? Réalisateur : Anthony Chen (Ilo Ilo)
? Casting : Yeo Yann Yann, Koh Jia Ler, Shi Bin Yang…
? Genre : Drame
? Sortie : 19 février 2020 (France
Synopsis : Ling, enseignante de mandarin dans une école, n’arrive pas à avoir d’enfant avec son mari, ce qui abime leur couple. Alors que les jours passent dans une triste solitude, elle se prend d’amitié pour un de ses élève, délaissé par ses parents.
7 ans après sa caméra d’or à Cannes pour Ilo Ilo, Anthony Chen encore accompagné de ses acteurs Yeo Yann Yann et Koh Jia Ler (qui a bien grandi) reviennent avec Wet Season, un doux film mélancolique sur une femme (Yeo Yann Yann) n’arrivant pas à avoir d’enfant, ce manque, cette absence provoquée par l’inexistence de cette vie se ressent dans le film, Ling semble inhabitée, comme vide, mais c’est en réalité le contraire, elle est pleine d’émotions, de pensées, de peines qu’elle n’arrive pas à exprimer, comme enfouies en elle. La mise en scène soutient cette idée, la caméra est fixe, regardant chaque scène d’un seul œil figé. Le protagoniste est montré, non pas sur le côté pour exprimer sa difficulté à intégrer un groupe social, il est en plein milieu du cadre, isolé, marquant sa solitude. L’absence de vie se ressent dans ses relations à autrui, sa vie de couple est morne, son mari ne souhaite même plus tenter de créer la vie, trop fatigué, il y a un abandon, une résignation devant un bonheur qui semble ne jamais arriver. Ses interactions se résument donc à s’occuper de son beau père, un vieil homme malade, ne pouvant vivre par lui même, comme déjà mort. Vient s’opposer à cette léthargie le monde extérieur, représenté par la télévision que regarde le beau père, les manifestations comme les films d’actions y défilent, la violence de la société contraste avec la monotonie du quotidien.
La pluie, élément central du film, vient exprimer toutes ces larmes que Ling ne peut exprimer d’elle même. Elle montre la détresse intérieure du personnage. La photographie, plutôt belle, accentue cela, sa manière de rendre bleu l’image, vient souffler sur la douce mélancolie de l’œuvre. Elle enferme tout le petit monde de la héroïne dans une dépression calme. Tout cet effort pour nous faire ressentir le vide nous conduit forcément à un point où l’œuvre paraît malheureusement plate même si teintée d’une beauté indéniable. La subtilité du film est à double tranchant, elle emplira certains spectateurs d’une finesse élégante mais en laissera d’autre totalement en dehors du récit. Le film reste calme tout du long, il ne s’envole qu’à un seul moment, lors d’une conclusion où est encore présente la symbolique de la pluie, scène filmée caméra à l’épaule et où déferlent les émotions.
Mais petit à petit la vie va elle aussi s’exprimer, et elle se manifeste dans le quotidien, les petits choses. Que ce soit dans un repas partagé, une danse dans une compétition ou un moment avec son beau père. La relation que Ling entretient avec Weilun (Koh Jia Ler), son élève, vient créer de la vie dans son quotidien. Comme la vie qui aurait dû se manifester par l’enfant qu’elle n’a jamais eu. Weilun devient un fils de substitution. Le mouvement, la vitalité que crée cette relation apaise l’âme (la pluie est de moins en moins présente), elle soigne des plaies. Wet Season ne s’envole pas pour autant, il adopte toujours le même ton impassible mais cette fois avec plus de sérénité.
La thématique du corps est également importante. D’abord le corps du beau père, corps meurtri par la vie, vieux, ne pouvant être laver que par une autre personne, une chaire comme inhabitée, ne pouvant s’exprimer qu’en grognements. C’est un corps encombrant, dont il faut s’occuper. Ensuite il a évidemment le corps de Ling, un corps martyrisé tout au long du film par les aiguilles que s’enfonce le personnage. Mais c’est surtout un corps qui n’appartient pas à Ling. Il refuse d’exprimer toutes ses peines intérieures, il est impassible, ne pouvant réagir. Il refuse également de créer la vie, le corps lui échappe, elle ne peut le contrôler. Enfin le corps de Ling est surtout accaparé par d’autres, utilisé comme un simple objet de passion, sans qu’elle ait son mot à dire, il est privatisé pour un homme montrant sa domination, on voit ici une critique d’une société patriarcale, où l’homme s’approprie le corps de la femme. La chose est faite avec subtilité, le personnage ne comprenant pas pourquoi il est rejeté et la femme ne pouvant s’extirper de sa condition. Comme pour tout le film, l’œuvre se joue dans le non-dit.
Enfin Wet Season dresse un portrait contemporain de Singapour et à travers un œil plus qu’intéressant, celui de la langue. Le mandarin, matière qu’enseigne Ling, est complètement délaissé par les élèves, ceux ci ne s’y intéressent pas, préférant un anglais symbolisant le futur et la mondialisation. L’anglais est dans le récit utilisé par les élites, presque comme un signe de supériorité, ceux-ci ne jurent que par cette langue, délaissant la culture du pays, culture qui a du mal à exister, à survivre, en témoigne ce plan au début où un drapeau singapourien tente tant bien que mal de se hisser sous la pluie. La culture de Singapour subsiste, mais avec de grandes difficultés et pour encore combien de temps ? Les anciennes générations tentent d’enseigner aux nouvelles, comme dans cette très jolie scène où le beau père dessine avec ses doigts des caractères chinois sur la main du jeune élève de Ling. Ce plan où cette main âgée, pleine de ride, agite son doigt sur cette main douce, toute jeune, pour transmettre son savoir, est probablement un des plus beaux du film. Le choc des cultures se prolonge tout au long du film. Une scène assez intéressante montre cette opposition : lorsque le principal de l’école convoque Ling, celui ci lui parle entièrement en anglais pendant que la professeure ne répond qu’en mandarin, en résulte un moment assez dérangeant où les deux personnages ne semblent pas se parler ou plutôt ne pas se comprendre.
Note
7/10
En résumé, Wet Season est un joli film, abordant des thématiques intéressantes, un film féministe, sur la détresse psychologique, profondément contemporain sur sa société et habité d’une beauté non pas émerveillante ou passionnante, mais calme.