Après Tangerine, The Florida Project ou encore Red Rocket, Sean Baker revient avec Anora, un film détonnant, un film puissant à la trajectoire surprenante.
Il était une fois Anora, jeune strip-teaseuse. Elle rencontre Ivan, le fils d’un oligarque russe. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ? Pas tout à fait.
Cendrillon, pour ses vingt ans
Auréolé d’une Palme d’or, Anora se construit comme un conte moderne empruntant les codes du drame, du thriller, et finalement de la comédie. [Attention spoilers]
Dans sa vingtaine, Anora (Mikey Madison) travaille dans un club de strip-tease. Ses rêves de réussite, et donc conjointement d’extraction de ce monde, sont palpables. Ils ne l’étouffent néanmoins pas, ils n’inondent pas l’écran. Elle vit sa vie, jusqu’à l’arrivée de son bel amant, le prince charmant, Ivan (Mark Eydelshteyn). Il représente cette main tendue qu’elle espérait tant. Dans une composition colorée et fleurie, Sean Baker construit une histoire entre une prostituée et un client, entre un futur mari et son épouse. La photographie est implacable et à l’image de cette rencontre. Le spectateur contemple la naissance de cette histoire d’amour à travers les yeux de la protagoniste. Bercé dans le luxe depuis son enfance, Ivan est un enfant roi complètement déconnecté, à l’inverse d’Anora qui a les pieds sur terre. Alors que le mariage approche, et les deux tourtereaux se retrouvent enfermés dans leur palais d’argent et s’apprêtent à vivre une vie de rêve.
Le prince charmant a foutu le camp
Anora n’est pas la bienvenue dans la caste sociale de son mari. Au fond elle le sait, le spectateur aussi, mais ensemble, main dans la main, ils y croient, jusqu’au tournant du film. La photographie se glace, la tension se cristallise. L’idylle vole en éclat, mais Anora y croit toujours. Torros (Karren Karagulian), Garnyck (Vache Tovmasyan) accompagné d’Igor (Youri Borissov), un russe pas commode, sont envoyés par les parents d’Ivan pour faire annuler le mariage. Ces arrivées successives transforment le film en thriller rocambolesque avec un humour finement travaillé. Par peur, par lâcheté, Ivan quitte physiquement Anora et part se noyer dans quelques dernières heures de débauche. La fracture est ici. Anora présente une certaine maturité, elle est devenue adulte très tôt. Ivan est un gamin sans principe. Les deux portraits sont très bien dessinés, l’une est compatissante, l’autre est détestable. Le spectateur espère mais se fait une raison.
Elle part, fin de l’histoire ?
Anora est retirée à Ivan par ses parents, comme un vulgaire jouet confisqué. Et comme un enfant pourri-gâté, Ivan s’en détache en une poignée de secondes en passant à autre chose. Au fil du long-métrage, un personnage se démarque par la patte de Sean Baker, celui d’Igor. Brute épaisse qui joue les gros bras, Igor est un ourson plutôt bienveillant qui ne possède ni la fortune du père d’Ivan, ni codes sociaux. Une relation se crée alors entre Anora et lui. Dans un style de haine et de “Je t’aime moi non plus”, les deux personnages s’apprécient et se détestent.
Malgré sa force de caractère et sa puissance, Anora est un personnage fragile, un personnage brisé. Elle fait tout pour croire en cette aventure amoureuse à la fois naïve, tendre et détestable par la différence des deux personnages. Cendrillon finit par partir, obligée à quitter un monde qu’elle a enlacé un temps mais qui finalement ne correspond en rien à sa personnalité à la fois atypique et brillante.
Elle part, fin de l’histoire. Et bien non, Sean Baker prouve tout au long du film qu’Anora est bien plus que cette histoire d’amour. Cette histoire ne résumera pas sa vie. Cendrillon des temps modernes, elle embrasse la vie qui se propose à elle. Elle tente, elle réussit, elle échoue. Anora rencontre de belles personnes, de moins belles personnes. Le film n’est finalement qu’un chapitre de son histoire, qu’un chapitre de son conte de fée.
Anora, en salles le 30 octobre.
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