? Réalisateur : Drew Goddard (The Good Place)
? Casting : Jeff Bridges (The Big Lebowski), Jon Hamm (Baby Driver), Dakota Johnson (Fifty Shades of Grey), Chris Hemsworth (Men in Black : International), Lewis Pullman (Catch-22), Cynthia Erivo (Widows), Cailee Spaeny (On the Basis of Sex)
? Genre : Drame / Thriller
? Sortie : 12 octobre 2018 (États-Unis), 17 novembre 2018 (France)
Synopsis : Janvier 1969. Alors que Richard Nixon entame son mandat comme 37e président des États-Unis, une nouvelle décennie se profile. À l’hôtel l’El Royale, un établissement autrefois luxueux désormais aussi fatigué que ses clients, sept âmes aussi perdues les unes que les autres débarquent.
This is not a place for a priest, Father. You shouldn’t be here.
Miles Miler
? SPOILER ALERT ?
1969 : Sept individus, sept histoires, sept secrets, un point commun : un sale quart d’heure à l’hôtel. Bad Times at the El Royale reprend les codes d’un huis clos haletant tout en y incorporant des flash backs et des scènes extérieures à la trame principale. Un scénario que l’on pourrait penser simple au premier abord mais qui dissimule habilement des indices et des arcs narratifs supplémentaires. Ainsi, il est important d’observer, d’écouter et d’analyser l’ensemble du film, et ce dès le début. En effet, un premier indice sur le nombre de personnes impliquées est subtilement mis en scène : père Flynn sonne sept fois sur la sonnette de comptoir : Darlene Sweet, père Daniel Flynn, Laramie Seymour Sullivan, Miles Miller, Emily Summerspring, Rosie Summerspring et Billy Lee.
Dans ce film, il est question de découvrir les individus, chambre après chambre, acte après acte, reprenant la mécanique des pièces de théâtre couplée à l’esthétique des films muets grâce à ces « cartons » indiquant les chambres à chaque changement d’arc narratif. Cela aurait pu s’arrêter là, laissant le spectateur découvrir seul les secrets des clients mais au El Royale, tout le monde peut/doit voir.
Ainsi la mécanique acte par acte, personnage après personnage perd de sa puissance au profit de flash-back et de « pendant ce temps », connectant les clients et leurs histoires entre eux. Ce sont alors les différents points de vue des personnages qui rythment le film ne faisant plus qu’un seul et même arc narratif à l’arrivée de Billy Lee, d’ailleurs qui est-il vraiment ?
“Tonight we get to be our own gods.”
Billy Lee
Billy Lee : Manson family ?
Il n’est pas très compliqué de faire le rapprochement entre Billy Lee et Charles Manson. En effet, Billy Lee est le dirigeant d’une secte hippie, prônant la nature, la paix, l’harmonie, n’ayant aucun Dieu, aucune croyance venant de la société et vivant reclus du monde extérieur. Il est certain qu’il détient de l’emprise sur ses disciples, maitre dans la manipulation. Il est donc difficile de ne pas voir le parallèle avec Charles Manson et sa Manson family d’autant plus lorsqu’on apprend pour le meurtre du pédiatre. Les vies de Billy Lee et Charles Manson sont intimement similaires, jusque dans l’époque de création de leur secte : la fin des 60s.
les 60s et toujours les 60s
L’ambiance générale du film est un écrin purement fin 60s. Les visuels immergent le spectateur en plein dans les années 60 grâce à ses couleurs pops, ses néons et son réalisme sans faille. La puissance de Bad Times at the El Royale émane de son esthétisme marquant et fidèle à une époque beaucoup représentée, sans pour autant aller dans les clichés mais reflétant une société colorée, libérée mais également en déclin. L’ensemble des décors et des effets spéciaux ont été réalisés en studio, ainsi l’hôtel au complet, chambres, parking, hall principal, intérieur et extérieur ont été construits de toute pièce et la réalisation n’a utilisé aucun effet post-production pour reconstruire le El Royale : une prouesse et un travail colossale à souligner.
Cette immersion dans les 60s se fait également grâce à la musique, très présente dans ce film. En effet, Bad Times at the El Royale offre une playlist complète tout droit sortie des années 50-60. L’intelligence de sa présence réside également dans l’alternance entre son utilisation intradiégétique (les personnages l’entendent) et son utilisation extradiégétique (les personnages ne l’entendent pas). Ainsi, cela crée une tout autre dynamique plongeant le spectateur directement dans le film puisqu’il entend ce que les personnages entendent ou au contraire, le mettant légèrement en retrait, dans une bulle 60s à part, permettant de garder la tension d’une scène pour les personnages mais tout en continuant d’immerger le spectateur dans un univers rétro.
This place used to be hustlin’ and bustlin’. Old Dean Martin even sang a song about it once.
Laramie Seymour Sullivan
pourquoi rosie a-t-elle tué le pédiatre ?
Rosie Summerspring est une adolescente qui s’est enfuie de chez elle, arrivant en Californie seule. Son père alcoolique et violent, ne lui a pas offert la figure paternelle dont elle avait besoin et qu’elle a trouvé de manière assez malsaine chez Billy Lee. En Californie, Rosie était à la rue, triste et vulnérable : la cible parfaite pour Billy qui l’a entrainée dans sa secte, la manipulant facilement. Mais quel est le lien entre Rosie et le pédiatre, retrouvé poignardé avec sa femme ? Il suffit de se pencher sur la vie de ce médecin pour comprendre.
Le Dr. Woodbury Laurence était un pédiatre engagé, s’occupant des enfants des rues et membre de plusieurs associations caritatives. En d’autres termes, Dr. Laurence retirait des cibles potentielles des mains de Billy Lee : les jeunes vulnérables. Rosie, véritable marionnette de Billy Lee, comme elle le dit elle-même, elle lui appartient, n’a trouvé aucun mal à se motiver pour assassiner ce pédiatre, qui allait à l’encontre des volontés de Billy Lee. Pourquoi poignarder sa femme ? Elle se trouvait dans la maison au moment du meurtre, on peut d’ailleurs apercevoir sa silhouette par la fenêtre. Elle n’est, sans doute, qu’un dommage collatéral, un témoin à éliminer.
qui se trouve sur la bobine de film ?
C’est la question auquel le film ne répond pas, le seul secret que Bad Times At The El Royale ne dévoile pas ouvertement. Mais grâce à plusieurs indices, il possible de connaitre l’identité de ce mystérieux personnage dont la bobine peut valoir des millions.
Le contexte de la prise de vue de la pellicule est l’élément central qui permet de comprendre qui se cache derrière tout ce mystère. On apprend grâce à Miles Miller, qu’elle a été enregistrée un an avant les faits actuels, soit en 1968, lors d’une grande fête dans l’hôtel. On sait également grâce à Rosie qui a brièvement regardé la pellicule, qu’il s’agit d’un homme politique connu mais mort. À partir de ces éléments, il est presque évident que la personne filmée à son insu n’est autre que Martin Luther King Jr. (1929 – 1968).
Les autres indices laissaient tout au long du film ne font qu’accroitre cette idée, même si le réalisateur s’est amusé à glisser quelques fausses pistes. En effet, la présence de Marylin Monroe sur le mur de photos semblerait être un indice majeur nous indiquant qu’il s’agirait de John Fitzgerald Kennedy. Or, il a été assassiné en 1963, bien avant la fête dont parle Miles.
Mais c’est bel et bien le personnage de Laramie Seymour Sullivan qui confirme l’identité de ce mystérieux inconnu. « Vendeur d’aspirateur » ou plutôt inspecteur en civile, sa présence au El Royale est étroitement liée avec l’enregistrement. En effet, sa mission était d’enlever des micros placés dans la suite nuptiale par son service, quelques années auparavant et c’est en les retirant qu’il découvre ceux de l’hôtel, comprenant rapidement ce qu’il se trame au El Royale. Ainsi, on comprend que cet inspecteur et les dirigeants du El Royale surveillaient la même personne.
C’est en se penchant sur la vie de MLK Jr. que tout prend un sens. Le FBI avait placé des micros dans les chambres d’hôtel que Martin Luther King Jr. utilisait lors de ses déplacements pendant sa campagne. Il existe d’ailleurs de nombreux dossiers au FBI sur les relations sexuelles de ce pasteur, rappelant la nature sexuelle de l’enregistrement du El Royale.
Ainsi, grâce à la datation donnée par Miles, la profession de la personne, donnée par Rosie, la fonction et la présence de Laramie Seymour Sullivan, on peut affirmer avec certitude que l’inconnu sur la bobine de film est Martin Luther King Jr.
You have the option to stay either in California or Nevada.
Miles Miller
LE CAS MILES MILLER : PERSONNAGE DISCRET ET MYSTÉRIEUX
Miles Miller est porté à l’écran par Lewis Pullman, un acteur peu connu du grand public qui offre dans Bad Times At The El Royale une performance… royale. Son jeu est très simple et direct et ses expressions faciales parlent avant lui. Il arrive à effacer son côté « gueule d’ange » au profit d’une âme torturée et honteuse. C’est l’une des belles révélations de ce film, joint par Cynthia Erivo.
iL EST L’IDENTITÉ DU EL ROYALE
Miles Miller est le maître d’hôtel, le groom, l’homme de ménage… En bref, le seul employé du El Royale. Il incarne à lui tout seul la complexité de cet hôtel au double visage. Véritable timide dans l’âme, en manque de confiance en lui et d’autorité, il n’en reste pas moins intéressant. Dès les premières minutes de son apparition, il plante le décor de cet hôtel désertique. On pourrait croire que l’établissement est simplement en faillite mais lorsque Miles arrive derrière son comptoir, le malaise s’installe, créant une atmosphère tendue et bizarre, qui ne fera que s’accroître. Elle est notamment renforcée lorsque Miles commence son discours désuet sur l’hôtel, essayant de s’accrocher aux bons aspects de son établissement sans réellement y croire.
Miles Miller parait alors se raccrocher à une époque propice, se retenant au passé et ne vivant clairement plus dans le présent. Il semble absent, et décontenancé, à l’agonie tout comme le El Royale. C’est au travers de ce personnage que les secrets du El Royale se dévoilent, plus ou moins subtilement, plus ou moins malgré lui mais Miles Miller est bel et bien l’âme de l’hôtel : il raconte son histoire, connaît ses moindres aspects. Il fait partie des meubles, du décor, il est ancré dans cet hôtel. Ainsi, pour mieux comprendre le El Royale, il suffit de mieux comprendre Miles.
Cet établissement a un double visage, comme évoqué précédemment, une double facette qu’on retrouve également chez Miles. En effet, le El Royale est présenté comme un hôtel désuet, figé dans ses anciennes glorieuses années, totalement désertique et hors du temps. Synonyme de faillite et de vide ce sont des traits qu’on retrouve directement chez Miles. Ce personnage semble ailleurs, décroché de la réalité et du présent. Il en ressort vide, bloqué dans le passé et névrosé, un sentiment renforcé lorsqu’on découvre qu’il se drogue : il est détruit, solitaire, dépressif. Tout comme le El Royale, Miles Miller est à l’abandon total.
L’autre visage similaire à Miles et au El Royale est beaucoup plus sombre. Ce sont aussi des secrets qu’il est préférable pour les deux de cacher, ce que Miles tente de faire, jusqu’à ne plus assumer. Ce maitre d’hôtel n’est alors qu’un pion, autant pour les dirigeants du El Royale que pour l’armée américaine. En effet, le secret bien caché du El Royale n’est autre que l’enregistrement illicite des clients, faisant de Miles le complice d’un système qu’il n’a pas choisi. Cette part d’ombre se trouve également chez Miles Miller lui-même, celle qu’il veut confesser au Père Flynn. Miles Miller a fait la guerre du Vietnam. Cette idée est représentée lorsqu’on le voit dans son flash-back en tireur de précision dans un champ de bataille en pleine jungle. Il n’était encore une fois qu’un pion, dirigé par une autorité et on s’en doute, loin de faire ce qu’il aurait choisi.
Father Flynn, I have sinned and I repent!
Miles Miller
Soldat du Vietnam : on le sait depuis le début
Le secret qui tourmente Miles au point d’avoir peur pour son âme et de demander le pardon auprès du Père Flynn n’est révélé ouvertement qu’à la fin du film, lorsqu’il se remémore ses états de service au sein de l’armée américaine. Ça, c’est ce qu’on veut nous faire croire. En réalité, un indice sur le passé de Miles Miller nous est donné dès les premières minutes : le poste de télévision. Le téléviseur s’allume sur un discours de Richard M. Nixon, président des États-Unis d’Amérique.
Cette conférence de presse n’aurait en réalité jamais dû se retrouver dans ce film, se déroulant en janvier 1969, puisqu’il n’a eu lieu qu’en juillet 1969. Outre cette erreur, c’est un clin d’œil intelligent que Drew Goddard offre au spectateur puisque le sujet de cette intervention télévisée n’était autre que le retrait progressif des troupes américaines en guerre au Vietnam. Ainsi, le réalisateur laisse un indice important sur le secret de Miles Miller.
Mais Drew Goddard ne s’est pas arrêté à un seul indice au sujet de Miles. En réalité, sans même voir le film, on peut comprendre quel rôle ce majordome pourrait avoir. Comme évoqué plus haut dans cette analyse, Bad Times At The El Royale s’inspire du théâtre et de ses représentations en actes mais ce n’est pas la seule inspiration qu’il tire de l’art dramatique et plus précisément du théâtre antique. En effet, dans la Néa latine (un type de comédie théâtrale), le « miles » désignait un personnage bien précis : le soldat fanfaron. Ainsi, le nom de Miles Miller a été choisi directement à partir de son passé et de son secret.
Alright, yeah, I think it’s some kind of pervert hotel.
Father Flynn
Note
8,5/10
Dans Bad Times At The El Royale, Drew Goddard délivre une vision de l’Amérique fin 60s en plein déclin au travers de personnages désespérés et dans la fin d’un cycle. Le mystère est le moteur de la trame narrative, mise en valeur par des décors splendides et une playlist immersive. Drew Goddard signe avec Bad Times At The El Royale son premier grand film.