Affiche de "La Femme des steppes, le flic et l'oeuf"

? Réalisateur : Wang Quan’an

? Scénario : Wang Quan’an

? Genre : Comédie dramatique, thriller

? Pays : Chine

? Sortie : 19 août 2020 (France)

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Synopsis : Une femme nue est retrouvée assassinée dans la steppe mongole. Du jour au lendemain, un jeune policier inexpérimenté doit sécuriser les lieux du crime. Comme il n’est pas au courant des dangers du site, une bergère locale est envoyée pour le protéger et sécuriser les lieux. Cette femme résolue dans la trentaine sait comment manier un fusil et faire fuir les loups. Elle allume un feu contre le froid. L’alcool les aide également à rester au chaud. À son instigation, les deux se rapprochent. Le lendemain matin, ils se sépareront.

Une vallée perdue qui s’étend à perte de vue, les phares d’un véhicule de police et le cadavre dénudé d’une jeune femme. Sur ces quelques mots qui évoquent le point de départ de La Femme des steppes, le flic et l’œuf, impossible de ne pas voir la ressemblance avec Memories of Murder. Pourtant, la filiation entre les œuvres de Wang Quan’an et Bong Joon-ho s’arrête là. En effet, de ce postulat bien précis, les deux longs-métrages n’en font pas du tout la même chose, l’un préférant se concentrer sur ladite enquête tandis que l’autre s’en éloigne dès les trente premières minutes.

Ce qui intéresse bien plus Wang Quan’an ne réside pas dans ce corps inerte que même les personnages semblent ignorer, mais dans le vaste territoire qu’il se plaît à filmer. À grand renfort de plans larges, majoritairement fixes, La Femme des steppes, le flic et l’oeuf sublime chaque recoin de terre, se refusant pendant un certain temps à se rapprocher des protagonistes éponymes. C’est donc via cette froideur, presque documentaire, que le cinéaste met à l’épreuve son spectateur, qui devra appréhender ce point de vue pour déceler la jolie élégie qui se cache derrière.

Image tirée de La Femme des steppes, le flic et l'oeuf

Une fois les silhouettes présentées, Wang Quan’an décide enfin de briser leur éloignement vis-à-vis du public, lors d’une scène pivot où les corps des deux protagonistes finissent enfin par s’accorder. De cette séquence et du rapport charnel qui nous est présenté, le cinéaste parvient enfin à justifier son approche, en démontrant formellement la solitude et la crise existentielle qui régissent ces deux Hommes. Cependant, en rapprochant sa caméra, Quan’an n’annihile en rien son choix d’une épure constante et réduit aussi la dramaturgie à sa plus simple forme.

La plume du cinéaste se fait ainsi plus que discrète et observe, sans jugement aucun, la boucle sans fin dans laquelle les personnages s’enferment. L’auteur ne vient pourtant jamais trop appuyer sur le triste destin de ses personnages. En jouant davantage sur les silences, Wang Quan’an rend toute l’émotion perceptible par l’unique beauté de sa mise en scène et par les yeux emplis d’une tristesse inexplicable de ses interprètes (notamment Dulamjav Enkhtaivan, saisissante).

Image #2 tirée de La Femme des steppes, le flic et l'oeuf

C’est justement dans cette vision d’une sobriété déconcertante que La Femme des steppes, le flic et l’œuf trouve sa force. En filmant avec retenue une solitude qui paraît éternelle, des rapports charnels des relations qui se concluent puis recommencent inlassablement, Quan’an enrobe sa fable d’une douce mélancolie, mais aussi d’un nihilisme décourageant. Le montage, qui découd constamment les scènes, semble lui aussi isoler chaque part du récit et crée un tout hétérogène, où chaque sous-intrigue devient aussi perdue que ses personnages.

Cette perte perpétuelle de repères qui caractérise tant La Femme des steppes, le flic et l’œuf en finit par être sa principale limite, mais aussi sa plus grande originalité. En sacrifiant sa dramaturgie sur l’autel de la contemplation, Quan’an effectue un geste d’une puissance étonnante : préférer le silence et l’éloignement pour mieux cerner la solitude d’une âme. Et, pour cela, son travail restera très certainement dans les mémoires.


Note

7/10

Âpre, froid et souvent nonchalant, La Femme des steppes, le flic et l’œuf est l’une de ces œuvres au parti-pris profondément radical, pouvant facilement laisser n’importe qui en dehors de l’expérience qu’il cherche à proposer. Cependant, sous son apparent hermétisme, le long-métrage de Wang Quan’an cache une jolie fable, qui réduit ses artifices à leur plus simple effet pour mieux saisir l’émotion pure émise par les âmes perdues qu’elle présente.


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