Sur les derniers jours du précédent Festival de Cannes, un certain film au sein de la compétition a fait grand bruit. En l’occurrence, le nouveau film de l’iranien Mohammad Rasoulof, Les Graines du figuier sauvage. Cette œuvre, qui a conquis les festivaliers et la presse, a été fabriquée dans le plus grand secret, puisque le réalisateur a plusieurs fois été condamné par le gouvernement de son pays. Le jury présidé par Greta Gerwig a tenu à lui remettre son Prix Spécial, dont le dernier bénéficiaire n’est autre que Crash (1996). Au-delà de sa grande portée politique, il s’agit surtout d’un excellent film, prenant et trépidant, à la croisée du drame et du thriller psychologique.
affronter la réalité
Mohammad Rasoulof est un réalisateur dont le cinéma a toujours illustré une résistance au gouvernement liberticide de son pays d’origine, l’Iran. Son dernier film, Le Diable n’existe pas, dénonçait notamment l’application de la peine de mort. Les Graines du Figuier Sauvage, déjà par son synopsis, se veut là encore le reflet de la société iranienne. En l’occurrence, d’une société en plein basculement. Divisée entre une jeunesse aux idées révolutionnaires et une génération plus conservatrice qui, au mieux, réclame de ne pas faire de vague, ou, au pire, est répressive.
Cette division passe ici par le prisme d’une famille de Téhéran. Iman, le père, vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de la capitale iranienne. Au même moment, naît le mouvement Femme, vie, liberté auquel adhèrent les deux filles de la famille, Rezvan et Sana. Si Iman se positionne contre ce soulèvement, Najmeh (la mère) reste dans un retrait conformiste en veillant à ménager les deux partis au sein de la maison. Cette famille, dont les tensions se cristallisent de plus en plus, va petit à petit se briser dès lors que l’arme de service d’Iman disparaît…
Un conflit de génération se matérialise donc ici. Mais au-delà du scénario, c’est aussi au niveau de la mise en scène qui se manifeste. À opposer aux discours de la télévision de l’appartement à laquelle les parents font confiance, les réseaux sociaux que consultent les filles. Ils leur permettent une ouverture sur le monde, sans artifice, sans modification. La réalité, la vraie, la crue. Celle de la répression violente au sein des manifestations révolutionnaires. Ainsi sont incorporées des images documentaires de réelles manifestations en Iran, filmées au téléphone.
La figure maternelle impose la tranquillité. Mais que ce soit par la force des choses ou de la volonté des personnages, l’extérieur vient toujours rompre cette même passivité conformiste imposée. Nul ne pourra se cacher éternellement face aux tentatives de renversement actuelles…Nombreux sont les plans au sein desquels les personnages regardent la ville derrière les rideaux ; personne n’est indifférent à ce qu’il passe.
Nous en voulons pour preuve une scène particulière. Après une manifestation, Najmeh est contrainte de prendre soin de la seule amie de Rezvan. Une scène très forte, sur fond d’une douce chanson planante. Un très gros plan nous dévoile l’œil tuméfié de son amie dont la mère retire des balles, accompagné d’une douce chanson l’empêchant de virer dans l’obscène. En alternance, un autre très gros plan qui nous dévoile le visage de Najmeh, neutre, faisant ce qu’il y a à faire. Dans les deux plans, une longue profondeur de champ qui rend l’arrière-plan flou. Une bulle de soin dont naît une amère douceur et l’émotion, aussi bien chez Najmeh que chez le spectateur.
un mélange des genres
Rasoulof a ainsi su créer un film véritablement focalisé sur ses personnages. Le contexte politique qu’est la naissance du mouvement Femme, vie, liberté vient en l’occurrence constituer un terrain fertile pour qu’une mise en scène habile se déploie. En effet, même si l’intrigue n’est pas confinée dans l’appartement, le film reprend intelligemment beaucoup des codes du huis clos. S’il se forme matériellement, c’est aussi et surtout psychologiquement qu’il se manifeste le plus. Soit au sein de la famille, au bord de l’explosion dès la disparition de l’arme. Dès le premier plan, elle est attribuée à Iman avec ses balles, installant d’ores et déjà l’ambiance du film.
Le monde extérieur renforce les enjeux de ce huis clos et petit à petit, les personnages se développent. Alors s’enclenche une machine infernale : chacun voit ses convictions renforcées, que chacun défend ardemment. Alors, deux camps se forment, sous les yeux d’une médiatrice. Les plans majoritairement fixes au sein de l’appartement montre chaque personnage dans son monde, renfermé sur lui-même. Les partis extérieurs, quand ils s’incrustent, font office d’intrus, ou de possibles alliés. Bref, il réside une véritable sensation d’enfermement dans lequel l’émotion naît malgré tout, sans cesse renforcée par le jeu irréprochable des acteurs.
au bord de l'implosion
Cette ambiance huis clos se retrouve également loin de Téhéran, où se déroule le dernier tiers du film. Plus les manifestations s’accentuent, plus la paranoïa gagne Iman, sous le regard de sa famille. Sur les conseils d’un collègue de travail froid et impersonnel, il se jette à bras le corps dans un système qui se répercute sur cette famille. Alors vient un plan-séquence, celui de la bascule. Au réveil, Iman et sa femme sont à la recherche de l’arme de service. Du drame familial, nous passons au thriller paranoïaque. Son caractère glaçant est renforcé par une séquence de consultation chez un psychologue.
Loin de Téhéran, cette sensation d’enfermement progressive est désormais proche de l’explosion. C’est bien simple, ce dernier tiers nous laisse simplement pantois, le cœur battant à cent à l’heure. Le thriller atteint là son point d’orgue et d’adrénaline.
Avec le recul, on pourra peut-être reprocher à cette partie la métaphore un peu grossière qu’elle établit de l’État iranien. La famille y est en effet redéfinie et réduite à des figures, à des camps politiques. Des femmes (Najmeh, Rezvan et Sana) tentent de se battre face à une figure désormais autoritaire et liberticide (Iman). Parallèle évident. En résulte malgré tout un final explosif dans lequel le drame n’a jamais été aussi puissant, le tout sans jamais être risible.
Ainsi, Les Graines du figuier sauvage n’est pas seulement un film d’une grande puissance, mais un véritable signe de soutien politique à la nouvelle génération militante d’Iran. C’est également un film superbement réalisé, à la croisée des genres, prenant et trépidant.
Le film est actuellement en salles.
Voir la bande-annonce :
Auteur/Autrice
Partager l'article :