avant tout de laisser parler son film, le laisser s’exprimer pour et à travers lui. Et rien n’est plus important que de laisser s’épancher les victimes, à travers ses personnages, sur leurs blessures profondes. Des personnages tous formidablement écrits et impeccablement interprétés.
Trois acteurs forment ainsi le trio de personnages principaux, dont on va suivre le douloureux chemin qui les amènera, par la tristesse d’un sordide destin commun, à se rencontrer pour enfin pouvoir tourner définitivement la page de cette histoire.
Melvil Poupaud tout d’abord, qui tient tout le premiers tiers du film à lui seul, est absolument impeccable et touchant dans nombre de scènes. Archétype d’un homme qui a tout réussi, les fêlures qu’il révèle sont autant de coups portés à un spectateur sonné de l’horrible vérité longtemps cachée.
Swann Arlaud, bien plus désormais que la simple révélation de Petit Paysan, trouve ici un rôle taillé sur mesure pour son incommensurable talent. A l’inverse d’Alexandre, le personnage de Melvil Poupaud, voici Emmanuel, un personnage à la vie monotone, sans enfant, sans travail, avec des relations de couple instables, qui voit lui aussi ressurgir dans sa vie des moments qu’il avait souhaité enfouir. Un homme qui, comme les autres, n’a jamais pu complètement cicatriser. Un homme meurtri, que Swann Arlaud incarne avec une effarante et émouvante justesse.
Enfin, Denis Ménochet, qui s’installe, après Jusqu’à la Garde, comme l’un des plus grands acteurs français de notre époque. Loin de l’image de la simple force brute que l’on pourrait lui apposer, il est ici montré à l’égal des autres, empli de honte, de peur parfois, de détermination souvent, de vengeance aussi, mais avant tout humain.
On n’oubliera pas d’évoquer les personnages secondaires, notamment une Josiane Balasko peu présente mais qui emplit toutes ses scènes d’une puissance dramatique démentielle.

Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud)
© Mars Films

Car oui, la grande force des personnages de François Ozon, c’est avant tout leur humanité. Une humanité dont le film tire son assise émotionnelle, et qui, à l’image d’un film choral, donne autant d’importance à chacun en les faisant apparaitre ou intervenir dès que le récit l’impose. Par eux, le film traite avec une intelligence folle et une telle acuité les problèmes que posent cette pédophilie que l’institution ecclésiastique cache honteusement : comment briser cette chaîne du silence, oser parler ? Comment faire entendre sa voix ? Est-il possible de pardonner ? Faut-il différencier religion et spiritualité (en témoigne cette phrase du fils d’Alexandre en fin de film, d’une puissance phénoménale : « Papa, tu crois toujours en Dieu ? ») ?… Autant de questions, et bien d’autres, auquel Ozon ne souhaite pas donner de réponses mais qu’il traite avec le plus de sincérité possible.

François Debord (Denis Ménochet)
© Mars Films

Nous avons pour habitude, en fin de critique, de noter les longs-métrages. Vous vous doutez bien de quelle sera la note de Grâce À Dieu, mais elle n’a absolument aucune importance.
Car vous DEVEZ aller voir Grâce À Dieu. Pas uniquement parce que la façon d’agencer le récit est d’une justesse folle. Pas parce que la réalisation, épurée, laisse s’exprimer des personnages parfaitement interprétés. Pas parce que François Ozon est l’un des meilleurs scénaristes et réalisateurs français de notre temps.
Mais parce que Grâce À Dieu, pour le courage de ce qu’il dénonce et l’instantanéité (malheureuse) de son propos, mérite amplement 2h17 de votre temps, et que nul doute que face à la puissance du long-métrage, vous en ressortirez aussi conquis que groggy.

Note

5/5


Les mots manquent devant la puissance évocatrice de Grâce À Dieu. Film douloureux, film délicat, mais film ô combien nécessaire, on ressort du long-métrage vidé de notre substance émotionnelle, mais frappés par l’acuité de François Ozon face à son sujet. Un grand, très grand film, qui (grâce à Dieu ?) s’est frayé un chemin dans nos salles obscures et désormais dans l’inconscient de spectateurs qui ne s’en sont pas encore remis.

Le site de La Parole Libérée est disponible ici : https://www.laparoleliberee.fr

Bande-annonce

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