? Réalisateur : Alexis Michalik
? Casting : Thomas Solivérès, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner
? Genre : Comédie, biopic
? Pays : France
? Sortie : 9 janvier 2019
Synopsis : Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : « Cyrano de Bergerac ».
La rencontre de deux arts est toujours une démarche pour le moins intéressante. D’autant plus lorsqu’il s’agit du cinéma et du théâtre, si proches mais également si différents. Pour son premier long-métrage, Alexis Michalik s’est pourtant attelé à cette tâche en adaptant la pièce de théâtre du même nom qu’il a également montée : Edmond.
Reprenant l’histoire de la pièce récompensée de cinq Molières, Edmond nous raconte l’histoire d’Edmond Rostand, dramaturge peu reconnu, lors des quelques semaines durant lesquelles il va devoir écrire et mettre en scène la plus célèbre pièce du théâtre français : Cyrano de Bergerac.
Là où nombre de cinéastes se seraient contentés d’un biopic qui, sans manquer d’exactitude, aurait pu être dépourvu de toute la magie, de l’inventivité, et du panache de l’œuvre originale, Alexis Michalik s’est posé un défi bien plus grand. Et un défi on ne peut plus réussi.
Edmond regorge de qualités, mais ce sont en immense partie ses dialogues qui le rapprochent de l’œuvre d’origine. Bien aidé par les vers de Rostand lorsqu’il s’agit de représenter la pièce, Michalik, qui signe le scénario, parvient cependant à déployer une superbe maîtrise dans l’art oratoire de ses personnages, les faisant jouer avec les mots à la manière du plus célèbre des gascons. Ainsi les personnages tels Edmond, Jeanne, et le pétaradant Coquelin nous embarquent à une vitesse folle et nous séduisent grâce à leur prose toujours impeccable.
Le film repose également énormément sur l’interprétation, ce mélange des genres forçant à un jeu très démonstratif et théâtrale. Là encore, Edmond s’en sort avec les honneurs, le casting se révélant brillant, sublimant le scénario de Michalik. Ce dernier offre le rôle principal à Thomas Solivérès, livrant un Edmond Rostand totalement perdu, dépassé par les évènements mais démontrant une abnégation sans pareille et un génie indiscutable. Très bon pour représenter les doutes de son personnage, le jeu du comédien peut manquer de diversité et nous donne à voir en permanence un Rostand manquant, lui, du panache que l’on souhaite lui découvrir.
Même si Solivérès livre une performance plus que convenable, c’est aux seconds rôles qu’il convient de tirer son chapeau, tant le reste de la distribution insuffle dans le long-métrage une énergie et une magie rares. Soulignons tout d’abord la grandeur de Olivier Gourmet, interprétant à la fois le personnage de Constant Coquelin et, par association, celui de Cyrano de Bergerac. Gourmet, récompensé par le passé du prix d’interprétation à Cannes pour Le Fils des frères Dardenne, offre à son/ses personnage(s) une folie douce et un entrain à peine imaginable. L’élaboration de la mythique tirade du nez entre lui et Edmond est absolument débordante d’imagination et les nombreux « ping-pong verbaux » des deux personnages sont une des belles forces du film. L’acteur vit totalement son rôle et nous entraîne avec lui grâce à son dynamisme si attachant.
On retrouve également des rôles féminins, malheureusement, plus en retrait. Malheureusement, car on ne peut que regretter de ne pas profiter plus de l’insupportable mais grandiose Maria Legault, campée par Mathilde Seigner ou de la star absolue qu’est Sarah Bernhardt qui nous est offerte par Clémentine Célarié. Des personnages qui parviennent à nous toucher, nous énerver et nous faire rire d’une manière assez unique et dont on souhaiterait plus de présence. Alice de Lencquesaing et Lucie Boujenah n’ont, elles, pas grand chose à se mettre sous la dent, recluses respectivement dans le rôle de la compagne aidante mais en proie aux doutes, et de la muse de l’auteur. Deux rôles manquant cruellement de profondeur.
Michalik s’offre une place au casting, interprétant George Feydeau un dramaturge en vogue et prétentieux. Le réalisateur profite également de l’occasion pour réunir une partie de la distribution de l’excellente série Kaboul Kitchen. Ainsi on retrouve Marc Citti et Benjamin Bellecour pour de courtes apparitions, mais surtout le génial Simon Abkarian (vu récemment au casting des Hirondelles de Kaboul), hilarant dans son rôle de producteur corse.
Il est une inquiétude légitime en abordant un film tel que Edmond : comment filmer et mettre en scène le théâtre à l’écran sans tomber dans le théâtre filmé, voire la vulgaire captation ? Michalik réussit là encore un tour de force. Le réalisateur parvient à trouver un juste équilibre pour nous faire vivre les légendaires répliques de la pièce en scindant notre point de vue de spectateur. Nous sommes à la fois spectateur de théâtre et de cinéma, assis dans les sièges de la salle et auprès des comédiens sur scène. Le pari de mise en scène de l’ultime scène de la pièce révèle à merveille ce procédé : les deux arts se mélangent définitivement pour nous offrir un grand film.
Puisqu’il faut bien trouver des faiblesses objectives au film, on peut regretter que certains schémas de l’œuvre de Rostand aient trop tendance à se dérouler dans le long-métrage. On pensera notamment à la caractérisation du personnage de Léo, pure calque de Tristan : benêt mais beau ; et de la scène du balcon reproduite presque à l’identique. Le contenu des écrits de l’auteur provenant souvent de son environnement, et non de son imaginaire.
Note
9/10
Avec ce premier film absolument grandiose, le pari d’Alexis Michalik est amplement réussi. Edmond nous transporte et parvient à nous faire redécouvrir l’œuvre légendaire tout en lui témoignant un amour et un respect immense. Un savant mélange du théâtre et du cinéma que nous offre le film. Et il y a malgré vous quelque chose que le film emporte, quelque chose que sans un pli, sans une tâche, il emporte malgré vous, et c’est… son panache.