Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
LE POUR
Thomas G.
Silence éternel de ces espaces infinis
En 2014, auréolé du succès de sa trilogie Batmanainsi que d’Inception, Christopher Nolan se lance dans un nouveau défi, celui de réaliser un film de science-fiction. Comment son style, si froid et pragmatique, allait-il s’adapter à une histoire qui devait dépasser les confins de notre galaxie ? À cette question, Nolan répondit de la plus belle des manières, apportant avec Interstellar un nouveau souffle à son cinéma et livrant l’un des films de science-fiction les plus reconnus de ces dix dernières années.
Le cinéaste l’avoue lui-même : sans la naissance de ses enfants, Interstellar n’aurait probablement jamais vu le jour ; rien d’étonnant en ce sens que le film tourne autour de la parentalité, entre Cooper (Matthew McConaughey) et sa fille Murphy (Mackenzie Foy). Les deux personnages sont le symbole de l’intimiste au sein du grandiose : même perdu aux confins de la galaxie, la seule préoccupation de Cooper sera l’avenir de sa famille avant celui de la Terre. En ce sens, les critiques adressées à la fin, fustigeant son grandguignolesque (ce que l’on peut relativement accepter) oublient que le film n’a jamais
été que le récit pour un père de la nécessité d’être un guide spirituel pour ses enfants (même si cela implique une prise de distance), avant d’être un film de science-fiction, certes rigoureux, mais secondaire.
Cette notion d’héritage (« les parents sont les fantômes de l’avenir de leurs enfants » prononce sagement Cooper) offre une émotion palpable à un film qui aurait pu sans cela paraître austère. Car le film, œuvre d’un homme méticuleux, peut se targuer d’une grande rigueur scientifique et visuelle : le style Nolan, privilégiant les effets pratiques au numérique, permet de donner au film une patine réaliste sans égal tout en étant extrêmement précis scientifiquement, basé sur les travaux du physicien Kip Thorne.
Si les critiques majeures envers le film se concentrent sur une fin qui a pourtant une logique implacable, il faut donc saluer la qualité globale d’un film mené d’une main de maître quasiment de bout en bout.
Et dans une actualité sombre, glaçante, pessimiste, voir ou revoir Interstellar, c’est non seulement nous imaginer avec admiration l’extraordinaire nous attendant aux confins de notre galaxie, mais c’est également nous ramener à la vocation première de tout être humain : transmettre aux générations futures le meilleur de nous-mêmes ; et ça, hormis le cynique Ad Astra l’année dernière, aucun film de science-fiction de ces dix dernières années ne l’avait aussi magnifiquement illustré.
LE CONTRE
Antoine C.
« Interstellar », les limites du style Nolan
Lorsqu’en novembre 2014, Interstellar est sorti en salle, une secousse a secoué le monde du cinéma. Une secousse produite par la sortie d’un film quasiment unanimement apprécié et devenu instantanément culte aux yeux de beaucoup. Mais, six ans après, qu’en reste-t-il, concrètement ?
Nolan, que l’on peut qualifier sans trop de risques comme un des réalisateurs les plus populaires de ce début de millénaire, a su imposer à Hollywood sa patte. Une patte en puissance, à grands coups d’effets visuels, sonores et scénaristiques, à l’objectif de plaquer son spectateur au fond de son siège et de lui retourner le cerveau. Si, certes, cela peut être cliché, il n’en reste pas moins que le succès d’Interstellar peut s’expliquer par le fait d’être le plus nolanien des films de Nolan.
Déjà très (trop ?) prononcé dans Inception, les gimmicks de l’Anglais, bien qu’efficaces, sont révélateurs de la limite de son cinéma ; celle où le spectacle prend le pas sur le concret, au risque, finalement, de passer au travers.
Interstellar, en ce sens, est un divertissement réussi ; mais les jeux de style, notamment de distorsion temporelle, guident un scénario construit à tort vers le grand frisson. Un scénario où les étapes passent dans un lien douteux, visiblement présentes pour offrir l’illusion de la complexité et l’incompréhension, associées bien trop souvent à une mise en scène encore plus lourde qu’à l’accoutumée. Tel un château de cartes devant lequel Nolan va finir par souffler, le film finira par s’effondrer, dans un dernier acte éreinté et éreintant, n’avançant que par sa propre nature à scotcher le spectateur et à lui retourner le cerveau plutôt qu’à aller au bout des choses thématiquement. C’est peut-être ça qui est le plus frustrant face à Interstellar : difficile de dire qu’il est foncièrement mauvais ou raté, mais l’on sent que Nolan, à trop vouloir réaliser son « grand film », se prend quelque peu les pieds dans le tapis. Car, au final, la seule chose vraiment grande concernant Interstellar, c’est l’amour du public pour le film.