Donnie Darko, film de sicence-fiction de 2002 réalisé par Jake Gyllenhaal, Maggie Gyllenhaal, Jena Malone, Mary McDonnell…

Synopsis : Middlesex, Iowa, 1988. Donnie Darko est un adolescent de seize ans pas comme les autres. Introverti et émotionnellement perturbé, il entretient une amitié avec un certain Frank, un lapin géant que lui seul peut voir et entendre. Une nuit où Donnie est réveillé par la voix de son ami imaginaire qui lui intime de le suivre, il réchappe miraculeusement à un accident qui aurait pu lui être fatal. Au même moment, Frank lui annonce que la fin du monde est proche. Dès lors, Donnie va obéir à la voix et provoquer une série d’événements qui sèmeront le trouble au sein de la communauté…

Film culte d’une génération entière de cinéphiles frappés par la maestria du premier film de Richard Kelly, Donnie Darko se fraie depuis quelques jours un chemin dans nos salles obscures, comme une douce vengeance face à l’échec public en salles lors de sa sortie en 2002. Un échec au final salvateur puisque le film, et c’est une chose qui se fait de plus en plus rare, a acquis sa solide réputation sur le marché du DVD, devenant un objet de fascination pour des spectateurs émerveillés autant qu’intrigués par un long-métrage qui restera dans les mémoires. Pour l’occasion, il est temps de revenir en profondeur sur ce qui fait toute la saveur de Donnie Darko.

Donnie Darko (Jake Gyllenhaal) voit double…
© New Market Films

Coup de maître unique dans la carrière de son réalisateur, qui n’a jamais pu réitérer l’exploit et dont la carrière est depuis dix ans au point mort, Donnie Darko se revendique tout d’abord comme un film aux thématiques multiples et entrecroisées au coeur d’un scénario plutôt cryptique, rappelant par là un certain David Lynch dans la manière d’insuffler des messages forts au travers d’une intrigue à tiroirs et à priori incompréhensible, autant qu’en donnant à son film une portée mystique. Le film, déroutant pour le spectateur, lui donne pourtant beaucoup de ses clés d’interprétation et, de la religion à la philosophie, explore un nombre hallucinant de thématiques sans jamais devenir un patchwork indéchiffrable, et semblant moins couper dans le vif qu’un Lynch car il garde son récit très linéaire et explicite.
De manière plutôt succincte, Richard Kelly va d’abord interroger le fossé générationnel, notamment au travers d’opinions politiques changeantes entre les générations (parent/enfant notamment) et à quel point la manière de voir le monde peut être différente, notamment dans un rapport d’opposition entre pragmatisme et espoir. Le film place donc un point de vue sur la société d’aujourd’hui, sclérosée, et dont l’espoir en elle-même a quasiment disparu au point que le Destin (ou Dieu) ait la volonté de le redémarrer, comme pour en faire une nouvelle version.
Une parabole philosophico-religieuse pas anodine, le film en étant lui-même conscient et les développant en parallèle voire en opposition, Donnie Darko étant le contrepoint d’une éducation religieuse binaire ne voyant le monde que comme la lutte du Bien contre le Mal, effaçant les aspérités inhérentes à l’espace humaine. C’est ainsi que le film fait de Donnie Darko une sorte d’Élu, celui choisi pour sauver le monde et être puni pour ses pêchés. Le film en fait même explicitement une sorte de super-héros, quand Gretchen Ross (Jena Malone) suggère son nom comme étant à consonance héroïque, et poursuit donc cette idée d’un personnage maudit choisi par une entité supérieure pour faire prendre conscience à ses congénères de l’immoralité de leurs comportements, rappelant par là celui avec qui il partage ses initiales, le David Dunn d’Incassable.
Et alors que Donnie pourrait être considéré comme l’Élu, lui-même désigne son Antéchrist, celui qui dans les récits bibliques se fait passer pour Jésus-Christ, le trompeur qui manipule les masses à son propre profit. Ainsi, le personnage de Jim, personnage considéré comme vertueux, cache en effet un lourd secret. Par là, il se pose la question d’une société obnubilée par les apparences et qui élève au rang de gourous d’authentiques monstres pour des paroles qu »ils croient rassurantes, mais qui ne sont qu’un leurre ou un moyen d’enfouir leurs propres démons sans jamais leur faire face. Le choix de Patrick Swayze, icône du glamour en son temps et donc égérie, sans doute malgré lui, d’une société de l’image et des apparences, est d’une implacable pertinence, d’autant qu’il est très convaincant dans ce rôle.

Des démons auquel justement, et c’est là où il acquiert son potentiel d’Elu, Donnie fait face, en la personne de ce lapin à l’apparence horrifique, amené à lui pour le guider vers un Destin auquel il adhèrera et acceptera avec une grande lucidité, parvenant justement à vaincre l’emprise de ce lapin géant. D’où la nécessité et l’intelligence d’en faire un pseudo-schizophrène, le film ne donnant jamais la réponse à cette question et Donnie pouvant tout autant être un illuminé qui a décidé de créer son propre monde dans son esprit pour lutter contre sa solitude et ses démons, que le réel envoyé de Dieu. Donnie Darko possède donc une dose importante de religion, interrogeant le rapport de l’humanité au Destin qui semble lui être incombé par ladite religion, qui considère chaque homme comme le fils d’un Dieu et a son destin figé. Donnie, quant à lui, n’aurait pas renié les écrits de Sartre tant il interroge, dans une perspective existentialiste, la manière dont l’homme peut être, ou non, guidé par son destin, ou tout du moins cherche à comprendre une notion encore aujourd’hui très mystique. Peut-on dire qu’en l’acceptant, en choisissant le sacrifice au profit de sa propre existence, Donnie prend le contrôle de son propre destin ? Difficile à dire tant la question est philosophiquement toujours aussi obscure. Toujours est-il qu’en tant que supposé Élu, qui vient faire prendre conscience au monde de ses pêchés et en subir la souffrance, Donnie s’émancipe de sa simple condition humaine.

Jim Cunningham (Patrick Swayze) et Dr Fisher (Arthur Taxier)
© New Market Films

En interrogeant religion et existentialisme comme le fondement d’une part de la société et d’autre de ceux qui souhaitent s’en émanciper, Richard Kelly tente de se poser la question d’une société inconsciente de sa propre immoralité et effrayée de voir la réalité en face et d’affronter ses propres démons, une chose que, comme nous l’avons expliqué, Donnie sera, dans un élan mystique autant que psychologique, le seul à faire.
Le travail sur le temps que le cinéaste effectue, que ce soit par le retour en arrière ou son décompte avant la supposée fin du monde, est donc d’une importance capitale, essayant de se libérer de sa linéarité temporelle pour suggérer l’idée d’un Destin changeant reposant sur les épaules d’un seul homme, allant ainsi dans le sens d’un existentialisme qui suggérerait que l’homme est construit par soi-même et sa culture, ses actes, plutôt que par un déterminisme, biologique par exemple (c.f. la fameuse phrase de Sartre, « l’existence précède l’essence »).
Si Richard Kelly, en tant que scénariste, fait un formidable travail, il serait incorrect d’éluder le travail d’un tout jeune réalisateur qui, pour ses premiers pas, s’il ne fait pas d’étincelles, sait créer une ambiance visuelle et adéquate et poursuivre son travail thématique avec une mise en scène et des plans lourds de sens. Ainsi, et cela est plutôt rare, Kelly arrive à donner vie à une question philosophique, par l’intermédiaire de cette matière visqueuse émanant du thorax des personnages, représentation explicite du Destin que Donnie est le seul à apercevoir. La figure du lapin est également importante, puisqu’elle interroge avec Donnie la différence fondamentale entre homme et animal : l’idée justement, du Destin. Un animal n’est jamais conscient de son propre futur (sauf à faire de l’anthropomorphisme), au contraire d’une humanité qui se doit d’être au fait de sa place dans le monde et de la vacuité de celle-ci. Mais le lapin représente en fait l’homme en proie à ses doutes, incapable de faire face à son propre destin, menant une existence monocorde et qui ne s’interroge jamais sur les fondements de sa propre psyché, préférant, comme le montre le spectre des émotions proférés par Jim et son adepte Kitty Farmer, la simplicité à la réflexion. Il arrive donc à illustrer certaines de ses idées de manière purement visuelle ce qui, associé au mystère de son scénario, rappelle au spectateur la portée symbolique de l’Art, dont le cinéma est le meilleur représentant.
En ce sens, le travail de Richard Kelly est extrêmement appréciable et donne une indiscutable fraîcheur au film. De manière plus générale, le réalisateur, pour qui Donnie Darko est le premier essai, s’adapte aux us et coutumes de mise en scène que lui imposent, sans fondamentalent chercher à révolutionner le genre. Banlieue tranquille, déambulation mystique, teen movie… Le film sait s’adapter à chacune des scènes. L’on pourrait reprocher ce classicisme, mais devant une première oeuvre, tenter de vouloir se livrer à des expérimentations moins maîtrisées aurait pu ruiner l’impact d’un film déjà difficile à appréhender ; d’autant plus vrai lorsqu’on pense à l’inexpérience de Kelly en la matière. Ce choix de mise en scène, forcé ou non, est donc plus que justifié.

Donnie Darko (Jake Gyllenhaal) face à son destin
© New Market Films

Le film se pare en outre d’une excellente bande-son qui, si elle se laisse parfois aller à un certain classicisme (comme la mise en scène), possède de belles envolées rock et sait donner une atmosphère mystique à ces scènes, notamment par l’intermédiaire de ce piano mélodieux ou de ces chœurs qui accompagnent les scènes vers cette ambiance, pertinente au vu des thèmes abordés et du genre de la science-fiction (ascendant religiosité) dont se targue le long-métrage.

Mais qu’il ne faille pas considérer Richard Kelly comme un réalisateur froid et insensible à son matériau, bien au contraire ! D’une part, malgré la supposée difficulté d’appréhension de son scénario, le film arrive à garder une cohérence en liant toutes ces thématiques complexes entre elles sans en faire un fourre-tout incompréhensible, risque inhérent des premières réalisations souvent avides d’évoquer nombre de sujets au risque de perdre en clarté. Kelly n’est pas aussi résolu qu’un Lynch, puisqu’il donne, notamment en illustrant certains de ses extraits par le passage du livre qui explicite diégétiquement l’idée du voyage temporel, les clés du film, ou tout du moins comment en appréhender la logique primaire.
Et s’il tend à intellectualiser son film, il ne quitte pas pour autant le chemin de l’émotion pure notamment dans sa dernière partie : une émotion si forte, si simple, qui montre qu’en dehors du scénariste talentueux, le réalisateur sait faire sien le script et y projeter également de belles émotions. Et pour cela, la présence de Jake Gyllenhaal lui sera d’une grande aide. Ce dernier y est en effet pour beaucoup dans la réussite du film, et est, pour son premier rôle principal, plus que convaincant. Il parvient à faire prendre pour ce personnage dont on ne saisit jamais la vraie nature une certaine empathie, et même de la sympathie pour un adolescent aux actions répréhensibles mais qui, comme nous l’avons vu, est au fond de lui une figure quasi-christique qu’on ne peut s’empêcher de prendre en pitié. Possédant une bonne alchimie avec le reste des personnages, et notamment sa sœur Maggie Gyllenhaal, il est toujours, à l’instar du film, à la frontière entre sa réalité et notre propre perception de sorte qu’il illustre tout le côté cryptique d’un long-métrage qui ne livre pas si facilement ses clés d’interprétation. Un jeu maîtrisé, léché, confirmé ensuite par une splendide carrière.

Lapin démoniaque…
© New Market Films

Du reste, si l’on a humblement tenté d’élucider tout le mystère du long-métrage, d’en tirer tous les secrets, c’est avant tout parce que Donnie Darko est en tous points un film fascinant. Une réussite surprise, un OVNI filmique comme le cinéma ne nous en offre que très rarement, dont l’ampleur thématique démesurée n’a d’égal que l’équilibre de son récit, qui ne rate jamais sa cible et illustre le pouvoir évocateur et symbolique d’un Art décidément au-dessus de tous les autres.
Le magazine Empire l’avait placé en 2011 troisième des 50 plus grands films indépendants de l’histoire, derrière Mean Streets et Reservoir Dogs. Et devant cet exploit filmique, on ne peut qu’adhérer à ce classement, et s’incliner devant Donnie Darko, aussi mystérieux dans sa réussite qu’intellectuellement et émotionnellement parfait, techniquement impeccable et dont le succès tardif fut plus que mérité.


Note

9,5/10


Autant abouti thématiquement qu’émotionnellement, Donnie Darko est le genre de pépite cinématographique dont le cinéma nous gratifie si peu souvent et qui, à l’occasion de sa récente ressortie, mérite le visionnage pour une nouvelle fois admirer l’exploit d’un réalisateur qui aura, en un film, marqué l’histoire du cinéma contemporain.


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