Dans le cadre de cette journée spéciale prévue à l’occasion de son anniversaire, revenons en détails, dans cette nouvelle rétrospective, sur ce qui fait le cinéma du réalisateur le plus bankable d’Hollywood : Christopher Nolan.
Né en 1970, le 30 juillet donc, à Londres, l’auteur britannique de 49 ans s’est, dès le plus jeune âge, pris de passion pour la réalisation. Alors encore en études de lettres, il continue d’expérimenter la caméra 8mm de son père et réalise un premier court métrage : Tarentella, qui sera diffusé à la télévision américaine 9 ans avant son premier film. C’est en effet après deux autres courts tournés en 16mm, que Nolan finalise son premier long-métrage : Following, un thriller en noir et blanc narrant la vie d’un écrivain qui, en manque d’inspiration, va se mettre à suivre des inconnus dans la rue. Avec un budget donc très restreint, Following va introduire le réalisateur sur le devant de la scène des talents les plus prometteurs de sa génération, lui permettant d’enchaîner avec la production de son second long-métrage : Memento. Le film, un nouveau thriller cette fois écrit en collaboration avec son frère Jonathan Nolan, raconte l’histoire d’un homme devenu amnésique suite au meurtre de sa femme, obligé de noter chaque événement afin de pouvoir retrouver l’homme l’ayant assassinée. Deux ans plus tard, en 2002 et après avoir fait ses premiers pas à Hollywood, Nolan revient aux côtés d’un casting de première classe composé notamment d’Al Pacino, de Robin Williams ou encore d’Hilary Swank (rien que cela !) afin de mettre en scène le remake d’un film suédois : Insomnia. Etant, un peu, « l’oublié » de sa filmographie, le film récoltera tout de même pas moins de 117 000 000 de dollars au box office mondiale : un chiffre présageant déjà de ce qu’allait être la suite de sa fructueuse carrière. Fort de ce succès commercial, et après avoir fondé avec sa femme sa propre société de production : Syncopy, Christopher Nolan signe un contrat avec la Warner l’engageant, entre autre, afin de préparer une trilogie jusqu’en 2010 consacrée à nul autre que le chevalier noir : Batman. En 2005, le britannique achève donc son premier grand chantier consacré au super-héro et sort Batman Begins. L’approche est novatrice pour un film de ce genre et colle parfaitement au style du réalisateur. Il enchaînera deux autres épisodes que sont The Dark Knight et The Dark Knight Rises, entrecoupés chacun d’un autre film : Le Prestige et Inception (la production de ce dernier lui ayant été laissé libre par la Warner, suite à l’incroyable succès de The Dark Knight ayant dépassé les 1 milliards de dollars de recettes). Le réalisateur fera son retour dans les salles obscures avec son célèbre Interstellar en 2014, avant de finaliser son dernier projet, une reconstitution de l’évacuation des forces alliées de la France vers le Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale : Dunkerque, en 2017.
Malgré ces chiffres ahurissants, Christopher Nolan est, sans doute, l’auteur polarisant le plus le milieu cinéphile, parfois adulé pour sa capacité à réaliser des blockbusters intelligents aux scénarios originaux, ou alors décrié à cause de son style d’écriture ou du manque de profondeurs de ses personnages. Si je trouve, personnellement, ses qualités très surestimées, il n’est pas question ici de juger du talent du metteur en scène, mais d’analyser ce qui caractérise son oeuvre car, s’il est vrai que la plupart de ses films souffrent de nombreux défauts d’écriture et que son cinéma ne soit pas aussi riche que celui, notamment, de Bong Joon-Ho, précédemment analysé, il reste néanmoins certains éléments sur lesquels il est intéressant de revenir.
La caractérisation
Un des éléments pour lesquels le réalisateur est décrié concerne l’écriture de ses personnages. Si leur manque de caractérisation et de développement est un défaut propre à la quasi-totalité du cinéma de l’auteur, certains éléments sont récurrents dans sa filmographie, le plus grand d’entre-eux étant le couple et le deuil. Si l’on écarte Following et Dunkerque, dans lesquels l’utilisation des personnages ne réside que dans les besoins du scénario, chaque film du réalisateur présente un personnage dont le couple ou le deuil de celui-ci en est un enjeux. Dans, Inception, toute l’intrigue tourne autour de la question du deuil du personnage de Di Caprio et Nolan en fait même la représentation lors des scènes avec Marion Cotillard ou même dans le plan de fin symbolisant le deuil du personnage. Dans Memento, c’est le meurtre de sa femme qui fait office d’élément perturbateur et qui est à l’origine de la pathologie du personnage de Guy Pearce. En outre, dans Interstellar, même si la question du couple du personnage de Matthew McConaughey n’est pas directement évoquée, on le sent affecté par les enjeux de sa vie de famille, notamment par sa relation avec sa fille. La mise en péril de la vie de couple est également un élément central à l’intrigue de The Dark Knight, son amour pour Rachel constituant l’une de ses plus grandes faiblesses. Enfin, la question du couple meurtri n’a jamais été aussi bien exploité dans le cinéma de Nolan que dans le Prestige dont le plot-twist offre une relecture des plus intéressantes. Si ce thème du couple peiné est aussi important dans l’oeuvre de l’auteur, c’est sans doute dû à l’importance de sa propre relation avec sa femme : Emma Thomas, qu’il rencontra à l’université et avec laquelle il fonda sa boîte. Néanmoins, à part ce thème là et un autre sur lequel nous reviendrons par la suite, le cinéma de Nolan reste assez pauvre et le manque de développement de ses personnages empêche de leur attribuer des enjeux personnels singuliers porteurs de thèmes profonds. Ce manque de caractérisation peut essentiellement être expliqué par une chose : la passion du réalisateur pour le récit. En effet, lors de l’écriture d’une oeuvre, la préoccupation de Nolan est davantage de parvenir à construire une histoire se tenant le long d’un film, souvent au dépend de ses personnages. Nous abordons donc là un autre point essentiel à la compréhension de l’auteur.
La figure de style
Une autre chose définissant donc le cinéma et, en l’occurrence, le « non-style » de Nolan étant son pragmatisme à la réalisation. Que l’on soit clair, Christopher Nolan est un technicien hors-pair : dès ses premiers pas au cinéma, il a offert à ses films une grande maîtrise technique qui a atteint son apogée au cours de la réalisation de Dunkerque, certainement son film le plus abouti techniquement. Cependant, si la réalisation du britannique ne dénote pas de ce point de vue, c’est à propos de la mise en scène qu’il fait débat. Nolan n’est pas un metteur en scène, à proprement parlé. Son style consiste assez grossièrement à montrer ce qu’il y a à montrer, malgré un travail du cadre minutieux, rejoignant le point précédemment abordé. La mise en scène de l’auteur n’est pas très inspirée, très classique, voire même pragmatique. Ici, pas de mouvements de caméras ingénieux comme un Spielberg, de plans zénithaux symboliques à la Scorsese ou encore de plans séquences millimétrés comme un Cuaron, chaque figure de style évoquée représentant assez bien l’univers stylistique de ces différents auteurs, la mise en scène de Nolan est, en somme, assez simple, voire simpliste et il est difficile de discerner la marque de son auteur derrière, excepté sur un point amorçant notre dernière partie. En effet, s’il y a un élément qui pourrait être rattaché à la mise en scène du monsieur, c’est son rapport au réalisme. De sa manie à conserver le format pellicule, plus encombrant, moins précis, mais offrant toute fois, grâce au 70mm et à l’iMax, un cadre plus imposant, à son obsession à utiliser les effets pratiques à une ère où le numérique offre un panel de possibilités bien plus large, le cinéma de Christopher Nolan bénéficie d’un côté palpable, très réaliste, permettant à ses acteurs d’être mieux dirigés dans un ensemble de décors réels pour la plupart. L’insert (figure de style propre au cinéma d’enquête et thriller désignant un gros plan sur un objet, isolé dans le cadre) est également une marque de fabrique de l’auteur en lien avec son obsession pour le réel. Dans ses films, l’insert est utilisé afin de marquer la limite entre ce qui est réel ou non, dans le but de manipuler son audience, comme dans le Prestige ou Inception, entre autre. Nous en arrivons donc à notre troisième et dernier point nécessaire pour comprendre ce qui fait l’essence du cinéma de Nolan.
Le réel
S’il y a bien une chose, donc, qui obsède Nolan dans chacun de ses films, c’est le rapport qu’il entretient avec le réel. Tant sur la forme, étant capable de louer de réels destroyer à la marine française afin de réaliser de simple plans d’ensemble, que sur le fond, la question de la réalité occupe une place centrale dans le cinéma de l’auteur.
Dans Insomnia, le but de l’enquêteur interprété par Al Pacino est de déceler la vérité. Ses insomnies altèrent ses sens ainsi que sa perception de la réalité, l’empêchant alors d’atteindre son objectif et de résoudre l’enquête. Dans Inception, tout l’enjeu du film est de savoir dans quelle réalité le personnage de Di Caprio se trouve. Une question avec laquelle Nolan s’est amusé afin de manipuler son audience en focalisant son attention sur la fameuse toupie, n’étant au final d’aucune utilité pour comprendre s’il s’agissait d’un rêve ou non. Dans The Dark Knight, le personnage de épouvantail utilise son gaz afin de distordre la réalité et d’altérer les sens du chevalier noir. En outre, la peur dans la trilogie du Batman de Nolan, à travers la phobie du super-héro pour les chauve-souris, est utilisée comme un élément nous faisant perdre pieds dans la réalité, un vice que nous devons donc combattre selon le réalisateur. Enfin, la question du réel est au centre du Prestige, le seul réel chef d’oeuvre de l’auteur outre le Dark Knight, selon moi, étant plus qu’un film : un réel tour de magie, une déclaration d’amour au cinéma. Le Prestige narre la compétition entre deux magicien londonien du début du 20ème siècle, souhaitant toujours avoir un tour d’avance sur l’autre et étant prêt à tout pour prendre l’ascendant. Le film s’articule donc autour de cette rivalité, très bien exploitée, ainsi qu’autour d’un tour d’Alfred Borden, interprété par Christian Bale, en particulier, dont le personnage de Hugh Jackman ne parviendra qu’à la toute fin à en saisir la clé, la solution du tour résident dans un élément remettant totalement en question notre perception du film. Si, dans le Prestige, la narration discontinue, propre au réalisateur, y est exacerbée, elle est nécessaire afin que le tour qu’entreprend l’auteur sur le spectateur puisse fonctionner. Le plot-twist offre un tout nouveau postulat au film, nous faisant comprendre l’importance des nombreux détails présents dans sa mise en scène et dans les dialogues. Le set-up/pay off fonctionne dans ce cas, Le Prestige, étant un film tenant un discours sur le cinéma et sa faculté à manipuler le public, et le rapport y étant développé entre le cinéma et la magie, tous deux en 3 actes, concluant un pacte avec leur audience… offre une dimension toute particulière à cette question du réel, essentielle dans le cinéma de Nolan.
Le cinéma de Christopher Nolan, bien que loin d’être l’un des plus riches visuellement et thématiquement, offre néanmoins quelques questions qu’il est intéressant d’explorer. Si la plupart de ses films souffrent du manque de caractérisation de leurs personnages, faisant uniquement office de fonction au récit, n’existant pas en dehors et limitant, de fait, notre implication émotionnelle, le désamour de beaucoup de cinéphiles à son égard est, sans doute, le fruit de son succès assez démesuré, la plupart de ses films restant relativement intéressant de part, entre autre, l’originalité de leurs récits. Christopher Nolan est un auteur dont la maîtrise fait place à un pragmatisme exacerbé dans sa mise en scène et son traitement des personnages. Il est néanmoins un réalisateur parvenant à imposer sa vision sur un projet, aux dépends des majors et des producteurs, et il semble disposer d’une grande influence dans le circuit de production hollywoodien. Enfin, le rapport qu’il entretient dans ses films avec la question du réel reste, de loin, l’approche thématique la plus intéressante de son oeuvre et, malgré ma mesure quant à son travail, j’ai toutefois hâte de découvrir de quoi il sera question dans son prochain long-métrage : Tenet, prévu pour 2020.
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princecranoir
L’analyse est intéressante, mais ne manque-t-il pas une dimension développée dans beaucoup de ses films à savoir son rapport au temps ? Son admiration pour le Kubrick de 2001 a très certainement accouché chez lui d’une envie de bousculer la structure narrative classique, en y intégrant la notion de temps perçu et de temps vécu, prenant en considération dans la forme même des films la notion de relativité, pas simplement sous l’angle du rapport au réel. Alors bien sûr, on peut considérer que la caractérisation y est secondaire (ce dont je ne suis pas convaincu quand je vois Mémento, Batman begins ou Interstellar), mais cette faculté à bousculer les « règles de l’art » en usant de moyens financiers énormes et en parvenant toujours à intéresser un large public (suffisamment en tout cas pour poursuivre son projet sans contrainte) est assez remarquable et singulière dans le paysage cinématographie actuel. Me semble-t-il.
Hugo F
Oui, c’est une idée intéressante, je n’y avais pas réellement pensé. Ensuite, outre les Batman, les personnages n’ont rien au delà de ce qu’ils doivent au récit, dans Memento et Interstellar également : rien d’autre ne les définit que ce qui est nécessaire au déroulement de l’histoire. Néanmoins, sur le dernier point je suis en accord et c’est pour ça qu’il est, selon moi, un cinéaste assez à part dont je respecte, voire apprécie généralement le travail, mais dont je cible les limites.