Le nouveau film de Léonor Serraille a atterri le 10 octobre dernier sur la chaîne de télévision Arte, après sa diffusion à la dernière Berlinale, en compétition pour l’Ours d’Or. Après Un petit frère en 2022, la réalisatrice revient avec une œuvre toujours aussi empreinte de sensibilité et portée par un grand acteur.
Celui qui apporte joie
Connaissez-vous le peintre français Odilon Redon ? Né en 1840, cet artiste est réputé pour ses œuvres à l’atmosphère essentiellement sombre. Des œuvres empreintes de tristesse, de mélancolie et parfois peuplées de créatures étranges, effrayantes. Puis vint la naissance de son fils Arï en 1889. Odilon devenu père a vécu la naissance de ce fils comme une joie immense et a réalisé plusieurs portraits de lui enfant. Des portraits empreints de la mélancolie habituelle du peintre. Mais désormais, semble s’y mêler comme de la douceur, de l’apaisement…
Cette histoire, c’est celle à l’origine d’Ari. Tout comme Arï Redon a apporté bonheur à Odilon, Ari a apporté le bonheur à ses parents. C’est là ce que lui raconte sa mère durant l’introduction du film, alors que nous sommes au plus proche des visages de ces deux personnages. De leurs yeux, de leurs mains… Se crée une sensualité profondément douce. Un cocon où l’on se reconnecte aux sens de la vue, du toucher. De l’ouïe également, grâce à une belle et délicate partition acoustique qui nous accompagnera tout au long du film.
Le bonheur, Ari devenu adulte arrive à le retrouver nulle part. Que ce soit en lui-même ou autour de lui. Devenu professeur en maternelle, il s’effondre un jour devant ses élèves. Placé en arrêt de travail et chassé par son père qui a honte de ce « nouvel » échec, le jeune homme au bord de la crise de nerfs part errer dans les rues de Lille et fait quelques retrouvailles…
Au gré de cette errance vont se mêler des souvenirs de sa douce époque de professeur…

La société, l'humanité à fleur de peau
Nous pouvons rattacher Ari à un autre film très récent, ce film étant l’excellent Nino de Pauline Loquès. Les deux œuvres ont en commun de mettre en scène deux hommes mélancoliques et sensibles. Errants dans la ville, ils sont en quête de lien humain alors qu’ils doivent affronter un vacillement de leurs repères personnels. Si Nino montrait cette perte de repères par l’annonce d’une maladie grave, Ari la montre par un homme qui ne suit plus la course de notre monde et souhaite maintenir une présence plus pure à ce même monde, plus enfantine.
Léonor Serraille se veut dénonciatrice d’une société productiviste qui stigmatise la sensibilité, l’introversion au profit de l’efficacité. Lors de la classe, soumis au regard d’une inspectrice, cette dernière répète « lisez votre texte » à un Ari en pleurs et en manque de moyens face à ses élèves dissipés… avant l’effondrement. L’abandon. Le signe qu’il faut arrêter et se recentrer sur soi. Retourner à quelque chose de plus intime.
C’est là tout ce que cherche à faire Ari auprès de toutes ces personnes qu’il revoit au cours de son errance ; il les sonde afin d’en extraire une vérité. La vérité de chacun. De son père, de Clara, de Ryad ou de Jonas.
Sonder est ce que fait également Serraille. Elle mise sur l’utilisation de gros plans avec une faible profondeur de champ. Symbolisant aussi bien la perte de repères inconfortable que la douceur, dans les deux cas, un même objectif : créer une bulle. Une bulle qui permet, au-delà de la société dans laquelle il évolue, de sonder l’humain. Son intériorité.
La performance des acteurs, la photographie réussissent de concert à créer un monde qui résonne comme âpre et dans lequel essaye de s’insérer Ari. Le tout est servi par un montage typique de Léonor Serraille. Un montage dans lequel on ne conserve que l’essentiel aux moyens de nombreux cuts. Le montage n’hésite donc pas à être rapide, concis, limite fragmenté… à l’image de notre monde qui tourne vite. Non sans laisser quelques plans durer pour donner lieu à de beaux moments touchants…

Andranic Manet, une étoile alourdie
Les interprètes sont issus du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Dans l’ensemble, ils livrent une belle performance (mention spéciale au m’as-tu-vu et détestable à souhait Théo Delezenne, alias Jonas), mais il y en a un qui sort du lot. Celui sur qui repose en grand partie la beauté du film : Andranic Manet.
Ce dernier est tout simplement rayonnant. Ari est un personnage fort, toujours sur le fil. L’interprétation qu’en fait Manet donne encore plus de force et de crédibilité à cet hypersensible au bord du craquage et en quête d’apaisement.
Son jeu, sa posture, ses expressions… il dégage de lui comme un mélange de dépression de jeune actif, de fatigue de vieil homme et de sensibilité enfantine. Ari cherche à préserver cette part de sensibilité qu’il souhaite transmettre aux enfants, l’avenir. Notamment envers un en particulier, qui vient donner au film comme une touche d’optimisme. Tant qu’il y a de la délicatesse à transmettre à cet enfant-là, il y a de l’espoir.
Manet insuffle au film une douceur à fleur de peau. Ari est une œuvre à fleur de peau sur la sensibilité masculine que nous vous invitons à découvrir.
Le film est actuellement disponible sur le site d’ARTE jusqu’au 07 janvier 2026.
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