? Réalisateur: Abbas Amini
? Casting: Amirhosein Fathi, Mani Haghighi, Bran Kosari
? Genre: Thriller, Policier, Drame
? Sortie: 5 janvier 2022
Synopsis: Expulsé de France, Amir retourne vivre chez sa famille en Iran. Par solidarité avec son père, il se retrouve impliqué dans un crime et va devoir fréquenter le traffic de devises étrangères au marché noir. Mais la culpabilité le ronge…
Marché Noir (ou l’Abattoir) est un film qui sait ce qu’il fait. S’inscrivant dans la lignée des grands thrillers iraniens, son réalisateur Abbas Amini applique la même lotion au fond qu’à la forme du métrage. S’il semble être un rise and fall assez classique, c’est à dire l’histoire de l’ascension d’un jeune homme au sein d’un monde criminel puis sa chute, il n’en reprend que l’essence. Car Marché Noir va bien au-delà : il s’agit avant tout de montrer la chute, cette retombée constante d’une humanité salie au sein d’une société vouée à réitérer les mêmes erreurs à l’infini.
L’Homme Bétail
Ce qui frappe tout de suite, c’est l’icônisation de la chair, cette viande animale travaillée et congelée, qui s’imprime dans l’ADN de l’histoire. Le film dresse des parallèles vite évidents entre cet abattoir et les relations humaines entre les personnages, mettant en exergue l’animalité dissimulée mais pourtant percées à jour dans le cœur des hommes qui, sous couvert de leur statut déraisonnable de contremaîtres quasi dictatoriaux, trompent et tuent sans remords. Le remord est d’ailleurs la petite lueur d’humanité à laquelle s’accroche Amir, le fils du gardien qui découvre ces corps entassés dans la chambre froide, avant de troquer toute raison contre une position qui pourrait enfin lui procurer de la fierté et mériter celle de son père. Dès le début, le corps humain et celui de la bête sont liés dans l’image (les trois employés morts de froid à côté des porcs surgelés, les parieurs filmés comme le troupeau de moutons qu’ils tentent d’obtenir, Amir fatigué assit derrière des lignées de brebis dont la tête dépasse à peine). Tant d’efforts déployés dans la mise en scène pour appuyer ces relations cassées et aussi crues que la viande, quand l’Homme est un boucher pour l’Homme.
Vivre faussement
Alors que le film révèle segment par segment la complexité de son intrigue et les conséquences de ce crime originel, la trame secondaire prend, elle, de plus en plus d’importance : les enfants d’un des disparus reviennent à la charge dans le vain espoir de retrouver leur père. La fille, Asra, se fait de plus en plus remarquer jusqu’à devenir la représentation même de la bonté malade, le seul et unique personnage qui semble humain dans son inquiétude et son désintérêt personnel. Cette douceur, qui tend vers un message malgré tout positif vis-à-vis de notre nature profonde, se détériore jusqu’à devenir l’instrument de la catastrophe : c’est elle, sans ambiguïté, qui fait le mal en dernier, devenant à son tour l’avatar du boucher. Ainsi, tout individu étant profondément humain, montre sa nature animale, son égal. Pourtant, Marché Noir brouille bien les pistes au fur et à mesure que les personnages craquent, notamment Abed le père d’Amir, figure d’autorité presque ridicule qui en vient à déterrer les corps de son jardin par remords. Mais le mal est fait et transmis à son fils, qui à la fin du récit, semblera redouter la mise à mort du patron Motevalli, qui signifie la fin de sa nouvelle condition si difficile à obtenir dans ce milieu si défavorisé.
Travailler le dégoût
Un grand soin est apporté tout au long du film à la façon dont le spectateur peut être mis mal à l’aise. Il était nécessaire de ressentir, de vivre à travers l’image et le son, toute cette absurdité écœurante et c’est par ces deux moyens que Marché Noir y parvient. L’imagerie froide et sans chaleur aux couleurs désaturées aident grandement à éviter toute possibilité d’admiration pour des paysages si beaux, d’abord arides avant d’être exotiques. On regrettera cependant une caméra à l’épaule qui contraste beaucoup avec cette rigidité, des plans plus calmes et mécaniques auraient d’avantage souligné le fond dans la forme. C’est par le son que cette idée de dégoût fonctionne le mieux : très peu de musique est utilisée, mais les seuls morceaux présents suffisent à déranger, minimalistes, étranges. On remarquera surtout l’utilisation de Reverb sur des effets sonores, amplifiés, déformés et répétés à certains moments précis du film, notamment lors de la scène de repas chez Amir et son père, marquée de flashback de l’abattoir tandis que les bruits de mastication et de déglutition englobent les personnages et ainsi, nous spectateurs.
Sous couvert de thriller, Marché Noir contient plusieurs niveaux de lectures bienvenues et dresse un portrait très sombre de cette société iranienne, où le crime fait corps avec la vie sans échappatoire possible. Son utilisation intelligente de l’allégorie atypique de la viande soulève avec intelligence des constats alarmants et pessimistes, entre fausses promesses et coup final assené à l’estomac, qui nous rappelle avec force que nous ne sommes que ce que nous mangeons.
Note
7/10