Basée sur l’univers du jeu vidéo League of Legends, la série Arcane revient sur le conflit entre deux parties d’une même cité, à travers l’histoire de deux sœurs.
Un rêve devenu réalité
Que se passe-t-il lorsque l’un des jeux vidéo les plus populaires, avec un univers très riche bâti pendant dix ans, s’associe avec un petit studio d’animation français bourré de talent ? Il en sort Arcane. Une série qui a chamboulé le monde de l’animation et conquis la majorité des spectateurs. Sorti en 2009, League of Legends a depuis créé un univers étendu comprenant des cinématiques, des jeux vidéo indépendants, des romans et des BD. Riot Games (l’entreprise derrière League of Legends) n’a eu de cesse de constituer une trame narrative, et de raconter des histoires à travers les personnages du jeu. Ils ont même annoncé l’arrivée d’un MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) qui se passera dans cet univers, indiquant leur désir de toujours plus développer leurs récits.
Alors, lorsque le projet Arcane a été dévoilé, les fans n’ont pu cacher leur joie. En effet, avoir un film ou une série était quelque chose de très demandé par les joueurs et passionnés de lore. Mais, le revers de la médaille était que ces derniers avaient d’énormes attentes, et la déception pouvait être très douloureuse. Un détail qui a un peu rassuré tout le monde a été l’annonce du studio d’animation derrière, Fortiche Production. Cette équipe de français a déjà collaboré avec Riot Games dans le passé en produisant plusieurs clips musicaux comme Get Jinxed, Warriors ou encore Rise. Elle est aussi derrière la courte série d’animation Rocket & Groot. De quoi attiser encore plus la curiosité du public.
Une histoire riche
En 2021 sort la première saison d’Arcane, et c’est un raz-de-marée. Les fans sont à la fois surpris et conquis. Beaucoup sont étonnés de voir le récit choisi pour cette première série. En effet, l’œuvre retrace la vie de deux personnages qui ne font pas partie des plus populaires, Violet et Powder (Vi et Jinx dans le jeu). Ces deux sœurs sont nées et ont grandi à Zaun, une sorte de ghetto plutôt pauvre, qui se situe dans les tréfonds de Piltover. Cette ville de la surface est remplie d’inventeurs, et dirigée par de riches familles. C’est sur cette toile de fond de lutte des classes que la série va raconter la séparation de ces deux sœurs, tant physique qu’idéologique. En parallèle de ça, Arcane propose une grande quantité de personnages avec leurs arcs narratifs propres. L’un particulièrement important met en scène Jayce et Viktor, deux scientifiques de génie, qui vont tenter de percer les secrets de la magie grâce à la technologie.
En effet, dans le monde de Runeterra (le nom donné à l’univers créé par Riot Games), la magie y est très présente, mais requiert des dons innés pour l’utiliser. Dans certaines régions du monde, les mages sont mal vus et redoutés. Les origines de ces pouvoirs sont mal connues, même pour les plus érudits. Certains gouvernements ont décidé de les accepter, d’autres de les utiliser, ou bien de les chasser. Une chose est cependant sûre, tous reconnaissent la grande puissance de ces êtres aux pouvoirs démentiels, et tentent de les égaler par tous les moyens possibles. C’est donc avec l’ambition de rendre la magie accessible à tous que Viktor et Jayce commencent des recherches sur la technologie hextech, et testent ses limites.
Un programme très dense et qui peut faire peur aux non-initiés de l’univers. Mais rassurez-vous, nul besoin d’avoir joué au jeu ou de connaître son lore pour regarder cette série. Les créateurs ont fait en sorte que chaque détail clé de l’intrigue soit expliqué. Vous passerez juste à côté de quelques easter eggs, mais rien de bien alarmant. La saison 1 avait d’ailleurs conquis énormément de spectateurs extérieurs au jeu, faisant en même temps grimper le nombre de joueurs lors de sa sortie.
Marx dans la fantasy
Arcane s’attèle donc à nous narrer le récit déchirant d’une famille qui démarre par un petit fait divers, mais qui déclenche une réaction en chaîne. Cette simple histoire attisera les flammes de la révolte dans Zaun, et la méfiance de Piltover envers les habitants des bas-fonds. La construction géographique de ces deux cités représente bien le fonctionnement de la société. Pendant que les riches bourgeois sont à la surface, sous le soleil, respirant l’air pur, les plus démunis n’ont droit qu’à des lumières artificielles et aux résidus de la pollution et des déchets des “surfaciens”. Une allégorie qui peut sembler un peu simpliste et évidente, il est vrai. Mais a-t-on vraiment besoin de subtilité pour raconter quelque chose d’intéressant ? Cette mécanique de verticalité, elle se retrouve d’ailleurs dans le film Parasite de Bong Joon-ho, sorti en 2019. Dans ce long-métrage, nous avions aussi la famille aisée au sommet de la ville, baignée sous la chaleur solaire, tandis que la modeste était contrainte de rester sous terre.
Deux œuvres qui se rapprochent dans leurs thématiques. Dedans, l’histoire suit la tentative de ces êtres malchanceux de s’élever tant socialement que géographiquement. Là où Parasite ne suit qu’une seule méthode (celle passant par la ruse), Arcane propose plusieurs visions de ce problème. Il y a ceux qui tenteront d’y parvenir par la reconnaissance de leurs talents et la réalisation de leurs rêves. D’autres passeront par la violence et le désir de renverser le pouvoir établi en provoquant une révolution. Et certains choisiront le chemin de l’union pour un objectif (ou plutôt un ennemi) commun.
L’amour domine tout
Mais, Arcane brille par l’exploration de ces thématiques passionnantes sans pour autant perdre son récit originel autour de Vi et Jinx. Quand bien même ses sujets politiques sont importants, Arcane est une histoire de conflit sororal. Une histoire illustrant jusqu’où les individus sont capables d’aller pour protéger leur famille, leurs amis, et plus globalement, leur communauté. Une histoire qui permet de très facilement s’attacher aux personnages, et qui donne des enjeux simples mais intéressants. Vi cherche d’un côté à sauver sa sœur, pendant que Jinx se perd dans sa folie. Une histoire qui peut sembler basique, mais qui regorge de surprises dans son scénario, rendant chaque scène et fin d’épisode chargées en émotion.
En bref, Arcane parle avant tout d’amour, qu’il soit amical, familial ou passionnel. Des choses que l’on est prêt à faire pour lui. De comment la haine peut nous aveugler et nous faire oublier ce sentiment si fort. Des errances qu’il peut causer et des erreurs que l’on peut faire pour ou à cause de lui. Des changements qui surviennent dans nos vies et des choix que l’on prend grâce à lui. Mais surtout à quel point il influence toutes les décisions prises dans le monde. Il est le moteur de tout changement, et peut impacter des cités et population toute entière.
Il est aussi important de souligner la performance des comédiennes et comédiens de doublage sans lesquels les spectateurs n’auraient pas ressenti autant d’émotion. Un casting original impressionnant avec notamment Hailee Steinfeld pour Vi, qui est apparue chez Marvel en jouant Kate Bishop. Jinx, quant à elle, est doublée par Ella Purnell, qui s’est récemment illustrée en interprétant le personnage principal de la série Fallout. Mais qui a aussi pu être découverte dans le film Miss Peregrine et les enfants particuliers, ou encore dans la série Yellowjackets. Pour la version française, ces deux rôles sont respectivement campés par Alice Taurand (VF d’Aubrey Plaza dans Parks and Recreation ou Améthyste dans Steven Universe) et Adeline Chetail (Amalia dans Wakfu). Le reste des actrices et acteurs propose un travail de doublage impressionnant, faisant vivre chaque scène intensément.
Rien n’est manichéen
Un des enjeux importants de la première saison, mais qui se poursuit aussi dans la seconde, est le désir par différents personnages d’unir les habitants de Zaun pour survivre. En effet, dans les bas-fonds, ce sont les barons de la chimie, des mafieux à la tête d’importants gangs, qui dominent et font les lois. Tous cherchent à prendre le dessus sur les autres, ce qui a pour conséquence de diviser les habitants. À plusieurs reprises, des individus ont tenté d’unir ces groupes afin de se rebeller contre l’ordre établi. La seule différence entre eux était leur méthode : la révolution violente ou la collaboration. Les auteurs ont cependant décidé de ne juger aucune des deux voies, de les présenter de manière égale en illustrant leurs justifications, bénéfices et inconvénients. Ils n’abordent pas les problèmes avec un regard moralisateur et évitent de tomber dans les pièges du manichéisme.
C’est dans cette même dynamique que l’histoire entre Viktor et Jayce se construit. Chacun a ses failles, ses erreurs, mais aussi ses arcs de repentance. Chaque trame narrative se complète et apporte des éléments. C’est ainsi qu’en partant d’une simple histoire entre deux sœurs, la série finit sur des questions métaphysiques. Elle va interroger le spectateur sur la nature humaine, la recherche de la perfection chez les êtres, et la quête de l’immortalité. Par ses personnages brisés tant physiquement que psychologiquement, Arcane aborde énormément de points de vue différents. Cela donne ainsi une série extrêmement inclusive, comportant des personnages de tout genre, avec différentes sexualités, et possédant parfois des handicaps. Montrant ainsi qu’il est parfaitement possible d’avoir un personnage en situation de handicap dans une œuvre fantastique.
Pas mal ? C’est français
Toutes ces thématiques sont donc mises en scène par Fortiche Production proposant une animation d’une qualité rarement vue. Le studio a adopté un style qui rappelle des effets de peinture. La série a tout de suite été saluée pour ses qualités esthétiques qui sont dues au temps de travail. La saison 1 a été faite en 5 ans, tandis que la seconde en 2 ans. Une différence expliquée par les artistes qui ont révélé avoir énormément appris durant la production de la première partie. Ils ont aussi donné quelques informations sur leur processus de création.
Afin d’animer le plus fidèlement possible le mouvement des personnages, les animateurs se mettaient en scène, filmant ainsi des actions, pour ensuite les décalquer. Au final, il fallait parfois une journée entière pour créer 0,5 seconde d’un épisode. Une animation qui est complétée par une bande originale créée spécifiquement pour la série. L’influence des clips musicaux se fait ressentir dans nombre de séquences qui servent au propos narratif et arrivent à transmettre toutes sortes d’émotions en quelques minutes.
Que faut-il attendre de la suite ? Les créateurs ont déjà annoncé que la saison 2 était la fin de l’histoire de Vi, Jinx, et Piltover. Cependant, d’autres histoires vont arriver, et certaines scènes du dernier épisode teasent déjà les prochaines séries. Notamment une faisant directement référence à Swain, un général militaire d’une autre région de Runeterra, Noxus. L’objectif de Riot Games est de continuer à étendre son univers, et explorer le plus d’arcs narratifs possibles. Une chose est sûre, si la qualité d’animation et d’écriture reste aussi haute, ces prochaines œuvres seront à surveiller de très près.
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