Fallait-il réveiller l’univers de Tron au cinéma ? L’actualité suggère que oui, le visionnage du film indique plutôt le non. 

Un scénario crétin

Ce qui est parfaitement éclatant dans Tron: Ares, en plus des couleurs rouges qui saturent en continu l’écran, est la nullité du scénario. Il est à la fois une insulte à la technologie, au cinéma et à l’intelligence du spectateur, ce qui fait beaucoup pour un seul auteur crédité (Jack Thorne).

Il raconte l’histoire d’un programme du nom de Ares, créé par la société capitaliste Dillinger (la même que celle du premier opus de 1982). Elle entend faire de lui la nouvelle génération d’armement militaire high-tech. Pas de chance, Ares est mal conçu et se trouve pourvu de sentiments humains comme la compassion ou l’empathie. Il préfère faire l’amour plutôt que la guerre, désobéir à ses directives et sauver l’héroïne (Greta Lee) au lieu de l’exécuter. Tout ça n’est pas vraiment du goût de son créateur. S’ensuivent alors des péripéties qu’il ne serait pas du tout criminel de révéler et qui donnent le sentiment d’avoir été ficelées en une seule nuit sans insomnie.

L’écriture accomplit le miracle d’être à la fois très simpliste et incompréhensible. Une large quantité de séquences amènent à se demander si l’on a pas raté un moment clé de l’intrigue tant les choix des personnages nous échappent et semblent échapper à la logique humaine générale. Un seul exemple, prélevé dans un échantillon hélas beaucoup plus vaste : en début de film, le PDG de la compagnie Dillinger pirate le système informatique de son concurrent et sabote la présentation mondiale de son nouveau jeu. Ce dernier, furieux, l’appelle et lui rappelle qu’il connaît son pire secret et pourrait bien le dévoiler à la presse. À ce moment-là, tout spectateur normalement cortiqué ne saisit pas pourquoi la menace reste au stade des paroles. Qu’est-ce qui justifie que ce personnage n’agisse pas ?

De telles aberrations ponctuent à intervalles très réguliers l’intrigue, comme les cailloux d’un petit poucet particulièrement diabolique.

Deux personnages discutent
Les deux héros de l'histoire, joués par Jared Leto et Greta Lee © Walt Disney Studios Motion Pictures

Entre non-choix et mauvais choix

Il faut aussi gommer pour le spectateur l’espoir d’assister à un film qui parle du contemporain. Tout au plus, à l’image de ces motos-chasseurs qui rasent un fleuve de pixels dans le monde de la grille (rare sursaut poétique du film), le récit effleure ses grands sujets comme l’IA, la simulation, la fusion entre le virtuel et le réel. Mais sans particulièrement montrer d’envie de s’y intéresser en profondeur. Le discours final penche tout de même vers une célébration de l’intelligence artificielle, et le dénouement drape la technologie de toutes les vertus imaginables. Elle soigne le cancer, abat la pauvreté et endigue même le réchauffement climatique. Mais même cette promotion reste timide, un peu molle, noyée dans la guimauve du mauvais cinéma américain grand public. Le film n’est pas tant technophile que platement conformiste.

De nombreux choix ressemblent aussi à des décisions prises pour foncer sans frein dans le mur. D’abord, le casting de Jared Leto comme tête d’affiche, lui qui est un collectionneur d’avis de décès commerciaux et de plaintes pour conduites sexuelles malencontreuses. Puis aussi la volonté de délaisser le monde de la Grille pour demeurer dans le monde réel, à la fois bêtise farfelue et non-sens. Imagine-t-on un Star Wars qui ne franchirait jamais l’espace ? Un film Harry Potter condamné à une déambulation de la gare routière de Londres ?

Au vu de ces décisions, la piste de l’auto-sabotage est séduisante. Mais il faut plutôt conclure à la thèse plus crédible de l’œuvre produite pour de mauvaises raisons (faire un soft reboot dans l’ère du temps plutôt qu’une vraie suite à Tron : L’Héritage) et confié à de mauvais concepteurs. Pourtant, étonnement, le film tient, reste dans l’œil. Par quelle opération l’ennui, s’il menace avec constance, ne prend-il jamais véritablement le dessus ?

Un homme qui arborre un costume technoligique
Tron : Ares passe du bleu ou rouge © Walt Disney Studios Motion Pictures

Mais un spectacle visuel un peu au-dessus du lot

En premier lieu parce que le récit a la politesse de ne durer que deux heures. Son intrigue a beau être un défilé d’âneries, elles passent suffisamment vite pour qu’on n’ait pas le temps de s’y attarder. Une certaine vélocité dramatique règne, qui élimine tout réel temps mort. Mais, surtout, Tron : Ares bénéficie d’un allié immense : son héritage.

La grande chance de ce troisième volet est ainsi de passer après les deux premiers. Boosté notamment par la première suite de Joseph Kosinski en 2011, l’imaginaire de la saga Tron est une porte sur le merveilleux. C’est un opéra de son et de lumière, le point de rendez-vous parfait entre le cinéma, l’architecture, la musique et le jeu vidéo. Combinant un style futuriste plein de vaisseaux aux traînées lumineuses à de pures visions barbares (arène de gladiateurs, combats de disques mortels, horde de programmes alignés comme des soldats fanatisés), il fait surgir un envoûtement étrange et redoutable. À la fois rêve et cauchemar, promesse de liberté infinie et d’écrasement totalitaire, lieu de dématérialisation terminale comme de pleine réalisation de soi, le monde de la Grille est un mirage flamboyant, un simulacre que l’on repousse et désire sans cesse, mais qui nous parle secrètement.

Tron: Ares n’attrape qu’une ou deux gouttes de cette substance hypnotique, mais cela suffit à le placer dix coudées au-dessus des bataillons informes qui lui sont concurrents dans le spectacle américain. Esthétisme léché, courses de pods traversant des rues citadines, ou beauté réactivée du design des véhicules et des costumes du monde numérique, tout cela permet à Ares d’accoucher d’une poignée de très belles visions sublimées par la perfection technique du studio d’effets spéciaux ILM.

Une jouissance visuelle qui se combine à un plaisir auditif, marque de fabrique de la saga. Si le travail de Nine Inch Nails est moins sophistiqué que celui produit par Daft Punk pour Tron : L’Héritage (orchestration fabuleuse, où les images semblaient parfois jouer en accompagnement de la musique), les synthés électroniques du groupe confèrent une puissance et une couleur indéniables aux scènes d’actions. Bien que diminuée, l’expérience de l’univers prodigue encore quelques plaisirs cinéphiles – et nostalgiques – auxquels il est difficile de résister.

Mais, pour être clair : cette satisfaction est mince et fugace et ne justifie ni les vingt euros demandés par le film, ni l’idiotie du scénario. Le premier Tron était l’œuvre d’un visionnaire politique et technique. Le second d’un esthète impliqué. Ce troisième est le film d’un petit yes-man sans cœur et sans profondeur. En raccourcissant vite, on pourrait dire que ce trajet est celui qu’a suivi le divertissement hollywoodien depuis quarante ans.

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